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Initiatives urbaines
#37
RÉSUMÉ > Marc Dumont est professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à l’Université Lille 1 - Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives de la manière de faire la ville.

     Associez les outils numériques à l’utilisation d’imprimantes 3D et vous révolutionnerez la construction des villes en l’automatisant ! C'est la tendance du moment, à en croire la montée en puissance du recours au BIM (ou maquette numérique). Cette sorte de carte Vitale numérique des bâtiments rassemble toutes leurs normes et caractéristiques techniques (consommations énergétiques, cycle de vie, matériaux…) sur un seul support numérique répondant aux standards de logiciels. En complément des esquisses, plans-masses ou dessins, le recours à la maquette numérique pourrait donc être bientôt généralisé et rendu obligatoire lors des appels d’offres.

     À côté de cela, les innovations sans cesse croissantes autour des imprimantes 3D ont aussi de quoi faire réfléchir. Le robot Hadrian, développé par une société hollandaise à Amsterdam, serait capable de monter une maison en brique en deux jours seulement. Travaillant 24 heures/24, doté de bras intelligents et de lasers calculateurs, il serait capable de couler le mortier, déposer 1 000 briques par heure, et préparer les emplacements pour l’électricité, avec un seul humain nécessaire pour le contrôler. Hadrian se prépare déjà à construire près de 200 maisons en Australie…

     Toujours à Amsterdam, un pont piéton de 7 mètres pourrait être réalisé sur l’un de ses canaux par une start-up de génie civil, MX3D. Basée sur les plans logiciels capables de produire des pièces très complexes, la technologie utilisée exploite une technologie d’assemblage hyper-rapide des pièces par un appareil à soudure au gaz permettant à l’acier de durcir très rapidement. Les deux bras localisés de part et d’autre des rives ont la particularité d’imprimer leur propre structure de soutien, ce qui ouvre aussi la perspective de se lancer dans la construction d’immeubles à partir d’imprimantes 3D. Avec l’amélioration des techniques, on se prête à imaginer une ville construite automatiquement…

     Et Dubaï s’est aussi lancée dans l’aventure avec la première impressionconstruction de bureaux modulaires en 3D dans le pharaonique Musée du futur, en cours de réalisation. Associée à une entreprise chinoise, la capitale des Émirats entend ainsi devenir le premier centre international d’architecture intelligente.  

Quand les villes traquent les économies

     Pour récupérer quelques zéros sur les chiffres de leurs budgets, les villes ne sont décidément pas à court d’idées. À Montluçon, les feux tricolores d’une cinquantaine de carrefours vont être ainsi éteints pour réduire la facture. Dans cette petite ville de l’Allier, l’annonce de la baisse des subventions de l’État aux communes avait fait l’effet d’un coup de massue au moment de boucler le budget communal d’un peu plus d’un million d’euros. La commune a donc exploré la piste a priori improbable des signalisations pour la circulation, et là, surprise ! En remplaçant des feux tricolores par des balises « cédez le passage », et en poursuivant aussi le remplacement des lampes de feux existants par des LED moins consommatrices, la ville a réussi à économiser près de 17 000 euros par an.

     À Roubaix, on compte davantage sur des Sherlock Holmes en herbe pour conjurer le phénomène des décharges sauvages, coûteuses en tournées supplémentaires autant que signes d’incivilité et de mauvaise image pour la ville. Des détectives privés y ont été recrutés pour pister les contrevenants. En planque à proximité de ces dépôts improvisés, ces policiers d’un genre nouveau guettent le jour (et la nuit) les quelques habitants prêts à se soulager clandestinement d’un vieux canapé usé ou de poubelles par trop remplies, dans un des culs-de-sac de la ville ou bien directement dans le canal. Photographiant les fautifs, les détectives les suivent jusqu’à leur domicile où ceux-ci recevront une amende de 450 à 1 500 euros. Reste à savoir si le coût des amendes réussira à recouvrir celui du salaire de ces détectives… Aux Pays-Bas, on mise davantage sur les routes. Plutôt que d’utiliser de l’asphalte polluant et coûteux, la ville de Rotterdam va expérimenter des PlasticRoad, des routes en plastique s’assemblant très rapidement comme des pièces en Lego, résistant mieux aux fortes chaleurs et ayant une durée de vie plus longue que les routes actuelles, tout en coûtant bien moins cher à réaliser. Le procédé est des plus économiques, puisque la principale matière première de la PlasticRoad est composée de bouteilles d’eau en plastique jetées à la mer, récupérées et recyclées. Seul bémol, pour l’instant, l’adhérence n’est pas toujours au rendez-vous, ces routes en plastique pouvant encore s’avérer plutôt glissantes les jours de pluie.  

Florilèges de solutions vertes antipollution

     Ces derniers mois ont vu se développer en urbanisme les technologies « green », sorte de composants capables de transformer de manière active les pollutions urbaines en particules totalement neutralisées. Ainsi, Marseille, Tarbes et Toulouse testent actuellement des dalles de parking capables d’absorber une partie des particules fines émises par les voitures. Dénommées Ecogranic, ces dalles transforment les polluants en sel et en eau. Cette technologie est déjà utilisée sur un mur antibruit du périphérique à Paris, près de la Porte des Lilas, et sur les parois à base de dioxyde de titane de certains immeubles, notamment un hôpital à Mexico.

     Ces procédés, très intéressants, ouvrent la perspective de bâtiments antipollution recyclant l’air ambiant de manière significative. Ils ont cependant quelques limites dans le traitement des particules fines, comme le dioxyde et le monoxyde de carbone, molécules trop instables ou trop fines. En complément de ces perspectives, d’autres villes poursuivent leurs objectifs de végétalisation comme à Paris où la municipalité s’apprête à faire des Parisiens les jardiniers de ses murs et voiries. L’idée, mi-marketing mi-inventive, consiste à encourager la tendance aux « guerillas gardens » : les habitants seraient incités à semer et planter partout grâce à la distribution de kits de plantation incluant de la terre et des graines. Pour se concrétiser, l’idée doit toutefois être votée par le Conseil de Paris.

     Autre piste, les maisons de l’architecte hollandais Raimond de Hullu. Derrière un nom de code qu’on croirait sorti d’un roman de science-fiction, OAS1S promeut un modèle d’habitat arborescent, caché par la végétation pour se fondre dans la nature tout en utilisant les énergies renouvelables et du bois recyclé, bannissant les voitures et donc situé en toute proche périphérie des métropoles. Si ce projet n’a pas encore trouvé de zones de réalisation, l’architecte s’est déjà fait remarquer par le sérieux de ses maisons dans les arbres dans un Center Parc de Haute-Vienne récemment ouvert.  

Piétons, cyclistes… Gare aux embouteillages !

     Les changements induits par la mobilité dans les villes ne cessent de nous étonner. Désormais, après avoir encouragé l’usage du vélo, il semble nécessaire de le réguler voire de le modérer dans certaines zones urbaines où celuici entre en conflit avec les piétons. C’est déjà largement le cas en Europe du Nord mais aussi à Strasbourg où les services municipaux reçoivent de plus en plus de plaintes de la part de piétons, au point que la ville expérimente actuellement des stationnements pour vélo d’un nouveau genre, aux portes de l’hypercentre. Des arceaux spéciaux permettant de garer 6 vélos plutôt que 2 y ont été implantés, proposant 500 places supplémentaires de parking dans une ville qui accueille par ailleurs de plus en plus de vélos-cargos, plus encombrants. Ces nouveaux points de stationnement sont en cours de test et attendent les avis des usagers.

     Quand ce ne sont pas les cyclistes, ce sont les piétons eux-mêmes qui se menacent ! On note qu’un nombre croissant de personnes à pied en ville est en effet rivé à leur smartphone, heurtant leurs voisins ou un poteau, voire une voiture. Face à ce phénomène, la ville d’Anvers va-t-elle leur réserver des voies spéciales sur ses trottoirs ? Les pistes « smartables » (text walking lane) qui y ont récemment été mises en place de manière éphémère étaient en réalité un coup marketing d’une société de téléphonie mobile, copiant de manière amusante ce qu’avait déjà réalisé l’année dernière la ville de Chongking en Chine. De quoi cependant alerter sur un phénomène bien réel. Toujours dans la mobilité, les nouveaux abribus intelligents et connectés commencent à être implantés à Paris. Dotés de ports USB et dessinés par le designer Marc Aurel, en forme de platane, ces abribus doivent permettre de donner une foule d’informations aux usagers en attente (trajets, horaires, état de la circulation, cartes interactives…) intégrant entre autres les informations sur les stations Vélib' situées à proximité ainsi, bien sûr, que des écrans publicitaires. Des esprits malicieux avancent aussi que ces abris bourrés de technologies perdent un peu leur fonctionnalité et ne protègent plus vraiment de la pluie ou du vent. À tester, donc !  

Les étudiants, nouveaux concepteurs urbains ?

     Le transfert à des étudiants de tâches de conception et d’innovation en matière d’urbanisme est un phénomène récent et de plus en plus significatif. Cette tranche d’âge serait-elle plus créative que les seniors chevronnés de la profession ? En tout cas, les projets les faisant participer se multiplient, comme à Toulouse avec cette offre de sightjogging en cours de développement en partenariat avec l’Office de tourisme. Le sightjogging consiste à se cultiver tout en courant à pied, les joggeurs pouvant écouter des audioguides tout au long de leurs parcours. À partir de l’idée originale d’un groupe d’étudiants de la Toulouse Business School, différents itinéraires ont été définis en commun avec la ville et expérimentés auprès du grand public, qu’ils soient joggeurs ou touristes. A priori plutôt éloigné de l’exploitation facile d’une main-d’œuvre à bas coût, ce projet est l’occasion pour ces étudiants de se lancer dans la création de leur propre start-up. Même démarche à Lille où le projet d’un système de récupération des eaux de pluie, réalisé par des étudiants de la Haute école d’art et de design de Genève, vient d’être primé et implanté dans le cadre de la ferme urbaine du projet de la gare Saint-Sauveur. Ces jeunes lauréats du concours Design for change s’étaient mis au travail sur la thématique de l’année portant sur la ville et l’agriculture. Le projet de cette ferme urbaine est d’ailleurs intéressant : celle-ci a été installée, de manière transitoire, sur la friche de l’ancienne gare Saint-Sauveur afin de servir de lieu « laboratoire » pour expérimenter de nouvelles formes de cultures (verticales, permaculture, récupération et redistribution des eaux de pluie…). Le temps que l’aménagement très long du site prenne davantage forme.  

Lyon fait décoller l’économie numérique

     Parmi les villes misant sur le numérique pour leur développement économique, Lyon fait partie de ces métropoles ayant su astucieusement tirer parti du label de la French Tech. Dans le secteur de la Confluence, toujours en plein renouvellement urbain, la métropole va en effet ouvrir d’ici deux ans une sorte de Silicon Valley en modèle réduit autour de la Halle Girard. Les près de 4 000 m² de cette ancienne usine seront loués à des start-up à un prix très accessible, tout en permettant aux entreprises déjà intégrées au réseau French Tech de se structurer. Le site accueillera aussi une résidence de chercheurs internationaux, le tout basé sur le désormais célèbre modèle des quartiers de la création, mais cette fois exclusivement dédié au numérique. La métropole n’en reste d’ailleurs pas là puisqu’elle vient en parallèle de lancer en partenariat avec Boston un concours de start-up, Big Booster. Avec 100 000 euros à la clé, les jeunes start-up qui peuvent y participer doivent disposer d’un prototype qu’elles ont déjà conçu dans les domaines de la santé, de l’environnement ou du digital, qui soit en lien avec les domaines d’excellence de ces deux métropoles, et doivent aussi disposer d’une ambition internationale. À titre de comparaison, la métropole lyonnaise dispose de 7 000 entreprises et 42 000 emplois dans le numérique, avec certaines start-up dans le domaine du numérique désormais internationalement reconnues, comme Nightswapping, implantée à la Croix-Rousse et qui vient de lancer une nouvelle levée de fond. Créée par un Lyonnais, cette plate-forme de troc de nuits entre particuliers est l’équivalent du tourisme collaboratif, en milieu urbain : non-monétaire, à la différence d’AirBnb, elle illustre parmi d’autres, la montée en puissance d’une économie collaborative.