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Initiatives urbaines
#37
Vilaine Aval : récit d’un parc nature autour d’un fleuve mal-aimé
RÉSUMÉ > Un grand parc naturel serpentant sur 25 kilomètres le long de la Vilaine, mêlant loisirs et patrimoine, à la fois bulle d’oxygène pour les habitants de la métropole et destination touristique : voici l’idéal auquel aspire Rennes Métropole avec le projet Vilaine Aval. Sur le papier, du moins. Qu’en sera-t-il sur le terrain ? Décryptage des premières étapes de ce chantier au long cours.

     Vilaine Aval ? Un drôle de nom, pour un projet méconnu. Si certains, dans les communes concernées, ont eu vent de ce projet d’aménagement de la vallée de la Vilaine, celui-ci reste inconnu du grand public. Et pour cause : peu de communication sur le sujet pour l’instant, hormis quelques rares évocations lors de réunions publiques et un article dans la revue de Rennes Métropole. Le dossier est pourtant dans les tuyaux de l’administration métropolitaine depuis 2012. Mais il n’est réellement entré dans sa phase concrète qu’en fin d’année dernière.  

     Se pencher sur le sujet relève du jeu de piste : pas toujours évident de comprendre qui fait quoi, entre les sept communes partageant la maîtrise d’ouvrage avec Rennes Métropole (Bruz, Saint-Jacques-de-la-Lande, Rennes, Le Rheu, Chavagne, Vezin-le-Coquet et Laillé), les paysagistes de l’agence TER, l’agence Cuesta et les architectes du Bureau Cosmique – ces deux derniers intervenant en médiation culturelle. Pas facile, non plus, de cerner le visage de cette future zone mêlant loisirs et nature au cœur de l’agglomération : Vilaine Aval a déjà connu plusieurs vies, et pourrait encore évoluer à l’avenir. Mais on peut déjà brosser à grands traits son portrait-robot : une aire de 3 500 hectares, longue de 25 kilomètres, encadrant la Vilaine de Rennes à Laillé. Avec, au cœur de ce périmètre, deux itinéraires permettant de découvrir cette vallée aujourd’hui morcelée. Le premier, baptisé Voie des Rivages, se veut une alternative au chemin de halage « en se déployant dans l’épaisseur de la vallée », selon l’agence Ter. Il relierait des étangs aujourd’hui peu accessibles, les berges de la Vilaine et autres plans d’eau. Le second, appelé Voie des Terres, comprendrait une trentaine de kilomètres de voies douces au cœur des zones agricoles et rurales. Le tout s’articulant autour de trois lieux emblématiques : les étangs d’Apigné, Cicé et le Boël.  

     Une fois ce squelette dessiné, se pose la question de la nature du projet : un simple parc ? Davantage ? La réponse ne cesse d’évoluer depuis trois ans. La cause : la Vilaine n’est pas une évidence sur notre territoire. Longtemps occultée, elle est pour la première fois perçue comme un axe structurant à grande échelle. C’est en étudiant en 2009 le « quadrant sud-ouest », nom technique donné par Rennes Métropole à ce territoire, que « les équipes de l’agglomération ont identifié la Vilaine comme un axe intéressant », relate Kim Dao-Varieras, chargée d’études à Rennes Métropole. « C’était un lieu important, inaccessible, avec peu de perméabilité vers les territoires limitrophes. C’est là qu’on a pris conscience de cette vallée et qu’on a eu l’idée de lancer ce projet dé- dié ». Le dialogue compétitif mené en 2013 voit le groupement dirigé par l’agence Ter emporter la mise avec les Voies des Rivages et des Terres. On parle alors de « parc nature ». Mais aujourd’hui, la terminologie a changé. Vilaine Aval est devenu un « projet de territoire ». Simple nuance de novlangue urbanistique ? Pas tout à fait. Audelà de l’aspect nature, les maîtres d’ouvrage souhaitent désormais mettre en lien les multiples acteurs agissant déjà dans cet espace : entreprises, agriculteurs, pêcheurs, kayakistes, randonneurs, habitants… « Il faut mettre en synergie tout ce monde autour d’un même label. C’est un projet de mise en découverte du territoire », explique Jean-Luc Gaudin, maire de Pont-Péan et vice-président de Rennes Métropole délégué à l’aménagement. En clair ? Il ne s’agira pas d’aménager de simples sentiers, mais de les connecter à des activités existantes sur le territoire afin de créer un véritable réseau possédant une identité propre. « Un exemple : nous avons identifié une personne qui aménage sa ferme familiale en point de cueillette de fruits », décrypte Agathe Ottavi, en charge de la médiation culturelle, « comment son projet pourrait-il entrer dans Vilaine Aval ? L’idée serait de favoriser les connexions ». Mais l’objectif final de Rennes Métropole demeure : faire de cette zone un lieu de villégiature – « des vacances en ville », aime à dire Jean-Luc Gaudin – un espace qui n’existe pas encore à l’échelle métropolitaine. « Nous n’avons pas de grands lacs, nous ne sommes pas Bordeaux ou Nantes. Mais nous avons cette Vilaine qui offre des coins sympas », explique l’édile. Mais qui dit lieu de villégiature, dit nom. L’étrange « Vilaine Aval » n’ayant pas vocation à durer, comment sera baptisée cette portion de la vallée ? Jean-Luc Gaudin éclate de rire. « Si vous avez une idée géniale, nous sommes preneurs ! » Aucun nom, en effet, ne se dégage. Et pour cause.  

La Vilaine, un territoire sans identité

     Fin connaisseur de ce territoire qu’il a exploré de long en large avec ses confrères du collectif Bureau Cosmique, l’architecte Guénolé Jézéquel le résume bien : « il s’agit plus d’un assemblage de territoires qui se juxtaposent et sont invisibles plutôt qu’une vallée ». D’ailleurs, « quand vous parlez de la vallée de la Vilaine, les gens pensent à Messac », souligne-t-il. « Il n’y a pas de perception globale de la vallée », acquiesce Kim DaoVarieras. « Historiquement, les communes ne se sont pas construites vers la Vilaine. À part Pont-Réan, les autres se sont développées en retrait de la rivière », rappelle la chargée d’études de Rennes Métropole. Retrouver un rapport au fleuve, c’est donc tout l’enjeu d’un projet comme Vilaine Aval. Quitte à construire de toutes pièces une identité fantasmée ? « Je parlerai d’une construction dans le maillage, plutôt », nuance Jean-Luc Gaudin, « car tout est là : plein de gens vivent et travaillent sur ce territoire. Notre tâche est de réaliser ce travail de couture fine ». L’effort a été porté, en tout cas, sur la médiation culturelle. Baptisée « Traversée et escales », cette opération réunit une petite exposition itinérante à destination du grand public, et des promenades exploratoires dans les sept communes de Vilaine Aval réunissant des élus, des techniciens et des habitants. L’objectif ? Recueillir des témoignages, des expériences de terrain, des récits divers et variés pour enrichir le tracé des voies et faire émerger un nom et une identité.  

     Le paysagiste Michel Hoessler en convient, la Vilaine ne possède pas un paysage spectaculaire. « On retrouve des hectares comme ça partout en France, sauf l’écluse du Boël qui possède une ambiance mystérieuse. Mais lorsqu’on parcourt cette vallée et qu’on observe les équilibres entre les milieux urbains, agricoles et naturels, ça devient exceptionnel. C’est un mélange de milieux naturels riches et d’héritage industriel avec les gros engins carriers, les moulins, le chemin de halage… Cette superposition de passés et de géographies est intéressante. Sans oublier la dimension agricole qui fait aussi partie prenante du projet ». Le paysagiste l’assure : les Voies des Rivages et des Terres n’entraîneront pas de travaux spectaculaires. La stratégie ? « Amplifier l’existant ». En travaillant par exemple sur la signalisation, en opérant de meilleures connexions des sentiers ou en améliorant l’accessibilité afin de mettre en valeur des points d’intérêts cachés (manoirs, engins industriels, étangs, etc). Même si Michel Hoessler ne désespère pas que son idée de lac puisse voir le jour à Cicé – une option mise en suspens par les élus pour l’instant… Le budget (15 millions d’euros sur dix ans, comparé aux 21,3 millions d’euros des Prairies Saint-Martin) limite de fait les constructions ambitieuses. Pour le paysagiste, engagé par ailleurs sur le dossier d’EuroRennes, le projet Vilaine Aval est « un ovni », de par « son ampleur, la complexité de la maîtrise d’ouvrage, la nature du territoire… ». En raison du processus de conception, aussi. « D’habitude, on programme, on réfléchit puis on réalise les travaux. Avec Vilaine Aval, on superpose les phases », expliquet-il. Lorsque la première partie du parc sera en chantier, l’équipe réfléchira à la seconde et ainsi de suite, tels des épisodes. Ce qui permettra à Vilaine Aval de voir le jour au fur et à mesure dans la décennie à venir. Des premiers travaux doivent ainsi être réalisés prochainement à la Prévalaye, tandis que le tracé définitif de la Voie des Rivages devrait être finalisé à la fin de l’année.  

À Vezin, la longue marche vers la Vilaine

     Vezin-Le-Coquet, un début d’après-midi pluvieux. La petite troupe s’est donné rendez-vous à la mairie. Chaussures de randonnée aux pieds, K-Way sur le dos, la quinzaine de Vezinois écoute Namgyel Hubert, chef de projet de l’agence Ter, expliquer les objectifs de cette promenade qui les mènera jusqu’à la Vilaine. Parmi eux, des élus, des retraités, un adhérent du magasin biologique Brin d’Herbe… « On a prévu un itinéraire, mais vous pouvez le faire évoluer. Le but est de recueillir vos avis, vos intérêts et de savoir quelles activités ce chemin pourrait accueillir », détaille Namgyel Hubert, carte en main. Alors que le soleil perce à travers les nuages, le groupe entame son expédition vers la Vilaine, située à quelque trois kilomètres à vol d’oiseau. La première partie du trajet s’étire entre les lotissements proches du bourg et traverse le parc de Boaré. La coquette promenade laisse ensuite la place au bitume du complexe sportif, puis au chemin qui longe la station d’épuration. Là, le groupe retrouve un sentier balisé bordé de genêts. « La commune sera peu impactée par Vilaine Aval car elle ne partage qu’un petit espace avec la Vilaine. Mais c’est une manière pour elle de s’intégrer dans une dynamique d’ensemble », estime Jean-Yves Landeau, chargé de mission et référent du projet à la mairie, tout en marchant d’un bon pas. Un peu plus loin, Gérard Dejoux sillonne les lieux en connaisseur. Le président de l’Amitié Vezinoise, le club des retraités, participe à l’association locale des randonneurs. Son intérêt pour Vilaine Aval ? « Si les sentiers sont matérialisés, ils seront mieux entretenus. Nous, on le dit déjà à la mairie : on passe par tels ou tels chemins, il faudrait les baliser ».  

     Les marcheurs s’engagent alors sous la voie ferrée et quittent le bourg pour la campagne. Quelques mètres plus loin, ils croisent la Flume, la rivière vezinoise. Un sentier, laissé libre par un agriculteur, permet de la longer quelques minutes puis le chemin s’arrête : propriété privée. « Dans le temps, il y avait une tolérance, on pouvait passer », regrette Gérard Dejoux. En un instant, l’inaccessibilité de la Vilaine prend tout son sens : les étangs d’Apigné ne sont qu’à un kilomètre, mais ils paraissent une destination impossible. Le seul moyen de les rejoindre ? Un long détour par la zone industrielle de la route de Lorient… ou la voiture. Il y aurait bien une autre solution, pointent les retraités : un passage au-dessus de la Flume, là, tout près… « L’agriculteur est d’accord pour laisser un passage sur son terrain, mais c’est la comtesse qui ne veut pas », expliquent-ils. Une mystérieuse comtesse qui bloquerait tous les projets de sentiers depuis plusieurs années. Soudain, on sent que l’on touche le point sensible de cette balade. « Une passerelle au-dessus de la Flume, ça, ce serait bien pour les Vezinois ! Notre Flume, elle est emboisée. Si on avait un sentier qui la longeait, ce serait formidable », résume Daniel, paysan retraité, face aux membres de l’équipe Vilaine Aval qui prennent note. Le meilleur moyen de tracer un nouveau sentier étant de l’emprunter, voici le groupe parti à travers champs. Prochaine étape ? La cale des Maréchales. « On faisait venir par la Vilaine du tuffeau de la Loire et du schiste du Boël. La cale, aujourd'hui en friche, a fonctionné jusqu’en 1913. La maison de mon père, par exemple, a été construite en 1905 avec du schiste du Boël », raconte Fulbert Thouanel, mémoire vivante de Vezin. « Il y avait aussi une plage à la cale de la Motte, les gens venaient se baigner dans la Flume autrefois », se souvient un autre habitant. Cahin-caha, les marcheurs traversent la route de Lorient et la zone industrielle pour finalement arriver à la confluence de la Flume et de la Vilaine, à deux pas des étangs d’Apigné. À quoi servira cette promenade ? « À enrichir notre réflexion sur le tracé de la Voie des Rivages », promet l’équipe de Vilaine Aval. Namgyel Hubert, de l’agence Ter, a reporté sur sa carte chaque lieu visité ou évoqué. Alexandra Cohen, de l’agence Cuesta, a, elle, enregistré tous les échanges et interrogé le groupe sur la mémoire des lieux. Avant Vezin, l’équipe avait déjà organisé ces promenades exploratoires à Saint-Jacques, au Rheu et à Chavagne. Elle les poursuivra à Rennes, Laillé et Bruz pour comprendre comment relier au mieux ces communes à la Vilaine. Une initiative baptisée « Traversées et escales », et qui s’accompagne d’une petite exposition mobile. Après Vents de Vilaine et les Tombées de la Nuit en juillet, elle sera présentée au moulin de Champcors début octobre et à Rennes en novembre.