La création d’opérations d’aménagement et la délivrance d’autorisations d’urbanisme suscitent, de manière inévitable, les réactions exacerbées de ceux dont le cadre de vie va être modifié. Il est alors assez naturel qu’ils usent de toutes les possibilités juridiques ouvertes, dont le contentieux, pour préserver leurs biens et leur environnement. Les surcoûts et retards générés par des procès qui traînent parfois en longueur ont néanmoins conduit les pouvoirs publics à multiplier les mécanismes de sécurisation des projets. Depuis 1994, des dispositions législatives ont régulièrement été édictées, à la fois pour limiter l’exercice des recours et faciliter la régularisation des actes dont l’illégalité est pourtant constatée. L’ordonnance du 18 juillet 2013 et la loi ALUR du 24 mars 2014 s’inscrivent pleinement dans cette logique de cadrage plus strict du contentieux administratif de l’urbanisme.
L’une des stratégies les plus classiques de sécurisation des opérations d’urbanisme consiste à limiter l’accès au prétoire. La contestation d’une autorisation devant la juridiction administrative suppose, en effet, que le recours soit exercé dans un délai de deux mois par un requérant qui justifie d’un intérêt à agir et qui a notifié préalablement ses arguments au bénéficiaire et à l’auteur de l’acte attaqué. À défaut, la requête est irrecevable et la pertinence des arguments présentés ne sera pas analysée par le juge. L’obligation de notifier les recours, prescrite par la loi du 9 février 1994, n’a toutefois pas permis de réduire significativement le contentieux. Après un certain nombre de clarifications jurisprudentielles et réglementaires, les requérants ont en effet finalement pris la mesure de cette contrainte purement formelle (C.urb., art. R.600-1). Le délai, pourtant bref, pour saisir le juge n’est pas non plus un obstacle si l’usage astucieux – et bien connu — d’un recours administratif préalable a permis sa prorogation. C’est donc assez logiquement que le législateur s’est efforcé d’imposer une appréciation plus rigoureuse de l’intérêt à agir, de prévenir les recours à finalité exclusivement financière et de sanctionner les requêtes abusives.
Les associations et les voisins sont à l’origine des recours les plus nombreux. Le principe de la défense d’intérêts collectifs par des recours associatifs a été admis dès 1906 par la juridiction administrative. La loi du 2 février 1995 a, au surplus, facilité les recours des associations agréées de protection de l’environnement en conférant à ces groupements un intérêt à agir automatique lorsqu’ils contestent un projet autorisé dans leur champ territorial (C.envir., art. L.142-1). Des restrictions nouvelles ont cependant été édictées par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Il s’agit notamment de déjouer la stratégie de constitution d’associations de circonstances, créées uniquement pour avoir intérêt à agir car un recours individuel ne pourrait pas satisfaire à cette exigence. Ainsi, le recours sera déclaré irrecevable si les statuts de l’association n’ont pas été déposés en préfecture avant l’affichage en mairie de la demande d’autorisation (C.urb., art. L.600-1-1).
L’ordonnance du 18 juillet 2013 portant réforme du contentieux de l’urbanisme vise, parallèlement, à imposer une conception plus stricte de la qualité de voisin qui a, jusque-là, fait l’objet d’une appréciation jurisprudentielle bienveillante. En effet, la qualité de voisin n’est pas circonscrite aux seuls riverains du terrain sur lequel la construction est autorisée ; elle peut être reconnue à des résidents d’autant plus nombreux que le projet est de dimensions importantes et par conséquent visible de loin. Au titre de ces critères très concrets, le juge a régulièrement admis l’intérêt à agir de requérants résidents à plusieurs centaines de mètres du projet contesté (par exemple jusqu’à 800 mètres d’un futur centre commercial : CE 24 juin 1991, n° 117736). Aux termes de l’ordonnance, le détenteur ou occupant d’un bien, son futur acquéreur ou locataire n’a intérêt à agir que si le projet qu’il conteste affecte directement ses conditions d’occupation, d'utilisation ou de jouissance. Cet intérêt à agir doit, au surplus être apprécié en principe à la date d’affichage de la demande d’autorisation (C.urb., art. L.600-1-2 et L.600-1-3). Les commentateurs considèrent cependant unanimement que le voisinage direct des travaux autorisés reste suffisant pour caractériser l’intérêt à agir d’un tiers, car cette circonstance implique que le projet contesté est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien du requérant. Le voisin immédiat n’a donc pas à démontrer l’existence de troubles potentiels de voisinage (CAA Lyon 5 nov. 2013, n°13LY01020). Cette nouvelle exigence est, en réalité, circonscrite aux recours des requérants qui ne sont pas les voisins directs et qui devront en revanche alléguer une perte de vue, d’ensoleillement, ou une détérioration des conditions de stationnement et de circulation dans le secteur concerné par le projet.
Les restrictions récentes en matière d’appréciation de l’intérêt à agir sont donc très relatives, d’autant que l’ordonnance les a maladroitement circonscrites aux permis de construire, en excluant leur application pour les projets soumis au régime de l’autorisation simplifiée de construire qu’est la déclaration préalable de travaux.
L’introduction d’un recours contre les autorisations d’urbanisme dans le but exclusif d’exercer des pressions financières sur leurs bénéficiaires renchérit, depuis des années, les difficultés de mise en oeuvre des opérations d’aménagement et, bien entendu, leur financement. Les professionnels de l’immobilier, principalement visés par ces pratiques, ont été conduits de fait à provisionner dans leurs budgets le « prix » du renoncement à l’action en justice, afin de ne pas prendre le risque de s’engager dans des actions contentieuses au long cours et dont l’issue comporte toujours son lot d’aléas. Selon les opérations, des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros peuvent être demandées pour retirer une requête. Pour autant, il n’a jamais été envisagé d’interdire, par principe, les transactions que pourraient conclure les constructeurs avec des requérants potentiels. Pour la plupart, ces accords sont, en effet, parfaitement légaux, même s’ils se concrétisent uniquement sur le plan financier. La transaction intervenue à propos de la construction de l'immeuble Cap Mail de Jean Nouvel à Rennes illustre l’intérêt d’un tel accord lorsque le projet autorisé viole, de manière manifeste, les droits des propriétaires riverains. La modification négociée du projet ou l’octroi d’un dédommagement est à l’évidence préférable à la démolition qui était encourue.
L’introduction d’un recours contre les autorisations d’urbanisme dans le but exclusif d’exercer des pressions financières sur leurs bénéficiaires renchérit, depuis des années, les difficultés de mise en oeuvre des opérations d’aménagement et, bien entendu, leur financement. Les professionnels de l’immobilier, principalement visés par ces pratiques, ont été conduits de fait à provisionner dans leurs budgets le « prix » du renoncement à l’action en justice, afin de ne pas prendre le risque de s’engager dans des actions contentieuses au long cours et dont l’issue comporte toujours son lot d’aléas. Selon les opérations, des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros peuvent être demandées pour retirer une requête. Pour autant, il n’a jamais été envisagé d’interdire, par principe, les transactions que pourraient conclure les constructeurs avec des requérants potentiels. Pour la plupart, ces accords sont, en effet, parfaitement légaux, même s’ils se concrétisent uniquement sur le plan financier. La transaction intervenue à propos de la construction de l'immeuble Cap Mail de Jean Nouvel à Rennes illustre l’intérêt d’un tel accord lorsque le projet autorisé viole, de manière manifeste, les droits des propriétaires riverains. La modification négociée du projet ou l’octroi d’un dédommagement est à l’évidence préférable à la démolition qui était encourue. L’ordonnance du 18 juillet 2013 se borne donc à obliger les bénéficiaires de « dédommagements » ou d’avantages en nature à les déclarer aux services fiscaux (C.G.I., art.635 et 680). À défaut, les sommes versées sont réputées sans cause, ce qui permet à leur débiteur et aux acquéreurs successifs du bien d’en obtenir la restitution pendant cinq ans (C.urb., art. L.600-8). Il est encore trop tôt pour mesurer l’efficacité d’un dispositif qui reste essentiellement dissuasif.
L’ordonnance du 18 juillet 2013 se borne donc à obliger les bénéficiaires de « dédommagements » ou d’avantages en nature à les déclarer aux services fiscaux (C.G.I., art.635 et 680). À défaut, les sommes versées sont réputées sans cause, ce qui permet à leur débiteur et aux acquéreurs successifs du bien d’en obtenir la restitution pendant cinq ans (C.urb., art. L.600-8). Il est encore trop tôt pour mesurer l’efficacité d’un dispositif qui reste essentiellement dissuasif.
Les requérants qui ont saisi la juridiction administrative et maintiennent leur action, sans avoir aucun intérêt légitime à défendre ni d’arguments réels contre l’acte contesté, peuvent se voir infliger une amende pour recours abusif. Toutefois, la sanction financière encourue est peu dissuasive, puisque d’un montant plafonné à 3 000 euros (C.just. adm., art. R.741-12). L’ordonnance du 18 juillet 2003 a donc permis au bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme contestée de demander au juge qu’il condamne son adversaire à lui verser des dommages- intérêts (C.urb., art. L.600-7). Il n’est plus nécessaire d’exercer à cette fin un nouveau recours comme l’exigeait traditionnellement la jurisprudence (CE 24 nov.1967, Noble, Rec., p. 443). Toutefois, les associations de protection de l’environnement restent à l’abri de ce dispositif nouveau car elles sont présumées agir dans la limite de la défense de leurs intérêts légitimes.
La durée des procès est une circonstance aggravante dont les pouvoirs publics ont pris la mesure dès 2006. En cas de recours, la durée de validité d’une autorisation d’urbanisme est dorénavant suspendue jusqu’au jugement définitif (C.urb., art. R.424-19), ce qui garantit son bénéficiaire contre les conséquences d’une péremption de l’autorisation pourtant validée. En outre, depuis le 1er décembre 2013, le contentieux des permis de construire délivrés dans les communes souffrant d’un déficit de logements est tranché en premier et dernier ressort par les cours d’appels administratives (C.just. adm., art. R.811-1-1). L’accélération du règlement des litiges par la suppression de la « deuxième chance contentieuse » que constitue l’appel sera certainement généralisée si l’expérimentation prévue pour cinq ans s’avère concluante. Elle est d’ores et déjà la règle pour les permis de construire valant autorisation commerciale (C.urb., art. L.600-10).
Le juge administratif, régulièrement saisi et à qui sont présentés des arguments d’illégalité pertinents, est en mesure de prononcer l’annulation de l’autorisation contestée. Cette décision est redoutable car elle produit des effets rétroactifs : l’autorisation est censée n’avoir jamais existé. Les travaux réalisés sur le chantier deviennent de ce fait illégaux, de même que la construction qui aurait été achevée. Le fait que la juridiction judiciaire – civile ou pénale — soit la seule à pouvoir ordonner la démolition ne tempère pas les rigueurs de ce principe, l’annulation du permis constituant un préalable pour solliciter la démolition (C.urb., art. L.480-13). Dans de telles circonstances, les mécanismes de prévention de l’annulation ou au moins de limitation de ses conséquences apparaissent d’autant plus importants. Les bénéficiaires d’autorisations illégales ne sont, en effet, le plus souvent pas responsables des anomalies commises par les autorités compétentes en matière d’urbanisme.
Les pouvoirs publics ont assez rapidement circonscrit l’efficacité des vices de forme et de procédure évoqués systématiquement par les requérants, car les plus faciles à déceler. Dans les domaines tels que le droit de l’urbanisme et de l’aménagement, où l’action administrative est caractérisée par une grande technicité, le risque d’imperfection formelle ou de procédure est très élevé pour les instructeurs et auteurs des actes administratifs. Dans un premier temps, le législateur a donc sécurisé les documents d’urbanisme qui servent de fondement à la délivrance des autorisations. Ainsi, six mois après l’approbation d’un PLU, ses vices de forme ou de procédure ne peuvent plus être invoqués devant le juge, à l’exception des anomalies majeures affectant l’enquête publique qui permet aux administrés de consulter la version quasi-définitive du document (C.urb., art. L.600-1). Plus récemment et dans une logique élargie, un décret du 1er octobre 2013 permet au juge, à l’initiative du titulaire de l’autorisation contestée, de fixer une date au-delà de laquelle les arguments nouveaux du requérant ne seront plus recevables. Le but est d’endiguer la présentation continue de moyens nouveaux qui rallonge la procédure contentieuse (C.urb., art. R.600-4).
Parallèlement, la jurisprudence administrative se refuse à censurer systématiquement un acte dont seule la forme ou la procédure d’élaboration a été défaillante. L’annulation n’est prononcée que dans l’hypothèse où ce vice a altéré une garantie fondamentale des administrés (en les privant, par exemple, d’une information complète) ou a influé sur le sens de la décision prise par l’autorité administrative (CE, ass., 23 déc. 2011, Danthony, n° 335033). En outre, le législateur facilite de plus en plus largement la régularisation des autorisations de construire illégales. Ainsi, depuis 2006, le juge administratif qui constate que l’illégalité n’affecte qu’une partie du projet et est régularisable par un permis modificatif, se borne à prononcer l’annulation partielle du permis contesté en fixant un délai au pétitionnaire pour obtenir régularisation (C.urb., art. L.600-5). Dans cette logique, l’ordonnance de 2014 franchit un nouveau cap en permettant la régularisation du permis illégal au cours même du procès : le pétitionnaire est autorisé pendant l’instance à solliciter la régularisation par les services administratifs et le permis rectificatif obtenu se substitue à l’autorisation initiale, sans qu’il soit nécessaire de prononcer son annulation (C.urb., art. L.600-5-1). L’intérêt du dispositif a justifié son extension aux documents d’urbanisme, notamment le PLU, par la loi ALUR du 24 mars 2014 (C.urb., art. L.600-9).
Le projet de loi pour la croissance et l’activité dit « Macron » vise enfin à réduire de façon significative les possibilités d’obtenir la démolition des constructions érigées conformément à un permis annulé ou déclaré illégal. Cette action doit, depuis 2006, être exercée, devant le tribunal de grande instance, dans les deux ans qui suivent l’annulation définitive du permis (C.urb., art. L.480-13). Après avoir envisagé de ne la maintenir qu’à l’encontre des constructions implantées illégalement dans les zones à risques et dans les secteurs patrimoniaux, le texte actuellement en discussion au Sénat se contente finalement de réduire le délai de recours à six mois.
Crise économique oblige, face au ralentissement constaté des projets de constructions, le législateur a donc pris la mesure de l’importance du contentieux de l’urbanisme et de sa capacité à nuire au développement de l’offre de logements. L’avenir indiquera si le pari de la « sécurisation » des opérations d’urbanisme est gagné. Il reste toutefois deux autres pistes à explorer : celle de l’arrêt des réformes incessantes qui frappent actuellement le droit de l’urbanisme, avec le lot d’insécurités qu’elles engendrent et celle de l’amélioration de la qualité d’écriture des textes, toute difficulté d’interprétation étant naturellement susceptible de générer du contentieux.