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Contributions
#37
RÉSUMÉ > Notre rubrique de flânerie subjective se poursuit au fil des rues. L’œil exercé de Gilles Cervera capte des détails surprenants et poétiques au détour des rues, des places et des jardins. Psychothérapeute de profession, il analyse les dits et non-dits des murs et des villes, à travers ces clichés décalés et sensibles qui livrent à leur manière un singulier récit urbain.

     Est-ce un mariage de raison dont témoigne la bague rouge ? Est-ce du land art spontané ? Qu’en est-il de ce cercle rouge d’où jaillit l’insolente digitale (ou est-ce un lupin)  ? Les murs ont leur saison, ils secrètent leurs secrets. L’interstice du joint offre sa surprise au vieil Hôtel-Dieu. Les gens ont leur verlan et les plantes sauvages donnent au mur une linguistique vernaculaire.

     Les jardins sont plantés d’arbres s’ils ne sont pas transformés en parking. Les arbres sont parfois plus hauts que les maisons, les cerisiers marquent les saisons. Ou dans les quartiers, ce sont les arbres municipaux. Au pied des tours les alignements d’ornements. La ville s’avère forestière. Le fantasme est minéral, l’ambiance est arbustive, une salade de rues, d’allées où les murs débordent, une macédoine de fleurs pousse au pied des maisons. Les roses trémières surgissent au pied des arbres.

     Certes, Place Publique n’est pas le Guinness. Mais nous nous étions déjà attachés à décrypter cet étrange rituel urbain consistant à lancer une paire de chaussures afin qu’elle se califourchonne sur un fil au-dessus de la rue. Boulevard de Metz, l’adresse est telle et le concours si stimulant qu’une seconde paire fait à présent repère ! Double et passe. Le troisième à se promener en chaussettes se dénoncera !  

     Juin apporte son joyeux rituel et son gai bordel. La rue aux moins visibles, LGBT. La rue fanfaronne, ludique, colorée, vacarmesque, quelle kermesse. Une maman en profite, accroupie avec sa petite fille de quatre ans et demi au carrefour de la Criée. Elle lui dit à l’oreille ce que c’est que l’homosexualité. La rue est pédagogique. Elle se retourne vers son mari, un mètre en retrait, le papa qui vapote et lui dit : elle aura vu deux hommes s’embrasser ! 

     Huit mille spectateurs ovationnent Cendrillon sous le vent frisquet de juin. On voit un homme à pied pousser par le porte-bagages son vélo et tenter, hilare, la traversée pour plier en fin de compte ses gaules en angle droit. On voit un livreur de sushi, sac haut perché, chercher sa clientèle parmi le dédale des gens. On voit des amateurs fumer dans la salle en plein air et réjouis. On voit un enfant écouter une heure durant, couché tête en bas sur le dos de son père, calme et indifférent à l’image puisqu’il lui tournait, de fait, le dos. Magie de Rossini ! On voit ce qu’on entend.  

     Les mots sont nets, le rêve est là, et la mère, et le père et tout le tralala qui fait qu’on voudrait, qu’on essaie, qu’on se voudrait et qu’on s’essaierait et patatras, on est devenu grand. L’adulte est parent. Sa fille remet ça. Et si j’étais rebelle ma fille !  

     Le Mont Saint-Michel a sa passerelle. Enfin, a-t-on envie de dire ! La mer au-dessous, presque comme si elle était à nouveau chez elle. Sans autres murs à lécher que ceux du Mont et les pieds graciles de la passerelle échassière. Des pas montrent que certains tentent l’aventure. L’estran n’est pas la Lune et pourtant force est de constater, au vu des traces, qu’un homme a marché sur la tangue.  

     Lire ici, lire là. Lire en haut, en bas, au ras. Lire sur le sable, hors sol, au lit. Lire sur un banc, un sofa, les pieds en l’air, à l’air, en prison, à l’hôpital grâce aux blouses roses. Lire la nuit, le jour, par-dessus l’épaule. Lire seule ou seul, à plusieurs, à haute voix. Lire avec les lèvres qui bougent. Avec le doigt sur chaque ligne. Avec le vent dans les cheveux ou l’oreiller sous la tête. En silence. Lire lie.