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Contributions
#38
RÉSUMÉ > Notre rubrique de flânerie subjective se poursuit au fil des rues. L’œil exercé de Gilles Cervera capte des détails surprenants et poétiques au détour des rues, des places et des jardins. Psychothérapeute de profession, il analyse les dits et non-dits des murs et des villes, à travers ces clichés décalés et sensibles qui livrent à leur manière un singulier récit urbain.

     La porte est fermée à double tour. Le mur fait bloc, la clé définitivement perdue. Il reste des énigmes lorsqu’on flâne, ici dans une impasse dédiée à Puvis de Chavannes, plus fameux des peintres… muralistes ! Il reste des points de friction entre l’imaginaire qui toujours flotte et le parpaing auquel on se heurte, froid, ferme et fermé, mais non moins doté d’humour. Alors passer ou rester ? Frapper, mais pas trop fort ! Toquer, mais qui l’est ? 

     Le Star pense à notre confort. Y compris sur le trottoir. Poin Il n’y a qu’à se poser, se détendre un peu, vérifier l’avancée des travaux, voire rêvasser, c’est quelquefois le mieux. En tout cas, cela permet, dans la tête, aux encombrants de s’alléger !  

     Gardons l’esprit du 11 janvier. 140 000 Rennais dans les rues. À être là, à être ensemble, à être entre êtres. Tordons le nez d’Emmanuel Todd. Écoutons et lisons Philippe Lançon, de Charlie et de Libé, dont la mâchoire a été fracassée le 7 janvier. Il a traité Todd de « corbeau ». Finalement, c’est triste pour ces pauvres bêtes qui n’ont rien demandé mais c’est bien envoyé. Dommage que les oiseaux noirs ne se repaissent que des cadavres, nous eussions pris leur défense.  

     La place du Champ-Jacquet a son buste (lire page 86). Peu de bustes à Rennes. Pas trop dans les habitudes locales de mettre en avant les grands hommes. Tradition égalitaire n’en déplaise à Todd, de ne pas extraire du lot, ou, pour lui plaire, plutôt que le culte civil, le marial ! Et puis la commande a peu repris depuis que le bronze a été fondu par l’ennemi d’hier. À la verticale de feu Leperdit, maire fugace dont la statue fut recoulée deux cents ans après qu’il le devint, maire, pend une sorte de combinaison rose ! Il est des vestiaires plus accommodants. Manière joueuse de montrer que les masques à gaz planent entre le trou d’ozone et nous.  

     Les murs ont leurs taches de rousseur. Leur sorte de tavelure. Le lichen fait des yeux, forme des planètes, raconte des soleils, ouvre un quinquet qui étonne jusqu’au ciment, autant dire sublimé. Il suffit de passer et le mur cligne de l’œil, ceci n’étant pas une exclusivité rennaise. Ni même malouine ou bretonne. Le presque rond est en tout cas une géométrie qui fait du bien. D’où, nous tous, venons ! 

     Chaque soir, le pèlerinage pèlerine. Laïque et spirituel. L’été plus nombreux. Les soirs d’automne ou d’hiver, les pèlerins sont là. Ils viennent voir le soleil fondre dans l’abîme. Hugoliens ou adeptes de LouisRené, amoureux, solitaires, avec ou sans chien, avec ou sans shorts, anglais ou francophones, ils viennent à la Pointe du Décollé et regardent cela, ce grand rituel du monde, quotidien et extraordinaire, ce passage de jour à nuit. Un inédit par soir ! L’astre attache l’œil, bien après qu’il ait sombré.