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Dossier
#39
RÉSUMÉ > Un chantier comme celui d’EuroRennes cultive bien des singularités. Il cumule les prouesses techniques, en surface comme en sous-sol, en nécessitant une coordination sans faille entre de nombreux intervenants, dans un espace dense et très fréquenté. À terme, la gare sera transformée en véritable pôle multimodal, offrant toute la palette des transports collectifs, sans oublier le vélo, qui va enfin disposer d’une place à sa mesure dans la ville. Et puis, côté constructions, les immeubles de bureaux high-tech y voisineront avec un bâtiment démonstrateur de la filière bois, ainsi qu’un cinéma d’art et essai. Voici quatre facettes à découvrir en détail.

Un chantier qui cumule les prouesses techniques

     Depuis quelques mois, impossible d’y échapper : le chantier de la nouvelle gare est entré dans sa phase opérationnelle, dont l’une des plus spectaculaires a consisté, cet automne, à déconstruire la façade nord, à l’aide d’une impressionnante « croqueuse » de 30 tonnes. Les objectifs sont bien connus : il s’agit de doubler la capacité d’accueil des voyageurs avec l’arrivée de la LGV, dont la mise en service commerciale est prévue en mai 2017. La SNCF a fait ses calculs et table sur une fréquentation quotidienne de 128 000 voyageurs lorsque la ligne à grande vitesse sera opérationnelle, contre 63 000 en 2013. Il s’agit donc de pouvoir les accueillir dans des conditions améliorées, avec une attention particulière apportée à la question de l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Les quais seront ainsi tous équipés de trémies en pente douce, et des ascenseurs seront également installés.

     Sur un plan technique, le chantier multiplie les défis. Outre le fait que les travaux se déroulent en site occupé (pas question d’arrêter le trafic ferroviaire !), ils interviennent en plusieurs endroits simultanément, en surface et en sous-sol. Au cours de ces derniers mois, la physionomie des quais a été modifiée : le quai E, qui dessert les voies 7 et 8, a été allongé pour pouvoir accueillir les TGV doubles, tandis que le passage souterrain a été prolongé vers le sud avec la création d’un nouveau quai, le F. Depuis décembre 2015, une deuxième phase de travaux est engagée, qui vise à créer une rampe d’accès et à installer un ascenseur sur le quai B, (sur les voies 1 et 2). Cette phase devrait s’achever en juillet 2016. Le montant de ces travaux s’élève à 25,6 millions d’euros.  

Station profonde

      En parallèle, le parvis nord de la gare est actuellement en partie masqué par les palissades de chantier qui dissimulent le creusement de la deuxième ligne de métro, qui croisera ainsi la première ligne à la station Gares. Après quelques péripéties et retards dus à des déplacements de terrain, l’arrivée du tunnelier est attendue au second semestre 2016. À noter que la ligne b passera sous la ligne a, à une profondeur d’environ 25 mètres. La correspondance sera assurée par une vaste salle d’échanges, cinq fois plus vaste que la station actuelle. Un chantier qui cumule les prouesses techniques Les travaux du paysage construit, ce plan incliné qui va profondément modifier la perception de l’accès nord, débutent en parallèle, suite aux démolitions des bâtiments situés sur le parvis. La coexistence des deux chantiers, l’un souterrain, l’autre à l’air libre, implique donc une parfaite coordination des équipes de maîtrise d’œuvre.

     Autre chantier sensible, à deux pas des voies : l’aménagement de l’îlot Féval, qui débute avec le creusement du parking qui supportera les futurs immeubles, dont le cinéma d’art et essai. Les calculs de charge sont particulièrement sévères, puisque c’est sur ce socle que seront ensuite édifiés les trois immeubles du programme Identity, portés par le groupe Giboire. Pratiquement au même moment, débutera la construction du programme Urban Quartz, de l’autre côté du pont de l’Alma sur une petite parcelle jusqu’alors occupée par un bâtiment de la Poste. L’évacuation des déblais, l’intervention d’engins de grande dimension et les modifications temporaires de circulation bousculent en profondeur la physionomie du quartier et les habitudes des riverains. Des outils d’informations numériques et physiques (site internet, applications mobiles, signalétique urbaine…) permettent de suivre l’avancement de ce chantier hors norme. Une meilleure compréhension de ses enjeux techniques facilitera peut-être l’acceptation des inévitables nuisances associées à sa progression.  

Le pari du pôle d’échanges multimodal

     Porte d’entrée de la Bretagne, la nouvelle gare de Rennes doit être envisagée comme un véritable pôle d’échanges multimodal (PEM) associant train à grande vitesse, trains express régionaux (TER), métro, bus, vélos et autocars. Les usagers doivent pouvoir associer de façon simple et rapide le type de transport de leur choix, conjuguant les différentes échelles de mobilité territoriale, du national au régional en passant par le local.

Repenser la fluidité

     Premier enjeu du PEM : repenser la fluidité et l’accueil de tous ces voyageurs en transit. Côté ferroviaire : une plateforme sera dédiée aux arrivées, sur la partie ouest direction Brest, et aux départs, sur la partie est, direction Paris. Au niveau des liaisons verticales, l’espace intermodal qui correspond à l’emplacement actuel de billetterie automatique, à l’entrée du métro, sera considérablement agrandi pour accéder comme aujourd’hui aux quais ferroviaires et aux deux lignes de métro. Côté autocar : si les quais restent à leur place, les services à la clientèle de la gare routière intégreront la gare ferroviaire. Pour accéder à la gare, l’ensemble des transports en commun, alternatifs ou doux, seront accessibles depuis le parvis nord. Les automobilistes seront orientés au sud vers 1 200 places de parking. Afin de faciliter les connexions piétonnes entre le nord et le sud de la ville, la gare étant une rotule importante pour les habitants qui la traversent journellement sans prendre le train, le PEM intègre la construction d’une passerelle nord-sud et d’un paysage construit.

Sept partenaires financeurs

     Dans ce contexte particulier, les acteurs du PEM sont nombreux et la maîtrise d’ouvrage multiforme. Originalité de la gouvernance et du mode de financement : le PEM fait l’objet d’un contrat de pôle finalisé par sept partenaires pour un montant global de 107 millions d’euros (valeur 2009). Rennes Métropole qui a une vocation d’animation est secondée par Territoires sur une mission spécifique de coordination des différents maîtres d’ouvrage et des chantiers.

Une maison du vélo

     Parmi les initiatives originales, signalons l’attention particulière apportée à la mobilité des cyclistes, avec des offres de parking au nord et au sud sous abri ou non, sécurisées ou non. Soit à terme, en 2030, plus de 1 280 places de vélo contre 280 places à ce jour. Au-delà, le PEM s’enrichira également d’une Maison du vélo. Elle s’installera, en 2018, au rez-de-chaussée du bâtiment de la gare routière actuelle. Ce lieu ressources sur le vélo dont la programmation est en cours devrait accueillir des offres de stationnement, de location de courte, moyenne et longue durée, d’accès au service VéloStar, d’entretien et petites réparations, d’information sur le réseau des pistes cyclables, de formation et de conseil et un même café-vélo…

Information connectée

     Qui dit intermodalité dit fluidité facilitée par une information accessible rapidement et surtout connectée. Pour mémoire, 60 % des ventes de titres de transport se font désormais par Internet, contre 15 % il y a seulement cinq ans, et les usagers du train ont davantage de moyens de communication numérique que le reste de la population. Si les réflexions sont là aussi en cours, il est d’ores et déjà prévu l’installation d’un guichet-banque d’accueil. Ce mobilier démontable, porté par le centre des congrès, sera une première étape de découverte pour les congressistes. Il devrait intégrer un mur d’images visant à informer les usagers de l’actualité économique, culturelle et touristique du territoire rennais. Information interactive ou non, rien n’est encore figé…  

Un immeuble démonstrateur de la filière bois

     « Accompagner le futur de Rennes » : le slogan du projet EuroRennes se décline de manière plurielle. Alors que sur les plaquettes s’affichent des projets futuristes, un outsider innove, osant la construction d’un immeuble tertiaire de neuf étages entièrement en ossature bois et de conception bioclimatique. Une approche urbaine et architecturale vertueuse qui s’inscrit dans le débat national relayé par l’Institut pour la conception écoresponsable du bâti. L’ICEB témoigne des difficultés des professionnels à réaliser des bâtiments à la hauteur des enjeux du changement climatique et de la transition énergétique. Horizons Bois est une société rennaise d’auto-promoteurs, qui porte le projet éponyme mis en œuvre par Thierry Soquet, de l’agence rennaise Architecture Plurielle. Depuis plus de vingt ans, cet architecte milite pour la construction passive et la construction bois en Bretagne. En 2012, Abibois, l’association régionale qui fédère les professionnels de la filière bois, lance le chantier du bâtiment B comme Bois, sur l’Île de Nantes, tout en recherchant un site pour bâtir une autre vitrine à Rennes. Le choix se porte sur une parcelle située au cœur d’EuroRennes. Thierry Soquet qui a installé son agence, en 1999, dans le périmètre de la ZAC, découvre dans les premières esquisses du projet d’urbanisme qu’il est envisagé la construction d’une tour de quatorze étages de logements sur sa parcelle. L’occasion unique pour l’architecte de rebondir, avec le soutien d’Abibois.

Performance énergétique

     L’acquisition d’un terrain contigüe conforte le projet qui se développera sur une parcelle triangulaire de 900 m2. Le parti architectural de ces neuf niveaux à ossature bois préconise une optimisation de la performance énergétique, en captant le maximum d’énergie sur la façade sud et avec une orientation des vues sur le centre-ville de Rennes à l’ouest, tout en développant une grande hauteur à l’est du bâtiment, signal de l’entrée dans la ville. L’ensemble de la construction s’articulera autour d’un atrium végétalisé par de grandes jardinières suspendues, assurant la régularisation thermique et la maîtrise de l’hygrométrie. Panneaux photovoltaïques, éoliennes urbaines, ventilation naturelle et géothermie possible en raison de la proximité de la Vilaine… la conception sera bioclimatique. La performance énergétique sera assurée par une enveloppe thermique constituée de deux couches de fibre de bois, un isolant complet en termes de performances phonique, acoustique et hygrométrique.

Restaurant en hauteur

     Autre originalité : cet ensemble de 5 000 m2 de plancher hébergera neuf entités partenaires. Le dernier étage accueillera le premier restaurant en hauteur de Rennes, doté d’un jardin bio urbain. Le rez-de-chaussée hébergera un centre de formation et d’information d’intérêt général sur la construction durable et le soutien au développement de la filière bois régionale. « En Bretagne, la filière bois, avec plus de 20 000 salariés, représente le 5e secteur économique en matière d’emplois avant le tourisme et l’automobile », souligne Thierry Soquet. L’architecte d’Horizons bois a déposé un dossier dans le cadre de l’appel à projets du Programme d’investissement d’avenir, Ville de Demain. Cette démarche nationale autour des ÉcoCités vise à financer des projets innovants, démonstrateurs et exemplaires de ce que sera la ville de demain. Verdict en principe dans quelques semaines…  

     Projetons-nous au 1er septembre 2019. À l’affiche de l’Arvor, cinq films à la séance de 20 h 00 : le dernier Nanni Moretti, l’ultime Abbas Kiarostami, les nouveaux Instants d’audience de Depardon, le Christophe Honoré de l’année, et un improbable film Ouzbek. Avec cinq salles et 734 fauteuils, l’Art et Essai entend prendre toute sa place dans l’offre cinématographique rennaise.

     L’Arvor a d’abord été situé, dans les années 70, rue Saint-Hélier, dans une salle de patronage appartenant à l’Évêché : « Très vite, nous avons montré d’autres types de films », se souvient Patrick Fretel, président de l’association de gestion. Puis, suite à un conflit avec le propriétaire, et avec le soutien de la ville, l’Arvor s’installe en 1983 rue d’Antrain. « On passe d’une salle à deux écrans. Il faut recruter, réorganiser, et continuer dans la philosophie qui est la nôtre, présenter la diversité cinématographique ». Trente ans plus tard, l’Arvor est à l’étroit, dans un marché plus concurrentiel : « Les cinéastes que nous avons aidés à émerger, Pedro Almodovar et autres Ken Loach, sont aujourd’hui présentés en VO dans d’autres complexes ».

Objectif : 250 000 entrées

     Inséré, sur 2 600 m2 , dans les trois premiers niveaux d’un immeuble de bureaux rue Paul Féval, face à l’esplanade sud du pôle d’échange multimodal, l’Arvor s’inscrira dans de nouvelles circulations urbaines du nord vers les quartiers sud (Châtillon, Alma) et Alphonse Guérin. L’objectif est de passer de 110 000 entrées en moyenne annuelle à 250 000, en élargissant le nombre de films présentés (de 4/6 films aujourd’hui à 10/15 par semaine). Impératif économique : « Ce qui a changé dans l’exploitation cinématographique, c’est que les distributeurs veulent des remontées de recettes rapides, il faut que vous ayez de la place tout de suite. » Impératif artistique : « On pourra accentuer la diversité et aménager des horaires plus accessibles pour des films qui disposeront de créneaux autres que le seul 18 h 00. L’objectif est de démultiplier ce que nous faisons aujourd’hui, lui donner plus de visibilité, amplifier les partenariats. »

     Les conditions d’accueil des spectateurs seront améliorées grâce à un hall plus spacieux (160 m2), intégrant un lieu d’exposition. Mais pas d’espace de rencontres à proprement parler car le cinéma est venu se loger dans un bâti, en origami, assez contraint. « Nous étudions tout de même l’aménagement d’un espace dédié, à l’étage » précise Patrick Fretel. Exploité indépendamment, un restaurant sera situé à proximité.

     Maître d’ouvrage, l’Arvor conduit ces aménagements - dans le bâtiment livré « brut de béton » et acquis par la ville en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement) - pour un budget de 3 millions d’euros hors taxes. Quant au maître d’œuvre retenu, il s’agit du cabinet d’architectes Mickaël Tanguy à Goven qui a notamment aménagé l’hôtel Balthazar à Rennes. Équipé en numérique, le cinéma disposera également d’un projecteur 35 mm pour maintenir l’accès à certains films.

     Ces travaux devraient débuter en juin 2018 pour une ouverture en septembre 2019, dans un quartier qui sera longtemps encore en chantier. « Le nouveau vaisseau prendra petit à petit son rythme de croisière ». Avec une nouvelle gouvernance car Patrick et Jacques Fretel (en charge quant à lui de la programmation) entendent bien, après une quarantaine d’années d’activité, transmettre le flambeau. L’équipe devra évoluer de 9 salariés (7 équivalents temps plein) et près de 40 bénévoles (représentant 3 ETP) à une montée en charge des postes salariés orchestrée par la nouvelle direction. Et les salles de la rue d’Antrain ? Patrick Fretel y verrait bien, « mais ce n’est qu’un vœu personnel », un pôle image pour les structures qui travaillent dans ce champ, à l’instar de Travelling, de l’Arrosoir à Émile, de Comptoir du doc…