Discrètement mais solidement, la Bretagne prend pied dans l’ère des nouvelles mobilités, non sans contradictions parfois. Après de vifs débats, Rennes vient ainsi d’adopter le principe de l’installation de portiques aux abords de certaines stations de métro, afin de lutter contre la fraude et les incivilités. Nantes a quant elle accueilli début juin le congrès international de villes cyclables et Ploufragan, près de Saint Brieuc, vient d’obtenir la distinction du « Guidon d’or » pour ses pistes cyclables et la généralisation du « cédez le passage » au feu rouge. En périphérie, les pôles multimodaux accélèrent la mutation de leurs gares, transformées en sites stratégiques d’une urbanisation articulée autour de la mobilité. À la suite du projet de Morlaix, au design de mouette dépliant ses ailes reliant les deux quais et qui entre dans sa phase opérationnelle, la gare de Lorient vient de lancer son nouveau programme de Pôle d’Échange Multimodal (PEM). Avec un million de passagers par an, la ville doit aussi faire face comme d’autres à l’afflux de passagers attendus pour 2017. Si l’on retrouve ici les mêmes caractéristiques des autres PEM bretons, le projet lorientais est original par sa voie rapide de transport en commun réservée longeant sur plusieurs kilomètres les voies de chemin de fer, réduisant les temps d’accès aux quais, mais aussi sa liaison directe avec les gares maritimes permettant par exemple de rejoindre Groix. Même les îles bretonnes seront donc desservies et loin d’être oubliées dans la stratégie « Bretagne à Grande vitesse » !
À Bordeaux, l’opération d’intérêt national (OIN) Euratlantique poursuit sa démarche de transformation progressive du vaste territoire bordelais. Ce périmètre de projet a été lancé pour plusieurs dizaines d’années et constitue un cadre stratégique et réglementaire pour initier une large gamme de projets. Parmi ceux-ci, la reconversion tout juste amorcée du site de l’ancien centre de tri postal de Bègles. D’une superficie de presque 30 000 m², le site doit accueillir la nouvelle « cité numérique » de la métropole. Sous l’égide d’Alexandre Chemetoff, l’urbaniste qui fut notamment en charge de l’aménagement des bords de Vilaine à Rennes, cette cité accueillera des entreprises et start-up liées au domaine du numérique, et notamment des FabLab. Le bâtiment principal, restauré, va devenir le « totem » symbole du label French Tech. Voilà une mutation d’usage saisissante, à l’heure où le numérique s’ancre de manière beaucoup plus concrète dans l’espace urbain et en des lieux précis.
Ce n’est pas le seul projet actuel de l’OIN. Sur la rive droite de la Garonne, une ancienne et imposante caserne des pompiers vient aussi d’être classée monument historique dans un site Unesco et va faire l’objet d’un programme d’urbanisme. En revanche, dans ce cas, changement de méthode : ce seront cette fois les jeunes architectes du concours Europan qui dessineront un avenir à ce site disposant d’une magnifique vue sur la rive gauche. De quoi inspirer de futures « OIN » dans l’Ouest ?
Prendre un bain dans un lac de montagne, à Londres, cela vous dirait ? Après l’arrivée de plages dans les principales métropoles européennes, la capitale britannique innove en développant au cœur de son centre un projet d’espace aquatique de plein air qui permettra de se baigner toute l’année, avec des technologies écologiques de purification innovantes. L’étonnante piscine « Of Soil & Water » dans le quartier de King’s Cross s’intègre dans un vaste programme d’aménagement et de requalification de cette zone au Nord-Est de la ville, une opération qui fait participer nombre d’interventions artistiques. La conception de ce lac-piscine, qui va trouver sa place dans un parc arboré, a été confiée au cabinet d’architectes Ooze et à l’artiste slovène Marjetica Potrc, qui la conçoivent comme une œuvre expérimentale intervenant sur un site de renouvellement urbain. La société autrichienne Biotop, spécialisée dans les piscines naturelles, a été retenue pour la réalisation. Techniquement, un dispositif naturel ingénieux permet d’éviter la prolifération des nénuphars : l’eau y est purifiée dans un cycle fermé grâce à des zones humides et des plantes aquatiques situées à proximité. Le bassin, d’une quarantaine de mètres de longueur et d’une dizaine de large devrait pouvoir accueillir 100 nageurs. Pas sûr qu’il y ait foule les mois gris : l’eau étant chauffée… à la température naturelle du climat !
Mutualisation, partage, collaboration sont devenus des maîtres-mots omniprésents dans la fabrique de la ville. En matière de parking, cela donne parfois des résultats originaux, comme dans la commune de Tillé, à proximité de l’aéroport « low cost » de Paris-Beauvais. Un phénomène spontané d’offre de parkings partagés et légèrement rémunérés s’est développé à toute vitesse dans les lotissements de la commune. L’affaire est simple : lassés de payer des tarifs exorbitants d’accès aux parkings officiels, les futurs passagers de vols sont venus toquer aux portes des habitants en les sollicitant pour laisser leur voiture personnelle dans leur jardin, moyennant quelques euros. Au total, près de 1 500 voitures stationneraient depuis sur le sol de la petite commune, parfois bien entassées les unes contre les autres. Bien sûr, cette prolifération ingénieuse d’une véritable offre de parking – avec gardien de surcroît ! – n’a pas été complètement du goût des autorités locales, soucieuses entre autres de sécurité incendie. En revanche, elles ne se sont pas opposées au principe : elles ont au contraire engagé une révision du SCOT et du PLU pour limiter « l’offre » des propriétaires à 10 places et leur imposer quelques distances de sécurité. Résultat : l’aéroport a divisé par 2 ses tarifs de parkings ! Il y a donc du bon, pour l’urbanisme, dans les initiatives spontanées. La Mairie de Paris, elle, a anticipé en quelque sorte le phénomène, en lançant tout récemment un appel d’offres pour réaliser 200 places de stationnement dédiées à des sociétés d’autopartage. L’aménagement du parking est à l’initiative de la collectivité dans le cadre de son plan « antipollution », et les entreprises d’autopartage pourront bénéficier d’emplacements, moyennant une redevance. La différence avec un service de location ? Il s’agit ici d’un stationnement provisoire d’une durée d’une journée maximum, et non bien sûr d’un espace de stockage de la flotte d’un loueur de voitures.
Les concepts se suivent mais sans toujours se ressembler ! La cascade apprivoisée de Singapour est surprenante : ce projet porté à l’horizon 2018 doit transformer le terminal 1 de l’aéroport de la ville-État asiatique en un gigantesque centre commercial. Sur plus de 134 000 m², une jungle urbaine est censée proposer des restaurants, des boutiques de luxe et de shopping, des centres de sport… Bref, de quoi renouveler l’expérience de ces espaces d’attente entre deux vols. L’originalité au cœur de ce projet consiste à imbriquer espaces verts et lieux de commerces, avec des chemins sinueux permettant de s’y perdre comme dans une forêt tropicale. Une occasion de renforcer l’image de « ville-jardin » promue par la ville. C’est tout le terminal qui va être redessiné sous un vaste dôme surmontant une cascade géante dotée d’effets de lumière, de milliers d’arbres et plantes différentes, sur 5 étages. Les maisons-iceberg n’en sont pas le prolongement mais plutôt une tentative de réponse, dans les villes anglaises et notamment à Londres, aux difficultés de construire en hauteur. Ce phénomène intéressant et instructif a de quoi faire réfléchir : ne pouvant surélever certains programmes de logements ou immeubles, leurs riches propriétaires creusent et aménagent des étages inférieurs dans les sous-sols de leurs villas pour les doter de luxueuses piscines, de salles de cinémas, de grands garages destinés y exposer leurs véhicules de collection. La tendance n’est pas anecdotique, avec des centaines de chantiers par quartiers, au point d’inquiéter quelque peu les autorités : des effondrements sont régulièrement à déplorer dans les égouts, et le voisinage apprécie fort peu ces travaux bruyants. Le quartier londonien de Kensington & Chelsea est le seul pour l’instant à avoir adopté une législation limitant l’habitat en profondeur.
La célèbre ZAC Paris Rive Gauche à Paris franchit une nouvelle étape. Mise en place dans les 1990, elle va constituer un modèle du genre en urbanisme par son ampleur, sa durée et par les nouvelles orientations préconisées par certains de ses urbanistes-concepteurs. Christian de Portzamparc défend ainsi l’idée du retour à l’îlot classique dans la conception des formes urbaines. La SEMAPA, société d’économie mixte créée pour l’occasion au moment où Jacques Chirac était maire de Paris, vient en effet de boucler un programme majeur sur le site de la gare de Rungis dans le 13e arrondissement. L’ensemble est composé d’un grand jardin, d’équipements publics (crèche, maison de retraite, centre socioculturel), sur près 4 hectares d’un site désaffecté en bordure des voies ferrées de la petite ceinture. L’Agence Pena Paysages a eu la charge de réaliser le jardin au cœur duquel un plan d’eau de 700 m² alimenté en eau pluviale offre une bulle de verdure dans la densité urbaine. Le traitement énergétique (réseau de chaleur, isolation…) du programme immobilier aurait presque pu permettre de classer le site en écoquartier. Cette réalisation très intéressante vaut le détour, en particulier avec le jeu des petites passerelles qui surmontent le jardin et jouant avec les dénivelés.
Non loin de là, en région parisienne, à Ris-Orangis, un centre commercial pourrait bien être le premier à être classé monument historique. Celui-ci a été conçu par l’architecte Claude Parent, qui avait aussi réalisé celui de Sens dans l’Yonne, tous deux dans les années 1970. L’architecte, ami fidèle de l’urbaniste et philosophe Paul Virilio, avait promu une architecture basée sur l’usage du béton brut et de la fonction oblique. Centres commerciaux, usines… le patrimoine est décidément un monde plein de surprises et d’évolutions.