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Initiatives urbaines
#30
RÉSUMÉ > Marc Dumont est maître de conférences en aménagement urbain. Il est membre du laboratoire Eso-Rennes (université Rennes 2) et du laboratoire LAUA (École nationale supérieure d’architecture de Nantes). Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives.

À Rotterdam, les habitants font la ville

     Ces derniers mois, de nombreuses initiatives citoyennes émergent autour de projets d’urbanisme, faisant beaucoup plus qu’impliquer ou associer des habitants et ce, dans un contexte de retrait des institutions publiques. Ainsi, à Rotterdam, et malgré un projet urbain ambitieux, la municipalité n’avait pas les capacités financières suffisantes pour permettre aux habitants du quartier de Hofplein d’accéder de manière rapide au centre-ville. Qu’à cela ne tienne : ceux-ci ont eux-mêmes mis en place une plate-forme de financement collaboratif (ou crowdfunding) pour créer une passerelle aérienne en bois de près de 400 mètres de long. Celle-ci permettra de désenclaver beaucoup plus efficacement ce quartier inscrit au coeur d’une ambitieuse politique de régénération urbaine. En contrepartie de sa générosité, chacun des donateurs pourra ainsi disposer d’une poutre, gravée à son nom, voire financer une section complète de la passerelle dénommée Luchtsingel.

     Les projets urbains innovent aussi à travers le renouvellement des modes de vie. Ainsi, à Londres, on achète désormais l’appartement du voisin pour mieux vendre le sien, une pratique en plein essor dans les beaux quartiers de la capitale. Ces quartiers en effet sont fort convoités par les investisseurs et les clients internationaux mais ceux-ci n’y trouvent pas souvent les surfaces à la hauteur de leurs attentes. D’où la multiplication de projets de fusions d’appartements, très simplement auto-organisées entre voisins d’un même palier, au grand dam de la municipalité. Le principe, très simple, consiste à aller voir son voisin et négocier le rachat de son appartement. L’opération est en effet des plus lucratives puisqu’elle permet, une fois les travaux réalisés, d’obtenir une plus-value d’environ 30 %. Dans un tout autre registre, en France cette fois, le groupe Leclerc, décidément jamais à court d’idées pour relancer la consommation, investit les aires des autoroutes du Sud pour y implanter ses drives. L’idée est ingénieuse : profiter des trafics intenses en évitant le temps perdu dans les sorties de rocades. Une relance à suivre de près : en 2010, son concurrent Carrefour s’était lancé le premier dans ce créneau, sur l’A41 entre Genève et Annecy, mais il vient de mettre un terme à l’expérience.

     Qui n’a pas en mémoire l’épisode dramatique des inondations ayant dévasté les communes du sud de la France en 1988 ? La ville de Nîmes, qui en avait particulièrement souffert, a depuis lancé un programme intensif visant à repenser en profondeur les logiques de son urbanisme. S’étant dotée d’un plan de prévention des risques d’inondation, elle a aussi mis en oeuvre un réseau considérable de canalisations permettant d’évacuer rapidement les eaux en cas de pluies abondantes. Mais face à la pression sur la demande de logements, la ville a dû aussi relancer de nouveaux projets, ailleurs cette fois qu’en zone inondable. D’où cet intéressant écoquartier qui est ainsi en train de voir le jour dans le secteur Hoche-Sernam. Récompensé par plusieurs prix, le projet, auquel participe notamment l’urbaniste Antoine Grumbach, propose des espaces publics intégrant de manière plutôt innovante le risque inondation avec des canalisations spéciales d’évacuation rapides en cas d’orage. Il propose également une liaison intéressante entre une forte recherche de nature en ville, et le redéploiement du campus universitaire ainsi qu’un programme conséquent de 1 400 logements, de bureaux et de commerces. Une opération à suivre avec intérêt.

Circuler, c’est toujours possible en ville

     En matière de mobilité, la ville de Québec innove avec le déploiement d’une flotte de micro-bus qui pourrait bien intéresser les villes dont la densité du tissu urbain ne permet pas le passage des bus classiques. Son futur midibus en aluminium est électrique et silencieux. Il est beaucoup plus manoeuvrable qu’un bus classique tout en permettant de transporter une trentaine de personnes. Truffé de technologies, ce micro-bus intègre aussi un système de comptage de personnes de haute précision accompagné d’outils de transfert de données et d’applications de suivi par GPS. Objectif : connaître très précisément où se trouve le bus, combien de personnes y montent et en descendent, pour permettre d’ajuster en temps réel les conditions d’éclairage ou de chauffage aux endroits nécessaires ! L’avantage majeur de ce type de véhicule est aussi de permettre la desserte de secteurs historiques peu accessibles de certaines villes denses.
    En Bolivie, l’innovation dans la mobilité passe quant à elle par la réalisation d’un téléphérique urbain, le plus long du monde, un mode de transport décidément à la mode. D’une longueur de près de 11 km, et amené à transporter 200 000 voyageurs par jour, il relie La Paz et El Alto, deux villes peu éloignées mais à l’accès compliqué par des routes tortueuses. C’est un constructeur autrichien, Doppelmayr, qui a été retenu pour sa réalisation, menée en un temps record : la première des trois lignes a été inaugurée le 30 mai et l’ensemble du réseau sera livré à l’automne.

Habiter un parc d’attractions : et pourquoi pas ?

     Il y a quatre ans, une remarquable exposition du centre Pompidou, Dreamlands, avait attiré l’attention sur la manière dont l’imaginaire des parcs d’attractions influence les concepteurs de villes. L’étonnant projet des Villages Nature semble lui donner raison. Ce gigantesque projet de destination éco-touristique va voir le jour près de Disneyland Paris en 2016 : lieu de loisirs inédit en forme de « cité végétale » et centré sur la nature, les Villages Nature ont été classés « opération d’intérêt national » (OIN ). Ils seront construits entre deux forêts domaniales de Seine-et-Marne, à 32 kilomètres au sud-est de Paris et à 6 km des parcs à thème de Disney, avec pour objectif d’attirer une vaste clientèle européenne, pour des séjours d’au moins 4 nuits. C’est l’un des plus importants projets de résidence touristique en Europe : près de 5 500 appartements et cottages et 150 000 m2 d’équipements, le tout sur 500 hectares. Le projet est aussi basé sur un important lagon géothermique chauffé à 30° avec des restaurants, une ferme bio, des villages lacustres. Une démesure qui fait réfléchir sur les priorités d’urbanisme, en période de récession économique…

     En Belgique, la réalisation d'un nouveau quartier vise à exorciser le passé. Le Plateau du Heysel, dans la commune de Laeken (sud de Bruxelles) avait en effet été durablement marqué par le drame du 29 mai 1985 : 39 personnes étaient mortes lors d’un mouvement de foule à l’occasion de la finale de la Coupe des Champions qui s’était tenue dans son stade. C’est tout un programme de réaménagement représentant 800 millions d’euros d’investissement qui vient d’être lancé, du nom de NEO. Celui-ci vise à réaliser un centre commercial, des logements, des crèches et des activités de loisirs. Il a été confié aux deux constructeurs belges Besix et CFE, ainsi qu’au promoteur Unibail-Rodamco. Le projet est ambitieux : il prévoit la création sur un foncier de 70 hectares d’un nouveau quartier, baptisé Europea. On y trouvera un complexe multi-usages comprenant 590 logements (dont 90 publics), deux crèches, 3 500 m² de bureaux, une maison de repos et une « seniorerie », ainsi qu’un centre commercial de 112 000 m² (« Mall of Europe », d’un coût de 550 millions d’euros). Mais y verra aussi le jour un gigantesque parc d’attractions dédié aux enfants. L’ensemble sera efficacement raccordé au Ring de Bruxelles, par vélo, métro et tram. De quoi tourner définitivement la page du « drame du Heysel ».

     L’usage de la 3D, popularisé par l’application Street view de Google, intéresse les collectivités. Désormais très courante dans les films ou dans les jeux vidéos, la 3D s’invite dans la gestion urbaine et la définition des projets d’urbanisme. On connaissait déjà la PME rennaise Archividéo, désormais filiale de Dassault Systèmes, qui développe depuis quelques années une maquette de la ville en trois dimensions. Le projet collaboratif EnVIE passe quant à lui à une vitesse supérieure. Mis en oeuvre au sein du pôle de compétitivité Images et Réseaux (Bretagne et Pays de la Loire), EnVIE propose de croiser dans un même outil des vues 3D des villes avec des informations environnementales, énergétiques et socio-économiques (INSEE, bailleurs sociaux, opérateurs…). Objectif : utiliser ces informations recoupées pour fournir aux villes un outil intégré de gestion urbaine, d’aide à la décision et de communication. Parmi ses vertus, la 3D permettrait de visualiser les zones prioritaires d’action, de simuler d’éventuelles opérations d’amélioration... Utiliser la 3D en lieu et place des traditionnelles maquettes, plan-masse et plans directeurs ? Reste à en convaincre les urbanistes…

L’habitat participatif a le vent en poupe

     Au Rwanda, le projet du Masoro Village consiste à réaliser des maisons collaboratives en sacs de terre. Objectif de cette initiative, pilotée par l’ONG GA Collaborative : permettre à des populations défavorisées d’accéder à un habitat décent. En s’appuyant sur les compétences d’architectes, de designers, d’étudiants et d’enseignants en architecture, l’ONG a mis en place un véritable modèle d’autoconstruction durable exploitant une technique ancienne : les sacs de terre, en polypropylène, sont remplis sur place afin d’éviter le transport coûteux de matériaux. Le projet mobilise dans une large mesure les femmes qui réalisent stores et cloisons tissées des bâtiments, suivant des techniques traditionnelles. Et une autre partie de cet ensemble, une tour de plusieurs étages disposant d’équipements culturels collectifs, est elle aussi soutenue par un financement participatif. L’habitat participatif est décidément une démarche en vogue : Paris vient aussi de s’y lancer, à travers un appel à projet en vue de réaliser trois immeubles d’habitat dans les 19e et 20e arrondissements. Cette option immobilière permet à des associations ou des groupes d’habitants de réaliser et gérer eux-mêmes un projet de logement. Pour l’occasion, la ville de Paris a d’ailleurs ouvert un site Internet dédié : www.habitatparticipatif-paris.fr.

La ville, demain : nomade et éphémère ?

     Décidément, dans le monde des concepteurs de ville, on n’est jamais à court d’idées pour penser l’avenir urbain. Aux États-Unis, pays où l’initiative privée étonne parfois en ce domaine, le Seasteading Institute est un projet issu du courant libertarien qui se propose de construire des villes échappant définitivement aux mains des États. Ce groupe s’est penché sur la réalisation d’un système élaboré de villes-laboratoires offshore, flottantes, entièrement habitables et modulables, sorte de Silicon Valley dans les eaux internationales. L’objectif est de permettre à des start-up et de jeunes entrepreneurs de s’y établir en échappant aux taxes et autres réglementations. Le groupe a confié à un bureau d’étude hollandais le soin d’en étudier la faisabilité, une des premières implantations envisagées étant située dans le golfe du Mexique.
    Plus modeste mais pas moins visionnaire, cet intéressant projet d’étudiants en architecture et design urbain de l’Université Laval de Québec qui voit le jour sur le campus universitaire. « Les chaises nomades », c’est son nom, vise à déployer une soixantaine de chaises et de bureaux d’intérieur dans l’espace public. À charge pour les citoyens de s’en emparer afin de réorganiser des « coins de ville » à leur manière, dans une optique d’urbanisme flexible et adaptable. Une initiative bienvenue dans cette région où les grands froids et les fortes chaleurs tendent à confiner les habitants dans les intérieurs, au détriment des usages possibles de l’espace public.