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Initiatives urbaines
#27
RÉSUMÉ > Marc Dumont est maître de conférences en aménagement urbain. Il est membre du laboratoire Eso-Rennes (Université de Rennes 2) et du Laboratoire LAUA (Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes). Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. Il partage sa veille des innovations urbaines, insolites, amusantes et instructives, ici et ailleurs.

     A l’heure où la ville d’Orléans renonce à la construction de son Arena, cette situation déconcertante observée à Stockholm vient peut-être lui donner raison. La Friends Arena, immense stade situé à Solna en périphérie de la capitale suédoise, est en effet à vendre, à peine un an après son inauguration. Ce stade de foot de 50 000 places dans une ville de 60 000 habitants peine, on peut aisément l’imaginer, à se remplir, même à grands renforts d’évènements nationaux. D’un coût de 300 millions d’euros, celui-ci accuse déjà 23 millions de déficit. Reste à convaincre les investisseurs pressentis...
    Sans doute plus judicieux, ce choix de la commune de Carros, proche de Nice, qui vient de s’engager dans les énergies renouvelables en expérimentant l’intégration d’une production photovoltaïque privée au réseau électrique existant et en l’équipant de dispositifs « intelligents » permettant aux habitants de gérer de façon autonome leurs consommations d’électricité. Les habitants ont donc été équipés de compteurs communicants et de panneaux solaires. Ils sont invités à consommer en fonction des tensions sur le réseau général, ou à l’inverse à stocker l’énergie produite chez eux sur des batteries individuelles. Quelques chanceux bénéficient en outre « d’heures creuses solaires », les incitant à consommer et à recharger des ballons d’eau chaude aux heures les plus ensoleillées, permettant ainsi au réseau électrique de profiter au mieux des panneaux solaires.

À Venise, la grande roue de la controverse

     Ça remue de tout côtés, à Venise ! La ville aux pieds dans l’eau est concernée en ce moment par un projet controversé de vaste île dédiée à la culture et aux loisirs. Il s’agirait d’une sorte de parc d’attraction réalisé sur l’île voisine de San Biagio, actuellement en friche et lourdement polluée. Son concepteur n’est pas n’importe qui : l’homme d’affaires italien Alberto Zamperla a en effet déjà à son actif plusieurs réalisations d’envergure à l’international, comme le parc Eurodisney à Marne-la-Vallée, ou le Jardin de Tivoli à Copenhague. Mais la perspective de grandes roues et de montagnes russes à un jet de pierre du Grand Canal n’est pas du goût de tous. Le promoteur défend de son côté l’idée de désengorger la Sérénissime du flux de ses quelque 500 millions de visiteurs annuels, en leur proposant une alternative au Pont des Soupirs.
    Autre combat, permanent celui-là : la lutte contre la montée inexorable des eaux. Venise teste actuellement un nouveau système de digues flottantes. Ce chantier baptisé « Moïse », qui devra être achevé en 2017, est constitué de 78 digues flottantes et mobiles censées protéger la ville. Il y a urgence : la ville s’est enfoncée de 23 cm depuis un siècle ! De quoi inspirer nos communes littorales ?

     Vous souvenez-vous du film « The Truman Show » où le protagoniste vivait au quotidien dans l’étrange impression d’être constamment surveillé ? On ne doit pas en être très loin avec cette initiative de la ville de Nice qui inaugurait ce mois d’octobre la Promenade du Paillon, jardin public conçu comme une « coulée verte » articulé autour d’attractions comme ce miroir d’eau de 3000 m² ou le « plateau des brumes » et de nombreux agrès pour enfants. Idéalement situé au coeur de la ville, le site est appelé à devenir une vitrine urbaine. A tel point que la municipalité a aussi jugé préférable de le ceindre de hautes grilles, de le faire surveiller par une brigade spéciale et de le placer jour et nuit, sous l’oeil de caméras thermiques pour la nuit et haute définition pour le jour. Sans doute est-ce le prix de la liberté à payer pour conserver de belles pelouses !
    De la surveillance, toujours, il y en a aussi et plutôt innovante, d’ailleurs, à la Rochelle. Dans le centre-ville, les commerçants se sont en effet associés pour payer un vigile censé contribuer à assurer l’ordre — public ? — aux abords des commerces, sous les arcades de la célèbre rue des Mirages un peu trop squattée à leur goût par des marginaux. Mené en partenariat avec la société Carrefour, le recrutement satisferait également la police municipale locale. Le vigile jouerait ainsi le rôle d’animateur ou de médiateur et contacterait la police en cas de difficulté. « Tout le monde, dit-on, est finalement satisfait. » Reste à savoir si les routards sont du même avis.

Démocratie participative et mixité déconcertante

     La Suisse est bien connue pour sa démocratie locale très poussée : référendums locaux et votations s’y succèdent sans nécessairement être bien mobilisateurs d’ailleurs, sur des thématiques variées. Le cas de Bernex (Lully) à cet égard interpelle. Appelés à s’exprimer sur le Plan Localisé de quartier, les habitants se sont prononcés en septembre pour un large refus du projet de futur écoquartier, estimant la densité annoncée trop importante. L’ampleur du projet n’était pourtant pas démesurée puisqu’il était appelé à accueillir 178 nouveaux habitants. La commune, qui misait sur de nouvelles rentrées fiscales, devra donc patienter...
    En Suisse, toujours, un autre projet fait en revanche consensus : celui de placer une aire d’hébergement des gens du voyage sur une voie de garage, à proximité de Fribourg. Les différents cantons concernés ont pu se satisfaire d’avoir trouvé la voie de cette « solution innovante » d’une « aire multifonctionnelle », joli nom désignant deux parking accolés sur une aire d’autoroute, l’un réservé aux poids lourds l’autre... aux gens du voyage, ce dernier ayant ses portiques contrôlés régulièrement par les forces de l’ordre. Qui a dit que la mixité urbaine ne pouvait pas se loger dans les moindres recoins des villes ?

     Le gigantesque centre Aéroville vient d’ouvrir à Roissy, confirmant la part prise par ces nouveaux lieux de consommation à proximité des grands équipements. Avec ses 84 000 m², le centre devient ainsi le plus grand en Europe, doté de 30 restaurants et d’un méga complexe cinématographique, le tout étant géré par l’opérateur spécialisé Unibail-Rodamco qui pilote, entre autres, le centre commercial de la Défense. Donnée surprenante et qui fait réfléchir : près de 1,8 million de personnes vivent à moins à de 30 minutes du centre, plus proche donc pour eux que n’importe quel autre centre commercial parisien, auxquels il faut ajouter les 120 000 employés travaillant sur place : une véritable ville sans la ville, donc.

     Facebook réinvente à sa manière les cités des grands entrepreneurs paternalistes de l’Europe du 19e siècle. Le réseau social mondial a ainsi lancé un vaste projet de mini-ville destinée pour partie à ses propres salariés en Californie, située à moins de trois kilomètres de son siège social de Menlo Park. Ce complexe de 58 000 m² devrait permettre à ses employés de disposer de tous les services de proximité indispensables, mais aussi de salles de sport, d’une piscine, d’une salle de yoga etc. Il est vrai que la firme de Mark Zuckerberg cultive une image de bienveillance auprès de ses salariés à qui elle offre déjà de nombreuses prestations gratuites au bureau, comme des crèches et même des lits pour dormir certaines semaines intensives de travail ! Reste à espérer, pour l’avenir de ce quartier, que l’entrée en bourse de la firme conforte son succès et... laisse aussi ses habitants prendre l’air de temps en temps hors de ce milieu très confiné.

     Un stade sur le toit ? C’est possible ! C’est en tout cas une belle idée qui semble prendre corps, à Bordeaux, dans le cadre de la Kedge Business School. Venant tout juste de fusionner avec son partenaire marseillais Euromed Management, la nouvelle grande école de commerce va donc équiper son établissement d’un terrain de foot et de basket à l’air libre et d’un gymnase et ses vestiaires, tous deux situés sur son toit. Une véritable prouesse technique, puisqu’elle exige de réussir l’isolation totale de la structure sportive par rapport aux étages inférieurs du bâtiment. Les toits de nos villes ont un bel avenir devant eux !

     Dans la réflexion sur l’aménagement des grands territoires, il faudra suivre la démarche adoptée par le Tessin (Suisse). Ce canton s’est engagé dans un programme ambitieux visant à réduire de 135 à 23 le nombre de ses localités, permettant à l’une de ses agglomérations principales, Lugano, de gagner en habitants. à l’horizon 2020, l’objectif est ainsi de parvenir à réduire la fragmentation territoriale et de permettre d’en établir un développement intégré. Les enjeux sont redoutables puisqu’ils requièrent aussi de créer des dispositifs de solidarité fiscale entre les communes, et de répartir à nouveau les responsabilités partagées entre l’état et les communes. De quoi en tout cas inspirer la France et ses 36 000 communes...

     Le mouvement de l’open data n’en finit pas de faire de nouveaux adeptes en France. C’est au tour de Strasbourg d’ouvrir ses données publiques. La ville et la communauté urbaine de Strasbourg viennent en effet de mettre en ligne un large bouquet d’informations, comme la fréquentation des cantines, le trafic autoroutier en temps réel, la liste des équipements dans les aires de jeux pour enfants, la carte des fontaines publiques. Certaines initiatives, toutefois, laissent un peu plus perplexe : comme ce palmarès des 50 titres les plus empruntés dans les médiathèques municipales, ou encore les prénoms les plus donnés aux nouveaux-nés ! Désormais, près de 65 types de données sont donc disponibles et la collectivité, à l’image de Rennes, a lancé à cette occasion un concours avec une dotation de près de 50 000 euros récompensant les meilleures innovations qui les exploiteront au mieux.

     Le géant suédois Ikéa de l’ameublement poursuit quant à lui tranquillement son pari de se transformer peu en peu en opérateur urbain. Après s’être lancée dans la création de quartiers et dans la gestion d’établissements hôteliers, la marque jaune et bleu vend désormais des panneaux solaires dans ses magasins du Royaume-Uni. De quoi permettre à ses clients de se transformer en acteur des énergies renouvelables face aux changements climatiques. Mais, singulier paradoxe, ces panneaux sont produits en Chine, l’un des plus grands émetteurs de polluants de la planète. Et c’est aussi encore en Chine, qu’Ikea innove en laissant ses visiteurs littéralement « habiter » ses magasins : les clients, plutôt satisfaits de l’ambiance, testent en grandeur nature mobilier et espaces d’exposition en y pique-niquant, changeant les bébés, et... repartant sans acheter, obligeant l’enseigne à changer les draps quotidiennement par exemple, plutôt qu’à interdire ce genre d’usage. Bref, de quoi faire vraiment réfléchir sur l’aménité et les lieux de nos futurs espaces publics urbains !