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Initiatives urbaines
#38
RÉSUMÉ > Marc Dumont est professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à l’Université Lille 1 - Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives de la manière de faire la ville.

    En Seine-Saint-Denis, une expérimentation de l’immobilière 3F vaut le détour. C’est à l’Île Saint-Denis, sur une tour de 14 étages de 80 logements, que le groupe immobilier a déployé un mur entier de cellules photovoltaïques, sur 250 m² et de manière presque invisible. Grâce à une production avoisinant les 20 000 kW/h annuels, l’immeuble fonctionne désormais en autoconsommation, mais seulement pour toutes ses parties communes. La puissance relative des capteurs de ce « gratte-soleil » limite donc en partie l’intérêt du recours à cette technologie. Elle présente cependant l’avantage de créer des emplois locaux et d’engager une démarche plus soutenue d’inversion de tendance dans le bâtiment, secteur fortement générateur de gaz à effet de serre.

    Lyon, ville fluviale, inaugure de son côté une intéressante résidence fabriquée à partir de conteneurs maritimes. L’association Habitat et Humanisme est à l’initiative de ce programme de logement sociaux peu coûteux et construits en moins de six mois. Les nouveaux logements accueillent des familles monoparentales et des personnes en réinsertion, un bonheur pour plusieurs d’entre elles que de pouvoir enfin disposer d’un logement plutôt que de vivre en foyer. Toujours dans l’habitat, Bordeaux prend de la hauteur avec une foule de petits gratte-ciel en prévision. La tour In Nova doit être construite d’ici un an et demi dans le quartier en pleine effervescence de la gare Saint-Jean et sera l’une des plus hautes de la ville après celle de la cité administrative. Suivra la réalisation d’une tour en bois de 17 étages dont l’appel à projet vient d’être lancé par la structure en charge de l’aménagement du périmètre Euratlantique, puis, rue Saget, d’une tour réalisée par Jacques Ferrier, et encore une autre sur les Bassins à Flot.  

Agriculture urbaine : les idées fusent

     Des formes de cultures très originales se développent en ce moment en milieu urbain où, par exemple, l’apiculture devient une véritable niche pour start-up en herbe. Ainsi, après Urban Farm au Luxembourg, en Suisse, dans le canton de Vaud et à Genève, deux petites sociétés (Bees4You et CitizenBees) ont contacté de grands groupes comme Migros (équivalent du groupe Auchan en France) pour les convaincre d’implanter des ruches sur les toits de leurs centres commerciaux ou de grands locaux d’entreprises situées en zones suburbaines. Les résultats sont éloquents, avec près de 600 kg de miel récoltés sur la période estivale. Plus étonnant encore est la composition de ces ruches, bardées de capteurs en tous genres qui permettent un suivi en temps direct de leur production, sur un ordinateur connecté à Internet. Et les salariés, pendant leur pause, peuvent observer des ruches situées sur leurs terrasses à l’extérieur. L’apiculture urbaine est, certes, ludique, mais pas anecdotique : le rôle des abeilles est important pour l’équilibre des écosystèmes. Mieux ! Elles filtrent parfaitement toutes les pollutions pourtant largement récoltées par les fleurs. La nature, toujours plus technique, c’est aussi celle que proposent ces étranges cultures produites en aéroponie, dans les fermes Aerofarms, en proche banlieue de New York. Ici, tout pousse sans lumière et… sans terre ! Le principe est simple : des tissus imperméables sont couverts de graines qui germent et se développent sous l’effet d’éclairages LED et d’une brume d’eau et d’engrais bio. Chaque semis et récolte viennent nourrir une gigantesque base de données électronique gérée par l’équipe de nouveaux agriculteurs composés d’horticulteurs, d’informaticiens, d’ingénieurs ès-LED ! Une source de big data qui permet de régler toujours plus finement l’alimentation en nutriments et en oxygène des plants. Plus de 200 variétés de légumes verts sont produites (épinards, choux, salades…) dans ces incroyables fermes hightech qui se déploient dans d’anciens sites industriels comme dans l’ancienne usine d’acier de Newark. Les débouchés sont promoteurs, spécialement pour les zones urbaines menacées à terme par la sécheresse.  

     Les financements participatifs ont le vent en poupe, mais on se demande parfois s’ils ne viennent pas excessivement pallier les déficiences de l’intervention publique, comme à Lassalle dans les Cévennes. Les habitants de cette petite commune s’y sont récemment mobilisés pour conserver leur unique et vitale station-service, menacée de fermeture à cause des contraintes de mise aux normes environnementales dont le coût ne pouvait être supporté par son propriétaire gérant. Sur place, tout le monde s’est activé : un promoteur immobilier a créé avec un groupe de commerçants une SARL ouvrant son capital aux habitants et collecté les premiers fonds. Un prêt viendra compléter la somme nécessaire pour les travaux, c’est le prix à payer pour le maintien de cette station qui est aussi un vrai lieu de vie… Démarche différente à Grande-Synthe (Nord), où les habitants sont encouragés, après un premier pas de la mairie, à faire de la ville un immense potager. La collectivité, fière de son titre de « ville zéro phyto », a prêté outils, scies et gants, et mis à disposition des habitants tous les plans nécessaires. En s’appuyant sur les sept maisons de quartier, elle incite tous ses habitants à décorer les jardinières, planter pour que d’autres récoltent, à partager leurs savoirs et investir les lieux de récupération des eaux pluviales ou de compostage pour les bricoler à leur manière.  

De grands projets sous contrainte financière

     La crise est partout, les collectivités territoriales n’ont plus un sou. Qu’à cela ne tienne, de plus en plus de villes cherchent des solutions pour maintenir leurs projets urbains, ou faire mieux avec moins. À Nice, la requalification complète de la promenade des Anglais vient d’être lancée après son inscription au Patrimoine de l’Unesco. Au programme : pistes cyclables, refonte de l’éclairage urbain, nouveaux palmiers… Voilà qui devrait donner une nouvelle touche à ce front de mer vieillissant, avec une programmation en tranches successives plutôt que d’un seul tenant, pour des raisons économiques. Un projet au final fort différent ce que laissaient entrevoir les visions pharaoniques des signatures prestigieuses ayant répondu aux appels à idées lancées par l’agglomération et la ville (Michel Corajoud, Zaha Hadid…).

     Marseille lance aussi la première phase du réaménagement de la partie du Vieux Port destinée à être réservée aux piétons : les quais y seront libérés de leurs barrières pour permettre un large usage de l’espace par les passants et visiteurs, dégagés aussi d’une partie des activités nautiques. Mais certaines réalisations passent à la trappe comme le glacis, petit échangeur routier couvert permettant d’accéder aux voies de carénage, et qui avait été imaginé par l’architecte Norman Foster.

     Toujours au Sud, Nîmes s’était engagée depuis quelques mois dans un vaste débat sur le financement du transport public, visant à trouver des idées permettant d’économiser tout en ne réduisant pas l’offre de transport. Les solutions qui ressortent de ces états généraux sont connues : augmentation des tarifs de manière « raisonnée », suppression de la gratuité au profit de tarifs dits solidaires (Lille vient de faire de même) mais aussi donner la priorité des investissements aux axes les plus fréquentés, en élargissant également sur ces segments les horaires de desserte ou encore… encourager davantage la marche ! Le compte est bon, mais les usagers s’y retrouvent-ils vraiment ?  

     Comment mieux se déplacer ? Après la mise en œuvre de sites internet et calculateurs en tous genres, pas nécessairement très utilisés, la tendance semble plutôt à l’heure des « challenges ». En Nord-Pas-de-Calais, par exemple, dont les réseaux routiers sont saturés aux heures de pointe et où les habitants parcourent en moyenne 30 kilomètres par jour pour aller et revenir de travailler, l’Ademe, la Région et la Chambre de commerce ont mis en place sur une courte période un concours incitant les salariés à venir autrement qu’en voiture sur leur lieu de travail. Des référents mobilités les accueillent et vérifient les moyens utilisés. Treize prix récompensaient les plus ingénieux et multimodaux d’entre eux ! D’autres challenges similaires ont été lancés comme celui du maximum de kilomètres parcourus à vélo en libre-service, à Paris et à Lille où, munit de son mobile, il suffisait de cliquer sur les QR Codes implantés en différents lieux de la métropole et d’accumuler le maximum de kilomètres pour partager ensuite son record sur Facebook. L’idée est originale et anticipe le passage progressif aux plans de mobilité rendus obligatoires pour les entreprises de plus de 250 salariés depuis la loi sur la croissance verte votée cet été. Changer les mobilités passe aussi par de petites mesures, mais redoutablement efficaces. Paris vient ainsi enfin de généraliser le « cédez-le-passage cycliste au feu rouge » dans la plupart de ses arrondissements - mesure notable pour rendre plus fluide l’expérience cycliste dans la capitale, et l’agglomération de Grenoble se distingue avec la généralisation des zones 30. Cette étonnante mesure permet de réduire la vitesse automobile sur l’ensemble du territoire de 43 de ses 49 communes, à l’exception de quelques grands axes maintenus à 50 km/h.