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Initiatives urbaines
#34
RÉSUMÉ > Marc Dumont est professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à l’Université Lille 1 - Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives.

     Créer une ville ex nihilo dans un lieu mystérieux est un thème omniprésent dans la science-fiction. Pourtant, l’Atlantide de Jules Verne ne serait pas un rêve aussi irréaliste que cela, semble vouloir démontrer le groupe de BTP japonais Shimizu. Avec Ocean Spiral, projet fascinant, il vient remettre au goût du jour l’idée de cités sous-marines dans un pays marqué par les événements climatiques majeurs. Ce projet pourrait accueillir au moins 5 000 personnes dans une gigantesque sphère reliée au continent par une grande spirale, en exploitant toutes les ressources présentes au fond des océans. On y trouverait des hôtels, des commerces, des bureaux, des espaces de sports et même des parcs plantés, tout cela à l’abri des brusques hausses de la mer en surface ou des secousses tectoniques. Quand on a visité quelques bunkers souterrains antinucléaires en Suisse, Ocean Spiral apparaît finalement moins absurde que fort coûteuse (20 milliards d’euros).
     Moins futuriste, mais également à l’Est lointain de l’Europe, une ville durable franco-chinoise prend forme en ce moment dans la province centrale de Hubei. Conçu sur le modèle des villes nouvelles françaises, ce projet vise à accueillir 100 000 habitants en périphérie de la grande capitale régionale, Wuhan, comparée parfois à Chicago. Fruit d’un partenariat entre la France et la Chine, tout le savoir-faire français y sera représenté par Arep, l’agence des gares de la SNCF, et d’un bureau d’étude spécialisé, Burgeap, qui seront rejoints plus tard par des grandes entreprises comme Veolia ou Suez. Près de neuf mois seront nécessaires pour réaliser les études environnementales requises. Les autorités françaises comptent beaucoup sur ce prototype géant pour en faire une vitrine des nouvelles approches environnementales de l’urbanisme « à la française ».

Trois petits ponts et puis s’en vont…

     Le premier pont transfrontalier qui va voir le jour entre Strasbourg et Kehl est une prouesse technique. Il franchira le Rhin sur 250 mètres, d’un seul appui, et force l’admiration. Cette contrainte tient au respect de la circulation fluviale intensive du grand fleuve européen. Le pont accueille toutes les formes de déplacements : piétons, vélo, voiture. Sa forme épousera celle des technologies dites « bow-string » aux demi-sphères renversées caractéristiques plutôt que celle d’un hauban qui aurait alors dû être démesurément haut. Dix-huit mois seront requis pour que ce symbole d’un lien transnational finisse de voir le jour, sous l’égide des grandes entreprises françaises Arcadis et Bouygues Travaux Publics. À Lyon, le pont Schumann est quant à lui déjà inauguré depuis la fin 2014. Ce nouveau très bel ouvrage de 200 mètres de long fait l’objet d’un traitement d’éclairage bleuté qui s’inscrit dans le plan lumière de la métropole. Particularité notable, à mi-chemin du franchissement de la Saône, un petit belvédère offre une vue imprenable sur la ville. Le jeu des éclairages est assez subtil : les trottoirs piétons sont illuminés par des petits spots doux, la chaussée routière est, quant à elle, éclairée latéralement. Et l’ensemble répond aux critères d’une Haute Qualité d’Usage Lumineux – plus un concept d’ailleurs qu’une nouvelle norme, créé pour l’occasion par le bureau Lyonnais Les Éclairagistes Associés (LEA). À la fois esthétique et tout en finesse, il mérite le détour.
    Et c’est cette fois un pont-jardin qui sera chargé de traverser la Tamise. L’épisode à l’origine de ce projet est instructif. La passerelle écologique, longue de 366 mètres, a fait en effet l’objet d’un vote citoyen par le comité d’urbanisme du quartier de Westminster, puis de l’approbation par le maire de Londres. Imaginé par Thomas Heatherwick, concepteur du futur Pier 55 à Manhattan, l’ouvrage sera conçu comme un espace vert à part entière, complètement recouvert de végétation, dont 270 arbres. Reste à en assurer le financement et, surtout, l’entretien. Afin de permettre la gratuité du franchissement, des pistes sont en cours de recherche : financement participatif, mécénat privé…

     À l’image d’EuroRennes, le projet Icade pour la Gare Sud de Nice vient d’être relancé. La société, associée à l’équipe d’urbanistes Reichen et Robert, s’était heurtée à un recours qui bloquait l’opération d’envergure en préparation. L’équipement s’articulera d’abord autour d’un nouveau parking souterrain de 700 places sur trois niveaux, et la réhabilitation de la grande halle. Puis, c’est tout un ensemble composé d’un multiplexe de neuf salles, d’un programme de logement mixtes et de logements expérimentaux destinés à des personnes à mobilité réduite qui sera réalisé, parallèlement à l’ouverture de nouveaux commerces et de salles de sport portées par le Conseil général des Alpes Maritimes. Le tout devrait être achevé pour 2018, pour un coût de plus de 100 millions d’euros.
    Clermont-Ferrand a depuis inauguré à son tour son propre pôle d’échanges intermodal, avec les équipements classiques de ces nouveaux lieux de mobilités : signalétique améliorée pour les voyageurs, accessibilité renforcée aux transports en communs, taxis et modes doux, l’objectif étant de passer le plus facilement possible d’un mode de déplacement à un autre. Sur l’ensemble du site, on pourra être impressionné par le parvis piéton de près d’un hectare, aménagé juste devant la gare, avec une station de vélo en libre-service. Bien protégée des intempéries, elle n’en est pas moins lumineuse et permet d’accéder directement à la ligne de bus à haut niveau de service parallèle aux voies ferrées. Quelques réglages techniques restent néanmoins à réaliser du côté des signalisations et des synchronisations de feux.
    Bordeaux s’est aussi affairée autour de sa gare, avec la même course contre la montre avant l’arrivée de la LGV en juillet 2017. Quatorze chantiers ont été lancés simultanément pour agrandir la gare et la moderniser. Le chantier phare est celui de la grande verrière fin 19e qui va être entièrement remise à neuf (49 millions d’euros). Près de 80 échafaudages sont mis en place à 10 mètres du sol, tout en n’entravant en rien la circulation ferroviaire. L’autre grand chantier est l’extension Belcier sur près de 2 500 m², avec une nouvelle halle d’accueil comprenant 1 800 m² de commerces et un parking de 800 places. À ces deux gros chantiers s’ajouteront le déplacement des plates-formes dédiées aux taxis et loueurs de voitures, ainsi que la création de station de maintenance pour les TER et les TGV, et d’équipements complémentaires permettant de répondre à l’augmentation du trafic attendu, de 11 à 18 millions de voyageurs. Les coûts sont ici le double de ceux de Clermont et Rennes (200 millions d’euros).

     Le centre-ville de Villeurbanne poursuit sa grande mutation dans le cadre du projet « Gratte-ciel centre-ville ». Gratte-ciel, c’est ce quartier qui, construit dans les années 1930, va marquer le paysage urbain par sa composition très particulière de barres et de tours issues de la première génération du modernisme architectural. L’opération, menée par Nicolas Michelin à la suite du plan de composition de Christian Devillers, remodèle le centre-ville dans une situation urbaine très contrainte : à la fois de densité existante et d’un périmètre de protection patrimonial. Le lycée Brossolette doit être déconstruit puis reconstruit à neuf, et l’emblématique avenue Henri Barbusse prolongée pour soutenir la perspective initiale dégagée par les gratte-ciel, les nouveaux programmes ayant à accueillir une vaste programmation commerciale. Les chiffres rendent le projet proche de celui de la Confluence : 54 millions d’euros, 120 000 m² concernés, avec en objectif principal la réfection complète du centre-ville pour y déployer des espaces publics de proximité et une ambiance urbaine détendue d’ici 2019. Un projet à suivre attentivement qui en fera une des polarités majeures de la métropole.
    Lille va aussi intervenir fortement sur un des grands espaces verts de son centre-ville. D’ici 2 ans, le Champ de Mars sera transformé avec pour première conséquence de changer le site de la grande Braderie. Le parking proche de cette grande esplanade liant le centre historique de Lille à la Deûle verra sa capacité réduite de moitié. La collectivité saisit l’opportunité ouverte par la libération d’une vingtaine d’hectares de terrains militaires pour non pas construire cette fois, mais augmenter la taille des parcs de l’agglomération. Petite attraction, deux petits ponts franchissant la Deûle seront désormais levants, pour laisser passer près de 6 km de nouvelles promenades nautiques. Le projet de Plaine des sports a quant à lui dû être abandonné pour des raisons économiques. À quelques encablures, la métropole du Nord rénove aussi sa magnifique Bourse, en plein centre-ville. Jusque-là fermé pour être réservé au monde économique, ce bâtiment de 17 000 m² sera entièrement rénové par l’architecte Philippe Prost, sa grande verrière y accueillera des commerces chics, des restaurants, pour en faire, sur plusieurs étages, un nouveau lieu-phare de la vie locale.

     Le tramway périurbain de la ville polycentrique se concrétise, à Bordeaux. Depuis ce mois de janvier, les trois lignes A, B et C vont être prolongées de près de 15 km au-delà de la rocade, au Nord-Ouest de l’agglomération, pour desservir des secteurs plus périphériques. La ligne C va ainsi desservir le secteur des Berges du Lac où se trouvent l’écoquartier Ginko, le parc des expositions et le nouveau stade en cours de construction ; la ligne C va être prolongée quant à elle de Bègles jusqu’au nouveau lycée V. Havel, sur la route de Toulouse. Ces extensions, accompagnées par la création de nouveaux parkings-relais, s’inscrivent dans un projet global de développement du tramway vers les secteurs éloignés de l’agglomération, pour contribuer à libérer un peu le trafic de la rocade et faire de certaines communes périphériques des polarités secondaires. L’astuce, pour maintenir les dessertes intensives des espaces centraux, consiste à déployer des terminus partiels permettant à certaines rames de faire demi-tour et adapter l’offre à la fréquentation. Ce déploiement va être appuyé par la construction du tram/train du Médoc qui portera la longueur du réseau de tram de 44 à 77 km.
    Aux côtés de cette évolution, Besançon témoigne de la capacité des villes moyennes à adopter à leur tour le tramway. Le défi n’est pas simple, ces villes de moyenne envergure ayant souvent des difficultés à rassembler les financements requis. Lancée depuis la rentrée, la nouvelle ligne connaît une fréquentation impressionnante dans l’agglomération de 180 000 habitants, sur le réseau de transport « Ginko », avec 32 000 abonnés. Ce n’est pourtant pas un tramway low cost, mais Egis Rail, qui a damé le pion sur ce dossier au géant Alstom, est intervenu de manière très rigoureuse pour réduire les prix de déploiement au kilomètre, tant en termes de gestion qu’en évitant les glissements, facteurs systématiques d’explosion des coûts. Un succès qui, après avoir réveillé l’ensemble de la profession en France, pousse le maire de la ville à se projeter déjà dans la perspective d’un tram-train.