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Dossier
#38
Quand Rennes demande l’asile aux Pays de la Loire
RÉSUMÉ > Se glisser dans la peau d’un Rennais, mobiliser la géographie et l’histoire et y injecter une dose de mauvaise foi : Alain Croix, qui a pratiqué Rennes avant de s’installer à Nantes, s’est prêté au jeu. Voici donc un vibrant plaidoyer pour le rattachement de la capitale bretonne aux Pays de la Loire. Lecture au deuxième degré vivement recommandée !

     Rennais de longue date, je lis avec intérêt les nombreux articles de presse rendant compte de manifestations, ouvrages, tribunes plaidant pour le rattachement de Nantes à la Bretagne. Avec consternation aussi, car ces contributions ne prennent jamais en compte notre avis à nous, les Rennais : à une partie d’entre nous au moins. Car ce que nous voulons, nous, c’est bien un rattachement, mais pas le même : nous voulons quitter cette artificielle Bretagne et être, enfin, unis à nos frères de culture, les Nantais, les Mayennais, les Angevins et jusqu’aux Sarthois, tous ces habitants d’un massif armoricain qui, on l’oublie bien trop, s’étend aussi vers l’est de notre ville. Et, bien entendu, adopter Nantes comme capitale : c’est aujourd’hui une évidence, même à Rennes !

     Nous en avons assez d’être assimilés à la Basse-Bretagne, à ses coiffes – que nos compagnes ne portent plus depuis un bon siècle ! –, à ses polluants producteurs de lisier, à sa langue que nous n’avons jamais parlée, et j’en passe.

     D’ailleurs, c’est réciproque : ce n’est pas pour rien que nous sommes surnommés les « Sots Bretons », fin jeu de mots autour du terme de « Hauts Bretons » que personne, d’ailleurs, n’utilise. Comme l’écrivait voici plus de quarante ans un chantre de la Basse-Bretagne, Yves Le Gallo, « il y a deux Bretagnes, la bretonne et l’armoricaine, qui ont longtemps vécu le dos tourné l’une à l’autre ». Et au cas où nous douterions quant à la vraie, la « Bretagne bretonne » (!!!), il suffit de consulter le grand ouvrage de synthèse du même historien, Bretagne, publié chez Arthaud en 1973 : la Basse-Bretagne, la vraie, a droit à 220 pages, en sept chapitres, et nous autres, pauvres Rennais et Nantais, à une sorte d’épilogue et chapitre unique en 58 pages qui n’oublie pas de rappeler ce qu’on disait en Basse-Bretagne : « Mont da Naoned da c’hortoz boud daonet » (« Aller à Nantes en attendant d’être damné »), qui pourrait aussi se lire Mont da Roazhon…

     Nous en avons également assez d’être considérés par les Bas-Bretons comme le suppôt de Paris : l’incendie du Parlement, en 1994, nous reste évidemment en travers de la gorge. Plus profondément sans doute, nous sommes de plus en plus éloignés d’une Basse-Bretagne qui est devenue un boulet : en perte démographique, en perte économique, en perte culturelle avec le recul, hélas, de la langue bretonne.

     Et l’histoire, évidemment, nous a faits bien plus proches des Nantais et des Ligériens que des Bas-Bretons ! Oui certes, jusqu’à la libération de 1790, nous faisions partie d’une principauté féodale héritée des hasards des conquêtes territoriales du Moyen Âge, conquêtes qui, si elles avaient « tenu », nous auraient d’ailleurs unis aux actuels Mayennais voire Manceaux. La création des départements a mis fin à cette fiction héritée d’un passé lointain et a jeté les bases de choix d’unions faits en toute liberté et en fonction des aspirations de la population. Le moment est peut-être venu de les concrétiser, et je ne saurais suffisamment rendre grâce à notre ancien président bas-breton, Jean-Yves Le Drian, qui a pesé de tout son poids pour empêcher que la Basse-Bretagne ne vienne compromettre l’avenir commun qui attend les Nantais et nous.

     Jean-Yves Le Drian, qui a reçu une formation d’historien, sait très bien qu’une frontière culturelle sépare sa Basse-Bretagne des pays de Rennes et de Nantes. Il en est resté, très longtemps, notre habitude d’enterrer nos morts au cimetière, quand les Bas-Bretons les ensevelissaient dans leurs églises, ce qui explique qu’on puisse voir aujourd’hui encore autant d’ossuaires dans cette Basse-Bretagne. De même avons-nous été contraints pendant des siècles, si nous voulions éviter des taxes trop lourdes, de boire du « vin breton » (produit dans la presqu’île de Rhuys pour l’essentiel), que les ducs, au temps de la féodalité, distinguaient soigneusement du « vin nantais », évidemment supérieur et, franchement, nous préférons ce vin… plus méridional. Et nous parlons, faut-il le dire, la même langue que les habitants du Pays nantais, historiquement le gallo, puis tout naturellement le français.

      Mais notre parenté avec les Nantais s’est considérablement renforcée au cours des dernières décennies. Et cela de manière aussi incontestable qu’essentielle. Nous sommes les seuls bassins qui connaissent aujourd’hui une croissance démographique notable. Nous sommes les deux zones les plus jeunes de tout l’Ouest, sur le plan démographique. Celles qui comptent le plus de diplômés. Logiquement, celles dont les habitants ont les revenus les plus élevés, en moyenne, et les revenus qui augmentent le plus. Celles encore qui ont l’espérance de vie la plus élevée. Celles qui ont la meilleure dynamique de l’emploi. Celles dont la part de population en résidence permanente est la plus élevée. Celles aussi – et là, nous touchons à la culture héritée – qui sont les plus proches et les plus actives dans le domaine de l’économie sociale et solidaire.

     Dans la vie quotidienne, les parentés sont tout aussi fortes. Rennais et Nantais, mais aussi Vendéens, Angevins et Manceaux, lisent une presse locale qui appartient au même groupe Ouest-France : Ouest-France évidemment, Presse-Océan, Le Courrier de l’Ouest et Le Maine libre, quand les Bas-Bretons lisent, surtout, Le Télégramme. Nos équipes de football animent des derbys qui ne suscitent pas du tout le même engouement quand l’adversaire est Lorient.

     Nous sommes deux villes sœurs, toutes deux installées sur des confluents. Nous avons fait, de manière pionnière, les mêmes choix innovants en matière de transports en commun, tramway à Nantes, métro à Rennes. Et la parenté en ce domaine ne date pas d’aujourd’hui puisque les deux villes ont écarté leur cours d’eau du centre-ville, Rennes en couvrant, Nantes en comblant…

     Nous avons la même passion pour le livre : quasiment toute l’édition du grand Ouest est rennaise et nantaise. Nous avons même une passion commune pour le beurre, celui de La Prévalaye à Rennes, le beurre blanc à Nantes. Nous avons, aussi, des projets communs, par exemple le développement à Notre Dame des Landes d’un aéroport performant sur le plan économique, écologique et social. Et notre rapprochement permettra d’accélérer la création d’une liaison ferroviaire directe et rapide.

     Certes, le rapprochement posera le problème de la capitale, mais nous avons l’expérience de cela aussi ! Être capitale ne signifie pas accaparer toutes les fonctions : pendant très longtemps, Nantes a été la capitale économique, Rennes la capitale administrative et celle du savoir. Nous savons donc être complémentaires et, soit dit entre nous, voilà bien longtemps que nous captons les étudiants venus de la Mayenne, aux dépens de leur capitale administrative actuelle !

     Nantes sera donc la capitale de cet Ouest francophone et dynamique, mais nous y jouerons un rôle essentiel, au même titre que quelques autres grandes villes. Complémentarité, proximité culturelle et économique, héritage : oui, l’histoire, la géographie et l’intérêt des populations ne peuvent pas être plus longtemps méprisés. Vive le rattachement de Rennes et de l’Ille-etVilaine à la région francophone de l’Ouest armoricain !