L’association Espace Piéton s’est créée à Rennes en 2004 à la suite du décès d’une collégienne sur un passage piéton. Avec ses 180 adhérents, Espace Piéton conduit diverses actions de sensibilisation, fait des propositions et développe une expertise en matière de déplacement à pied. L’association a participé au niveau national à la démarche « Code de la rue ». Son site : www.espacepieton.org
L’emploi de notre temps est au coeur de l’organisation du travail et plus largement des différentes activités humaines. Il nous renseigne sur les rapports qu’entretiennent entre eux les membres d’une société. Ce temps est devenu une ressource de plus en plus rare et disputée. Certes, l’évolution technologique a permis d’alléger le travail et de libérer du temps libre. Mais de nombreuses techniques et pratiques nouvelles ont pourtant entraîné une accélération des rythmes de vie : haut-débit, fast-food, speed dating... révèlent le syndrome actuel.
Gagner du temps implique alors bien des changements dans l’organisation des milieux urbains, mais pas toujours comme nous serions tentés de le penser.
À Rennes, comme ailleurs, l’automobile est un bon exemple d’une technologie qui permet d’aller plus vite, mais qui, pour autant, ne diminue pas le temps consacré au transport. Ainsi, les travaux approfondis de l’économiste Frédéric Héran montrent que ce temps gagné est, en réalité, surtout utilisé pour aller plus loin: à chaque époque de l’histoire urbaine européenne, les grandes villes se sont ainsi étendues en fonction du mode de déplacement le plus courant, celui qui permet de les traverser en une heure, hors encombrements. Plus précisément, cet expert calcule que l’étalement urbain progresserait au rythme du carré de l’augmentation de la vitesse. À long terme, la vitesse des véhicules motorisés serait donc la principale cause de l’étalement urbain et, simultanément, de la création des voiries qui l’accompagnent.
Dans le même temps, cette consommation accrue d’espace provoquée par l’automobile se fait au détriment des modes actifs alternatifs en rendant bruyants, désagréables, plus longs et plus dangereux, les déplacements à pied et à vélo.
La gestion de la vitesse est la priorité n°1 du Forum international des transports, lié à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Pour réduire les accidents, la pollution et le stress, il prône la limitation des vitesses à 30 km/heure sur toutes les voies à forte présence piétonne. Il donne l’exemple des Pays-Bas, pays qui, avec 70 % de ses voies limitées à 30 km/heure, a les meilleurs résultats en matière d’accidentologie piétonne des pays de l’OCDE. Cette organisation indique même qu’on ne perd pas de temps à rouler à 30 km/h au lieu de 50 km/h en ville.
Frédéric Héran le confirme : « Contrairement à une idée commune, réduire la vitesse maximale sur l’essentiel du réseau n’implique pas une réduction proportionnelle de la vitesse moyenne de déplacement. De nombreuses expérimentations le prouvent. Une vitesse réduite permet de remplacer les feux par des mini giratoires, des priorités à droite »… Celui-ci préconise, à l’instar de bien d’autres pays européens plus en avance, que la France explore plus à fond la modération générale des vitesses : celle-ci procure aux déplacements non motorisés, ceux qui sont les plus économes en espace et en infrastructure, une meilleure performance par rapport aux véhicules motorisés ; tout cela favorise leur usage et limite de ce fait les encombrements. De la sorte, en contribuant à fluidifier les trafics, cette modération généralisée des vitesses procure à tous un gain de temps et de sérénité.
L’activité économique n’en est pas pour autant pénalisée ; cela renforce même la cohésion sociale. En effet, le bureau Archi-Urba missionné par le CERTU démontre que piétons et cyclistes sont de meilleurs clients que les automobilistes. Cela coïncide d’ailleurs avec une importante évolution contemporaine : il devient dépassé ce temps du « tout voiture » où les pratiques d’achat étaient principalement tournées vers les centres commerciaux périphériques et où le vieil adage « no parking, no business » était la règle absolue.
Désormais, la grande distribution développe l’implantation de petites et moyennes surfaces dans les centres villes et quartiers, ce qui relance l’animation de la vie locale et suscite des dynamismes nouveaux.
Mais comment faire pour que ce changement de modèle de mobilité soit perçu comme positif ? Les régulations légales, les nouvelles infrastructures, les mesures coercitives ne seront efficaces que si elles sont comprises et acceptées. Les décrets de 2008 et 2010, l’arrêté de 2011 sont des évolutions réglementaires sur lesquelles s’appuyer. On y trouve la redéfinition de l’aire piétonne et de la zone 30, la création de la zone de rencontre ; les doubles-sens cyclistes, l’autorisation de tourner à droite à certains feux rouges pour les cyclistes, etc.
D’après le Groupe Chronos, le changement de comportement individuel est un processus qui demande un effort d’adaptation : il s’agit, en effet, de perdre un existant pour aller vers un incertain, envisagé comme un progrès. Son intégration se fait par la gestion des résistances : pas de résistances, pas de changement. Gérer cette résistance revient à organiser l’argumentation. Il faut alors prendre le temps de mettre en place un dispositif d’informations transparent et rigoureux sans une survalorisation du changement qui ferait barrage à l’argumentation.
L’équipe municipale de Strasbourg en a fait le constat cuisant en mai 2011. Projetant de placer en zone 30 les deux tiers de la voirie urbaine, elle sollicita l’avis de la population lors d’un référendum par courrier postal. La participation au référendum fut forte mais le maire n’a pas été suivi dans son projet : les Strasbourgeois ont répondu « non » à 54,9 %.
Bon perdant, le premier adjoint au maire, déclarait alors : « Cette consultation est un vrai succès pour la démocratie. Nous ne généraliserons donc pas la zone 30 mais nous créerons des zones à circulation apaisée là où des riverains en demandent ». Gageons qu’ils seront nombreux car contrairement à d’autres implantations (d’éoliennes, par exemple), que chacun accepte partout sauf chez lui, les usagers de la voie publique veulent des limitations de vitesse nulle part... sauf devant leur jardin !
À Rennes, le plan de modération des vitesses a été présenté le 23 octobre 2012, au groupe de « concertation modes actifs », composé de plusieurs associations et d’habitants représentant les Conseils de quartier. Les associations pro-modes de déplacements actifs espéraient plus de conviction et d’ambition de la part des élus et des techniciens tandis que ces derniers attendaient plus d’adhésion et de patience de la part des associations.
Or, pour construire une ville apaisée, les élus, les techniciens, les associations doivent oeuvrer en confiance. Dans cet esprit, à l’initiative de l’association internationale « La Rue de l’Avenir », Rennes et Rennes-Métropole invitent ces trois acteurs de la ville à se rencontrer lors d’une journée intitulée : « Espace public, espace à vivre », le 14 mars 2013 (inscription et programme sur www.ruedelavenir.com). Réalisations, initiatives et expérimentations de mobilité urbaine y seront exposées et débattues par des élus, praticiens, experts venus de Suisse, Strasbourg, Rouen, Angers etc. Avec l’espoir que ce temps partagé contribue à accélérer le processus de changement à Rennes.