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Dossier
#22
Pour l’égalité filles-garçon à l’école
RÉSUMÉ > L’égalité entre hommes et femmes, cela se joue d’abord à l’école où l’on fait encore beaucoup de « différences » entre filles et garçons. À partir des années 80, une politique volontariste a été enclenchée par l’Éducation nationale. Dans l’académie de Rennes ces programmes sont pris très au sérieux et appliqués avec constance et créativité. Cela malgré les fluctuations qu’ont pu connaître ces politiques au niveau national. Nicole Guenneuguès chargée de mission égalité des chances au rectorat présente ici les initiatives menées au sein du système scolaire en Bretagne.

     L’inégalité entre les sexes a longtemps constitué un principe organisateur de l’instruction de la jeunesse. Ceci se traduisait par la séparation des sexes à l’école et, au delà d’un certain niveau d’études, l’exclusion des filles des espaces de transmission du savoir. « C’est le mérite de nos lycées de jeunes filles de ne préparer à aucune carrière et de ne viser qu’à former des mères de familles dignes de leurs tâches éducatives », affirmait en 1889 la commission administrative de l’enseignement féminin. Ce n’est qu’à partir de 1924 que les filles sont officiellement préparées au même baccalauréat que les garçons, condition de leur accès à l’enseignement supérieur. Ce mouvement se généralisera lentement. Ainsi, la candidature de femmes à l’école Polytechnique n’est autorisée qu’en 1970. C’est tout aussi progressivement que le mélange des sexes sur les bancs de l’école est institué. Le lycée de jeunes filles de Rennes devient le lycée Anne de Bretagne, lycée mixte, en 1967. La mixité devient la règle dans l’enseignement secondaire par la loi Haby de 1975. 

     Les politiques éducatives d’égalité des sexes se mettent réellement en place dans les années 1980. Une première convention dans ce sens est signée en 1984 par la ministre des droits de la femme, Yvette Roudy, et le ministre de l’Education nationale Jean-Pierre Chevènement. Trois autres suivront, en 1989, 2000, 2006. Une nouvelle version devrait être signée prochainement. Ces conventions prennent pour point de départ des réalités statistiques : les filles ont désormais de bons niveaux de formation mais, sur le marché du travail et dans l’emploi, la situation des femmes reste défavorable. Ce paradoxe est expliqué par une concentration des choix d’orientation des filles sur des secteurs professionnels moins rentables. Une solution est recherchée dans la féminisation des formations scientifiques et techniques. Des objectifs plus généraux en termes de prévention du sexisme et de lutte contre les stéréotypes de sexe sont aussi définis. Des postes de chargé-e de mission sont créés dans les académies pour impulser la mise en oeuvre de ces politiques.

     Dans l’académie de Rennes comme dans la plupart des académies, ce poste est rattaché au service académique d’information et d’orientation (Saio). L’académie de Rennes se distingue cependant par la quasi continuité dont il a bénéficié ainsi que par la stabilité des personnes affectées depuis 1984. Pour ma part, j’ai été nommée en septembre 1998. La politique académique d’égalité filles garçons interrompue en 1996 à l’échéance d’un plan national, était alors relancée à l’initiative du recteur Marois. Cette relance faisait partie des recommandations du rapport du Conseil économique et social « Les femmes en Bretagne: réflexion pour l’égalité des chances » . En créant une animation nationale du réseau des missions académiques, la signature de la convention interministérielle de 2000 insuffle une nouvelle dynamique.
     Il faut rester modeste quant à la capacité de ces politiques à mobiliser au sein des établissements. Selon les travaux du sociologue François Dubet en milieu scolaire, l’engagement collectif sur des projets éducatifs résulte moins des injonctions de l’institution que de la confrontation à des problèmes communs. Or, le fait que de nombreuses spécialités des lycées ou de l’enseignement supérieur concentrent plus de 70 % de l’un ou l’autre sexe dérange peu. Interrogés en 2004 dans le cadre d’une enquête de la direction de l’enseignement scolaire quant aux facteurs qui influent sur l’orientation, sur douze critères, les parents classent le sexe en onzième position. Les différences de parcours entre garçons et filles sont perçues comme les conséquences directes de leurs différences de goûts, de compétences, d’aspirations. De plus, vu de l’intérieur du système éducatif, les bons résultats scolaires des filles accréditent l’idée que le maintien des inégalités de sexe hors l’école peut difficilement lui être imputé.

     Pour autant, les actions n’ont cessé de se développer. L’académie de Rennes était la première à signer, en juin 2000, une déclinaison de la convention interministérielle. Rapidement, des groupes de travail étaient constitués réunissant des chefs d’établissement, les universités, l’Iufm, divers services de l’État, des associations… Un colloque était organisé à Rennes en 2002, une exposition réalisée en 2003, en collaboration étroite avec l’Anpe et avec le soutien financier de la Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité (Drdfe), du conseil régional et du fonds social européen. Un réseau de correspondant- e-s « égalité filles garçons » se mettait en place dans les collèges et lycées, des formations leur étaient proposées. La collaboration avec Annie Junter, chaire égalité de l’université Rennes 2, apportait l’articulation nécessaire entre réflexion théorique et action. La dynamique nationale, coordonnée depuis la direction de l’enseignement scolaire par Dominique Torsat, permettait une mutualisation des outils développés dans de nombreuses académies et avec l’Onisep. La mise à disposition de ressources, assurait la visibilité du thème et contribuait à fédérer des équipes dans des établissements.

     Au tournant de 2005, le dispositif institutionnel au niveau national s’essouffle5. En Bretagne cependant, portée tant par le rectorat et les services de l’État que par les collectivités, la dynamique se maintient. Ainsi, pour la période 2004-2006, le programme d’action stratégique de l’État en Région (Paser) s’engage à « confirmer la Bretagne à la pointe de la parité ». Le conseil régional s’associe à la signature, en 2005, d’une actualisation de la convention pour l’égalité filles garçons. L’agenda événementiel en direction des publics scolaires se densifie: l’opération 100 femmes 100 métiers, démarrée en 2002 à Saint-Brieuc sur une idée des missions locales des Côtesd’Armor, est devenue un rendez-vous annuel piloté par la Drdfe. Le conseil régional crée « la biennale de l’égalité femmes hommes » dont la première édition se tient à Brest en 2006. Le partenariat avec la Ville de Rennes se concrétise plus particulièrement chaque année autour de la Journée internationale des femmes du 8mars. Au-delà de l’impact de ces divers événements sur le public scolaire, ils constituent une forme de laboratoire de l’égalité pour les professionnel-le-s qui y contribuent. Ils font se rencontrer, penser et agir ensemble des femmes et des hommes issus de structures diverses du secteur public, privé, associatif qui apprennent les un-e-s des autres. Ils font émerger la masse de ressources théoriques et pratiques disponibles pour s’emparer de la thématique, alimentant et élargissant ainsi la chaine des acteurs. Les orientations générales des politiques publiques y sont en quelque sorte « digérées » par les professionnels du terrain qui se les approprient.

« Le printemps de la jupe et du respect »

     Le développement d’actions peut suivre un autre chemin. En effet, si la ségrégation des filles et des garçons sur des spécialités de formation distinctes s’élabore dans une certaine indifférence, l’irruption des corps sexués dans l’espace scolaire est source de désordres. Tenues jugées trop dénudées de certaines filles, réputations salies par des rumeurs, comportements machistes de certains garçons mettent à mal l’idée d’une irrésistible avancée vers des rapports plus égalitaires entre les sexes. Des filles elles-mêmes dénoncent les propos dégradants dont elles sont l’objet. C’est ainsi qu’en 2006 naissait la première « journée de la jupe », à Étrelles, dans un lycée professionnel agricole privé.
     L’initiative de quelques élèves, filles et garçons, allait faire tache d’huile pour diverses raisons: l’association Liberté Couleurs, bien implantée en Ille-et-Vilaine, accompagne la démarche ; le documentaire de Brigitte Chevet, Jupe ou pantalon? rend compte de sa genèse; les médias s’intéressent à l’événement; mais aussi et peutêtre surtout il apporte des réponses à des problèmes partagés dans les établissements. Le succès rencontré par le colloque « Violences sexistes: éduquer les jeunes au respect mutuel6 », organisé en novembre 2007 par le rectorat avec le soutien de la Drdfe et du conseil régional, confirme la volonté des équipes éducatives de comprendre ces phénomènes et de mieux y faire face. Le partenariat de l’académie de Rennes dans ce qui est devenu « Le printemps de la jupe et du respect » est officialisé en 2009. De nouveaux établissements chaque année développent sous ce titre des projets très divers dont le point commun, en plus des valeurs dont ils sont porteurs, est de mettre en avant l’engagement des jeunes. La prochaine édition est programmée du 2 au 28 avril 2013.

Une discrète éducation à l’égalité

     Bien d’autres pratiques, moins visibles, relevant du champ de « l’éducation à l’égalité » s’élaborent dans les établissements, souvent dans le cadre des comités d’éducation pour la santé et la citoyenneté (Cesc), avec les personnels médicaux et sociaux mais aussi avec des professeurs particulièrement engagés. Des associations, des équipements de quartier ou des artistes sont sollicités. La médiation par des animations ou des supports culturels (théâtre, expression graphique, vidéos…) permet en effet de trouver la bonne distance pour aborder des thèmes sensibles, sans intrusion dans l’intimité des histoires de vie. Les collectivités, la politique de la ville, la Drdfe sont partenaires de beaucoup de ces initiatives, encouragées dans les lycées par le conseil régional via le dispositif Karta.
     Le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon l’a rappelé en annonçant que 2013 constituerait une « année de mobilisation pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école »: l’apprentissage de l’égalité concerne tous les niveaux d’enseignement, dès la « maternelle » ou classes préélémentaires. Malgré quelques expériences ponctuelles, la thématique est peu présente dans le premier degré. Ceci doit beaucoup à la place centrale occupée par les problématiques de l’orientation dans le dispositif. Pour autant, le dernier bilan fait émerger des initiatives nouvelles impulsées par les directions des services départementaux de l’éducation nationale (Dsden), basées sur une sensibilisation des adultes.

     Penser l’implication du premier degré conduit à revenir sur la question des enjeux, car si, au bout du bout, améliorer l’égalité professionnelle et prévenir les violences sexistes ou sexuelles reste un horizon, ce n’est pas sur cette base qu’il est possible de mobiliser largement. Depuis la fin des années 1980 en France, la sociologie a construit un champ scientifique autour de l’axe: éducation et rapports de sexe. Ainsi, Claude Zaidman s’est intéressée au quotidien dans des écoles primaires pour analyser leur fonctionnement au regard de la différence des sexes. Alors que le principe universaliste de ne faire « aucune différence » entre élèves prévaut entre adultes, elle observe comment le système féminin/masculin structure pourtant fortement l’occupation des espaces comme les relations entre enfants, entre adultes ou entre enfants et adultes. Plus récemment, Sylvie Ayral a consacré une thèse en sciences de l’éducation à la question des sanctions en milieu scolaire: pourquoi les trois quart d’entre elles ciblent- elles des garçons ? Les travaux de ces deux chercheures parmi bien d’autres repositionnent les enjeux.