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Contributions
#34
RÉSUMÉ > Notre rubrique de flânerie subjective se poursuit au fil des rues. L’oeil exercé de Gilles Cervera capte des détails surprenants et poétiques au détour des murs, des places et des carrefours. Psychothérapeute de profession, il sait faire parler la ville de ce qu’elle dit d’elle-même, ce qu’elle montre avec ostentation ou dissimule avec soin dans les recoins de sa mémoire urbaine.

     La rue est traversée d’imaginaire. Ainsi lorsqu’ici le crépi du mur se décolle, n’est-ce pas l’habitant de dessous qui se révèle ? On se frotte les yeux. Aurait-on la berlue ? Quelque chose d’humain se découvre sous le mur vieilli. Un masque, une figure. Quelqu’un apparaît. Comme les nuages pour les enfants s’avèrent des zoos qui se font et se défont, comme en fermant les yeux, sous l’écran de la paupière défilent des figures ou des paysages. Entre mirage et image, le filigrane du mur.

     Sur le boîtier du gaz, un récit a soudain lieu. La ville est une bande dessinée comme l’étaient auparavant les vitraux des cathédrales ou, modestes, des chapelles. Qui s’est penché ici ? Quel dessinateur naïf a donc mis genou à terre devant le placard à compteur ? Extrayant de son histoire un simple croquis ou penchant vers celle, imaginaire, d’un aïeul à la canne bien tendue et aux pêches miraculeuses ?

     Phare de la confluence. L’immeuble Jean Nouvel fut soumis aux feux de la rampe à la fin décembre. Quel show ! L’architecture par moments n’a rien à voir avec l’habiter ni le loger. L’esthétique, un instant, prime. Avant que l’immeuble soit occupé. Grâce aux largesses de la fée Électricité, l’architecture de prestige est mise en scène. Je me demande comment ceux qui n’ont que les cartons pour logement voient ça.

     Frank Gehry vient de retoiturer le Parlement de Bretagne. Souvenons-nous de cette flammèche scélérate, pécheresse, qui vint abîmer la charpente en nef du Parlement. Les troncs vénérables, les arborescences centenaires, toutes ces frondaisons que les forêts avaient fournies afin que Salomon de Brosse dessine des rampants hauturiers, en une nuit consumés de 1994. Gehry vient de sublimer notre Parlement car les Rennais ont réclamé une sommité sublimée à leur vieux Palais. Les Rennais aiment le défi, l’audace et qui de mieux que Gehry pour répondre à l’appel d’offres ? Sir Norman Foster, convaincu qu’il manquait à Rennes une colline d’où découvrir la ville avait proposé une volute de verre hardie, laquelle fut retoquée. Gehry, félicitons-nous en, a refait une charpente digne du 21e siècle à nos murs du 17e. Non je rêve. Revenant de la Fondation Vuitton. Mille pardons.

     Malik Oussekine ou Rémi Fraisse, jeunes héros malgré eux d’une histoire plus grande qu’eux. Ils restent à jamais des morts injustes et injustifiables, des noms gravant nos mémoires, des larges traits en haut des acrotères pour dire ici la colère, là la vengeance face aux à-coups brutaux, à la violence insupportable d’une civilisation plus vile et moins civile qu’on ne voudrait. Ça fait dix mille ans qu’on l’écrit. À même la paroi des grottes, dans l’anfractuosité du mur de Jérusalem ou en haut des Lices.

     Un immeuble est démoli dont le vide laissé donne à voir une petite folie. Qui disparaîtra lorsque sera terminé le programme immobilier. La ville se montre, se révèle, se dévoile et puis terminé, l’escalier étrange avec son campanile discret reviendra à sa discrétion, n’offrira ses atours qu’aux rares voisins intérieurs à l’îlot. En attendant, la rue des Carmes laisse à voir sa folie passagère.

     Revenons à ces écaillements du mur. Les enfants ne sont pas tous rimbaldiens mais certains ont des visions ! Qui voient ici de ces fantômes ou un animal, mi-homme mi-bête, agenouillé, en embuscade. Curieuse chimère à l’angle de l’immeuble qui veut juste regarder ce qui se passe et comment le séquoia dresse son éternité. L’enfant dans sa poussette braille soudain et sa mère attendrie se demande bien pourquoi !