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Initiatives urbaines
#28
RÉSUMÉ > Comme en écho au dossier « errance et marginalités » du numéro 27 de Place Publique, cet article interroge les formes et les niveaux d’exclusion qui sont à l’oeuvre dans l’espace périurbain. Il est question de rechercher à la fois dans l’organisation territoriale et dans les discours, ce qui ferait de ces territoires « un cas à part ». L’auteur, urbaniste, confronte les témoignages d’habitants de Romillé et l’analyse de trois expertes du cabinet d’études en programmation urbaines Cérur. Une approche complétée par l’éclairage de travaux concrets réalisés dans l’espace périurbain rennais, par des étudiants de l’ENSAB et de Rennes 2 dirigés par Flore Bringand.

     Depuis une dizaine d’années, le phénomène périurbain a mauvaise presse. Les élections présidentielles de 2012 marquent un tournant : les discours sur l’exclusion sociale se sont déplacés des cités des grands ensembles vers les cités pavillonnaires. Ces lieux qui vivent sous l’influence de grands pôles urbains, où habitent 15 % des Français, cristallisent désormais l’attention en tant que territoires marginalisés, voire invisibles pour les politiques publiques. Le projet de loi de programmation pour la Ville et la cohésion urbaine qui devrait être promulgué au premier trimestre 2014 prend acte de ce changement des temps : une nouvelle géographie prioritaire devrait faire « entrer » 100 communes, principalement périurbaines, dans les dispositifs de la politique de la Ville.
    Il s’agit donc bien de lutter contre cette forme d’exclusion marquée par des logiques de localisation libérales, voire dénoncées comme égoïstes : une consommation outrancière d’espace pour se loger, une énergie folle dépensée pour le tout-voiture, contre une contribution moindre au financement des équipements et des infrastructures…

     Sur la route de Romillé, on croise désormais les bus de la Star. Le mobilier urbain flambant neuf du réseau de transport en commun de l’agglomération rennaise est le signe visible que quelque chose a changé. Depuis le 1er janvier 2014, Romillé fait partie de Rennes Métropole, suite à la fusion de la communauté de communes de Bécherel avec la communauté d’agglomération.
    En se promenant dans la commune, on découvre toutes les strates d’une certaine politique du logement dont l’histoire prolongée a déjà un demi-siècle : une offre de lotissement, désormais aux parcelles de plus en plus réduites. Aux quartiers pavillonnaires des années 50-60 − les résidences de la Poste ou du Grand clos − succèdent les lotissements plus récents, vides l’aprèsmidi, un peu plus éloignés du centre bourg.
    Les rues y portent souvent des noms de peintres ou d’écrivains. En sortie de la ville, se construit le lotissement de dernière génération, vu comme un « quartier écologique » par les habitants. Leurs points communs ? Accueillir des familles qui travaillent ou ont travaillé à Rennes, à Pacé ou à Montfort-sur-Meu, et qui souhaitent être propriétaires d’une maison individuelle. Gaëlle Kerangueven, urbaniste au Cérur, un cabinet rennais d’études en programmation urbaine, rappelle que « le coût du foncier demeure un vrai critère aujourd’hui dans le choix de s’installer dans le périurbain. Les niveaux de revenus dans la deuxième couronne sont plus faibles. Ils correspondent souvent à ceux de jeunes ménages qui recherchent de grands logements. Mais avoir un pavillon situé à 30 km de l’endroit où on travaille, pour les ménages les plus modestes, cela signifie de n’avoir plus aucune marge de manoeuvre dans son budget ».
    La contrainte se dessine. « Ces choix résidentiels sont une équation, le résultat d’un calcul entre avantages et inconvénients par rapport au prix du logement, aux transports, aux services, à l’école… », souligne Agnès Lemoine, sociologue au Cérur. Cet arbitrage, on l’explique clairement à Romillé. Même pour des jeunes retraités, l’équation demeure valable : « Au début, on cherchait une maison dans la première couronne de Rennes, mais c’était en 2008 et les prix avaient flambé. Ici c’est une fois et demie moins cher pour 10 minutes de plus de voiture ».

     Bien sûr, habiter à 20 kilomètres de Rennes résulte aussi d’un choix réel : « on cherchait le calme, la verdure, tous les services et la proximité de la grande ville », témoigne ce couple.
    La part positive semble pourtant s’amoindrir à mesure que la commune est attractive et que la métropole se desserre : « Il manque encore souvent une réflexion globale, un projet urbain qui dépasse la seule division parcellaire. Jusqu’à présent, la lutte contre l’étalement urbain s’est traduite essentiellement par la réduction de la taille des parcelles de lotissements, qui peut finir par ressembler à du collectif à plat ! C’est une forme de désenchantement pour les nouveaux arrivants », indiquent Gaëlle Kerangueven, urbaniste, et Catherine Bouet, architecte urbaniste du Cérur.

     À la sortie de l’école, on croise des parents venus depuis les petites communes alentours. Pour les « gens du coin », Romillé c’est une ville, qu’ils ont vu se développer de plus en plus et ils apprécient cette évolution. Quant à ceux qui sont venus s’installer ici pour « avoir plus de jardin plutôt que de payer plus de taxe d’habitation », « c’est la campagne ». Le village devenu ville apporte « toujours de nouvelles têtes dans la classe ». Mais aussi son lot de craintes : « les anciens ont peur que ça change trop vite », entend-on ici ou là.
    Car ici, on n’est ni tout à fait urbain, ni tout à fait rural. Faut-il chercher là l’origine d’un « malaise périurbain », tel qu’il a été décrit après un vote fort d’une partie de ses habitants en faveur de l’extrême droite en 2012 ?
    « Dans le rural, comme dans l’urbain, il existe des identités marquées. Le périurbain, lui, est plutôt défini comme un entre-deux, comme s’il était sans caractéristique propre. L’image négative qu’il peut porter est sans doute liée à cette carence d’identité », souligne Gaëlle Kerangueven. « Ces territoires vivent des mutations urbaines et sociales rapides, que les gens ne sont pas préparés à vivre. Quel récit de territoire peut-on construire quand tout change très vite ? », questionne Agnès Lemoine.

     L’identité commune pourrait être celle d’une appartenance à la collectivité plus vaste de Rennes Métropole, dans la logique d’un grand territoire qui fonctionne ensemble et tisse depuis longtemps des liens de solidarité. Déjà, certaines caractéristiques communes apparaissent en matière d’urbanisme, par exemple. Ainsi, près de la Mairie de Romillé, des opérations successives de logements en petit collectif et d’habitat intermédiaire ont vu le jour. Faut-il y déceler l’influence de la grande métropole voisine, qui se serait fait sentir avant même le rattachement officiel ? Mais dans les esprits, on n’en est pas là. Le rapprochement administratif est sans doute trop récent : « la métropole on ne la ressent pas, à part les bus de la Star qui nous embêtent le matin ! », plaisante une mère de famille. « Nous, Rennes Métropole, ça ne nous regarde pas. On a chacun notre voiture alors on ne prend pas le bus », ajoute un couple, résumant cette appartenance au seul réseau de transport collectif.
    Le sentiment métropolitain n’opère pas encore, et dans le même temps, les habitants rencontrés admettent qu’ils ne sont «ni tout à fait des urbains, ni tout à fait des ruraux ». Tout se passe comme si la somme des intérêts particuliers, conduisant à s’installer à Romillé comme dans toute commune du périurbain lointain, n’arrivait pas à trouver sa cohérence d’ensemble.
    « De plus en plus, la vraie frontière entre le périurbain et le pôle urbain est ce chapelet de centres commerciaux qui remplace une partie de l’attractivité de Rennes. La ville centre reste l’endroit où on va emmener sa famille en visite, elle conserve sa fonction symbolique et patrimoniale. » Ces constats de la sociologue Agnès Lemoine sont confirmés par les témoignages des habitants de Romillé : « On ne se sent pas beaucoup plus loin de Rennes que lorsqu’on habitait au Rheu. Rennes c’est bien pour les spectacles, le cinéma… mais finalement on n’y va jamais ! Il y a un cinéma à Cap Malo, c’est plus pratique. On y est en 10 minutes en voiture »

     Or le projet métropolitain s’appuie sur ses habitants. La métropole peut même devenir un adjectif qui caractérise une nouvelle catégorie socioprofessionnelle : les Cadres des fonctions métropolitaines (CFM). Ce sont ceux qui exercent dans les hautes sphères de la recherche, de la culture, ou encore de la finance3 et qui incarnent un certain critère de développement de la Métropole. Voilà que Romillé, le 1er janvier dernier, n’a pas seulement intégré une communauté d’agglomération, elle a pris part à un jeu de compétition entre des territoires. La mise en perspective des chiffres du projet métropolitain rennais, concernant l’emploi, la recherche, l’habitat ou ces catégories socioprofessionnelles recherchées, avec ceux d’autres agglomérations telles que Nantes, Grenoble, Bordeaux ou Montpellier, illustre clairement ces nouvelles relations à l’oeuvre entre les territoires. Dans ce cadre, quelle carte le périurbain, éloigné du coeur stratégique de la métropole, peut-il jouer dans le projet commun ? Quelles ressources singulières peut-il mobiliser ? L’agglomération, de plus en plus englobante géographiquement, devra veiller au rôle de chacun afin de ne pas devenir excluante dans son organisation.