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Contributions
#22
Psychanalyse urbaine Allez Rennes, au gallo!
RÉSUMÉ >  La psychanalyse urbaine peut être considérée comme une sorte de science poétique d’un nouveau genre : elle consiste à coucher les villes sur le divan, détecter les névroses urbaines et proposer des solutions thérapeutiques adéquates. » Les analystes de l’Anpu (Agence nationale de psychanalyse urbaine) se sont penchés sur Rennes pendant quelques mois. Ils ont restitué leur diagnostic au public lors de Viva-Cité. Il restait à Place Publique à convaincre ces maîtres de la parole de coucher sur le papier leurs observations et préconisations.

     Les opérations divan consistent à mieux cerner la personnalité d’une ville (en l’occurrence ici une métropole) au travers de la parole de ses habitants invités à répondre à un questionnaire chinois. Voici les réponses les plus significatives récoltées lors de l’opération divan de Rennes et Bourgbarré au cours desquelles plus de 900 personnes ont été interrogées!

     Melon - Si Rennes Métropole devait être comparée à un fruit, elle ressemblerait plus à une corbeille de fruits, de par le côté à la fois homogène et hétérogène des éléments qui la composent mais aussi, politiquement parlant, à un melon parce que c’est un fruit qui présente la particularité d’être vert vu de l’extérieur mais qui s’avère orange à l’intérieur.
     Renne - Lorsqu’on proposait aux personnes interrogées de comparer Rennes Métropole à un animal, c’est le renne qui est souvent revenu (au galop) mais on nous a beaucoup cité l’hermine parce que pour beaucoup, Rennes reste encore la capitale européenne de la Bretagne et d’autres personnes sont allées jusqu’à considérer que Rennes Métropole était une sorte de tortue qui essayait de se faire passer pour un lièvre et un boeuf qui se serait déguisé en grenouille.
     Je m’voyais déjà - Concernant les chansons qui représenteraient le plus Rennes Métropole, on nous beaucoup cité «Je me voyais déjà en haut de l’affiche», «Tout va très bien Madame la marquise…» mais aussi «Dans les prisons de Nantes», ce qui illustre bien l’espèce de tension névrotique sans précédent qui règne encore aujourd’hui entre la ville de Nantes et la ville de Rennes. Ont été également citées «La danse des canards», «C’est la chenille qui redémarre», «À la queue leu leu» et «Chef, un p’ti verre, on a soif!», des chansons qui sont surtout à mettre en relation avec un imaginaire étudiant extrêmement fécond et souvent très présent le jeudi soir dans le rues de Rennes.
     Le cochon et le Minitel - Pour terminer, on demandait aux personnes interrogées de nous donner l’identité du couple mythologique à l’origine de la naissance de Rennes Métropole. Beaucoup de gens nous ont bien sûr nandit que Rennes-Métropole serait née du mariage entre la ville et la campagne, quelqu’un allant même jusqu’à préciser qu’elle serait née du mariage entre un cochon et le Minitel mais d’autres Rennométroplitains, mieux renseignés sans doute, nous ont plutôt dit que la Métropole serait née du mariage entre Henri Fréville et Edmond Hervé qui ont été les deux mères porteuses/maires porteurs du projet de Rennes Métropole

     On peut considérer l’Ille et la Vilaine comme les deux parents naturels, les parents biologiques, les parents naturels de Rennes Métropole puisque la ville-mère, Rennes, est fondée au croisement de ces deux rivières. Les deux rivières vont forcément influencer le caractère de la ville :
     - sous les Romains, Rennes va être devenir une ville-enceinte, adoptant la forme d’une île urbaine qui va traverser l’histoire jusqu’à aujourd’hui, au point que Rennes est actuellement entourée d’une rocade autoroutière et d’une couronne verte qui sont autant de remparts inconscients reproduisant le schéma parental initial de l’« Île » que l’on retrouve encore dans l’affirmation de Rennes Métropole d’être une ville-archipel
     - la Vilaine va quant à elle porter la dimension transgressive de la ville puisque cette rivière va vite avoir la réputation d’être une rivière assez volage, qui changeait de lit sans arrêt avec pour conséquences la réputation de ramener beaucoup de maladies… La Vilaine va être aussi victime de nombreux débordements qui provoqueront autant d’inondations à l’origine d’un immense marécage qui empêchera la ville de se développer vers le Sud, avant que peu à peu la Vilaine ne soit canalisée et finisse par être enterrée…
     Enterrée vivante au coeur même de la ville, c’est là le symbole fort de la capacité d’une ville et d’une région à contrôler ses pulsions transgressives grâce à une surmoi extrêmement présent, constitué par la présence particulièrement forte, au cours de l’histoire, des pouvoirs judiciaire, administratif, religieux et même militaire, sans compter l’implantation de nombreuses universités. Le tout confère aujourd’hui à Rennes Métropole une dimension très cérébrale, qui l’oblige à vivre constamment en intelligence, sous contrôle social, en étouffant au passage, sans doute un peu trop, des pulsions transgressives qui pourraient la rendre parfois plus créative…

Avantages et inconvénients du carrefour

    Autre signifiant très fort qui nous a marqués: Rennes a longtemps porté, sous les Romains, le nom de Condate, ce qui veut dire confluent en romain et ce qui résonne fort avec la vocation de carrefour d’une ville qui se situe à égale distance de la Normandie, de l’Anjou, du Maine et du coeur de la Bretagne. L’avantage économique que constitue le simple fait d’être un carrefour a entraîné l’apparition de nombreuses menaces: celle, au Nord, que fait peser le syndrome hésitationnel sans précédent qui fait rage encore aujourd’hui en Normandie, celle au Sud que fait peser la trop fameuse douceur angevine qui s’apparente plutôt, après enquête, à de la torpeur angevine, voire un endormissement généralisé alors qu’à l’Est se pose la Mayenne qui, lacaniquement parlant, ressemble très fort à la Moyenne, ce qui est loin d’être une coïncidence, les personnes s’étant rendus sur place en conviendront sans la moindre difficulté.
     Si vous faites bien le calcul, vous vous rendez compte qu’a toujours pesé sur Rennes la menace d’être une ville moyenne, hésitante et complètement endormie et c’est pour cela que tout naturellement Rennes va essayer de forger une identité, de gagner une singularité en se tournant résolument vers la Bretagne.

     À cause d’un environnement familial breton assez chargé et pas facile à assumer (avec pour la Bretagne une mère naturelle qui serait la Grande-Bretagne, une mère adoptive la France, une mère nourricière le bel Océan, une Mère Supérieure la religion catholique, soit quatre mères hystériques et historiques en même temps, sans compter deux pères absents: le marin breton et le druide), Rennes et sa région vont longtemps hésiter avant d’adopter l’identité bretonne.
     La ville restera longtemps une forteresse chargée de protéger les intérêts du Royaume de France face aux redoutables attaques des fieffés Bretons, avant que, peu à peu, les ducs, les duchesses et les princes de Bretagne ne viennent se faire couronner à Rennes, et ce au détriment de Nantes qui a longtemps été la capitale de la Bretagne. C’est incontestablement là que se situe l’origine de la terrible tension névrotique qui fait encore rage aujourd’hui entre les villes de Rennes et Nantes, avec, au final, la naissance du fameux complexe d’infériorité nantais puisque c’est Rennes qui va être choisie comme capitale mondiale de la Bretagne avec l’inauguration à Rennes du Parlement de Bretagne en 1561.
     Sans entrer dans tous les détails de notre analyse, deux éléments significatifs viennent aussi semer le doute sur cette prétendue identité bretonne de la région Rennes Métropole :
    - d’abord l’incendie du Parlement de Bretagne en 1994, conséquence d’une manifestation des marins prêcheurs bretons venus protester contre une mesure gouvernementale et qui avaient malencontreusement lancé une fusée éclairante dans les combles du bâtiment, l’incendie se déclenchant quelques heures plus tard, comme si, inconsciemment bien sûr, les Bretons avaient considéré Rennes et son Parlement comme le symbole du gouvernement français…
     - une découverte morphocartographique assez stupéfiante qui montre ci-dessous, (Cf. image n°1) que sur la carte même du territoire de Rennes Métropole se cache une forme de renne, ce qui déjà montre la cohérence globale du projet de Rennes Métropole avec la villemère. Plus intéressant pour nous, on voit très clairement que ce renne tourne résolument le dos à la Bretagne, comme si elle cherchait sa véritable identité et son destin ailleurs, peut-être vers Laval ou vers le bassin parisien.

Des propositions de traitement innovantes

     Une nécessaire rebaptisation. Au final, la véritable identité renno-métropolitaine se trouve sans doute à l’intersection de deux influences (voir carte), (Cf. image n°3) une influence bretonne et une influence lavalo-parisienne si je peux m’exprimer ainsi. En considérant que cette zone de rencontre s’apparente peu ou prou à la zone d’influence de la langue gallo, l’idée nous est venue de rebaptiser Rennes Métropole en Rennes Gallopole, ne serait-ce que pour redonner un certain élan à cette Métropole (Cf. image n°4). Cela étant, l’intérêt fondamental de cette proposition réside en ce que ses habitants cesseraient d’être des Rennométropolitains (ce qui est quand même fort pénible à prononcer) mais des Galopins, ce qui permettrait de relier ses habitants à la tradition un peu frondeuse et transgressive d’un territoire à qui l’on reproche souvent d’être un peu trop sage…
     Un traitement catharsissiqued’une ampleur sans précédent. En mettant en évidence que les deux événements traumatiques majeurs qu’a traversés la ville de Rennes sont deux incendies, celui de 1720 et celui qui a ravagé le Parlement de Bretagne en 1994 et en mettant en évidence ce qu’on appelé en psychanalyse urbaine un PNSU (un Point Névro Stratégique Urbain) aux Prairies Saint-Martin, au coeur même de Rennes, l’idée nous est venue d’y organiser un événement fédérateur, d’inspiration carnavalesque, et qu’on a donc baptisé Burning Parlement (voir photo) (Cf. image n°5). Le principe serait d’ériger sur ce site une gigantesque maquette du Parlement de Bretagne (et pourquoi pas en allumettes) afin d’y revivre les deux traumatismes sous la forme d’une gigantesque incendie fédérateur et régénérant, en revisitant ainsi la tradition du roi carnaval qu’on brûlait jadis une fois l’an pour bien marquer la fin de l’hiver et le début du printemps.

     La ville après avoir inventé le Minitel en est très fière et s’autoproclame la ville des télécommunications. Seulement aujourd’hui, à l’annonce officielle de la mort du minitel, il semble qu’elle ait loupé le coche pour ne pas avoir plongé dans le bain du numérique autrement que par l’entrée purement technique. Elle en est restée à faire trempette dans le pédiluve du composant électronique, à l’instar de l’enfant qui n’ose pas encore aller dans le grand bassin. La ville trop cérébrale a oublié de mettre sa créativité, sa sensibilité et son esprit d’entreprise dans le grand saut technologique.
     Résultat : la pomme, fruit du travail de la silicone Vilaine continue à produire du cidre plutôt que de participer à la révolution multi-médiatique qui transforme le monde entier.

     Le développement du plateau piéton, le refus de la pénétrante automobile (aujourd’hui prairies Saint-Martin) et l’invention de la notion de ville-archipel, ont fait de Rennes une ville à contre-courant et avant-gardiste dans les années 70/80. Avec la vague d’urbanisation contemporaine, ce sont les îlots alentours de l’archipel qui doivent absorber le surplus de population. Ces îlots engloutis par les Zac perdent leur identité et n’arrivent pas à générer l’urbanité nécessaire pour le bon vivre des néo-rurbains. Comme si la ville-mère était la seule à avoir droit de «cité». Ce qui est bou(r)grement injuste pour les bourgs en manque d’urbanité. Ces derniers deviennent des zones de non-ville, ultime clou planté dans le cercueil du zonage. Le lien avec l’île principale, la ville-centre (ou plutôt la ville égo-centrique), se fait encore et toujours par l’abus de la voiture. Cette (v)île coincée entre l’Ille et la Vilaine s’est fabriquée de nouveaux remparts (la rocade) et un joli paravent vert en forme de ceinture pour ne pas avoir à regarder les îlots alentours couler dans le béton frais. Ces bourgs alentours tentent malgré tout de tisser des liens avec la ville-moteur économique au travers de nouveaux faubourgs que sont les routes départementales petit à petit urbanisées.

     Le système des télécommunications permet de transporter des informations d’un point à un autre sans qu’ils soient physiquement reliés. Si l’on transpose ce système à l’urbanisme on se retrouve avec une sorte de toile (web) définie par les points de transmissions plus que par les lignes de liaisons devenues immatérielles. Ainsi au niveau de l’archipel rennais, il est indispensable de ré-identifier les bourgs alentours plutôt que de les noyer dans un tout peu lisible. La réaffirmation du Moi des bourgs se fera par exemple au travers d’une lecture krypto-linguistique du nom desdits bourgs. Les liaisons seront rendues réelles de manière filaire et aérienne grace à un téléphérique qui desservira l’ensemble du réseau de THC (Transports Hors du Commun).

     Enfin l’architecture s’affranchit des contraintes matérielles qui la confinaient dans une pesanteur constructive imposant le gaspillage de terrains notamment agricoles. Grâce à une véritable politique audacieuse et avantgardiste Rennes métropole met tout son savoir en matière de télé-communication pour créer la télé-architecture. Les pixels habitables à mobilité autonome constituent l’image d’une ville modifiable à souhait. Suspendue, entre terre et ciel, cette ville libère le sol fertile et permet à Rennes de maintenir une activité agricole faisant sa fierté. (Cf. image n°11)
     Allez, Rennes au gallo(p) pour inventer le télé-urbanisme de demain qui permettra d’assumer la surpopulation mondiale que l’on nous prédit! Qui osera tenir les Rennes et foncer au Gallo?