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Dossier
#03
Quels avenirs industriels pour l’automobile ?
Le retour de la « Jamais Contente » !
RÉSUMÉ > Le parc automobile mondial (un milliard de véhicules aujourd’hui) serait multiplié par trois à l’horizon 2040. Cette croissance s’inscrira dans une hypercroissance urbaine (les 5/6 de la population mondiale vivront en ville). Persister à recourir au moteur à essence n’est pas raisonnable pour répondre à ce niveau de demande. Au plus haut niveau des États, la mobilisation pour lutter contre le réchauffement climatique et l’hyper dépendance au pétrole fait que l’industrie de l’automobile bascule dans un autre monde esquissé par le récent Salon de Francfort : la quasi-totalité des constructeur y exposait au moins un modèle de voiture à moteur électrique.

    À l’époque des fiacres hippomobiles et du cheval-vapeur, la bataille faisait rage entre les pionniers de l’automobile à la recherche de la meilleure solution de traction pour aller (déjà) toujours plus vite. Leur ingéniosité a permis d’introduire un grand nombre de nouveautés : pneumatiques, aérodynamisme des modèles, matériaux métalliques et techniques de mise en forme… Dans cette folle épopée, une voiture électrique, la « Jamais contente », fut la première à atteindre les 106 km/h. Mais la voiture à essence la surpassa en 1909. L’industrie automobile prenait corps. Un siècle plus tard, on mesure aisément en quoi cette industrie mondiale rythme nos économies et nos modes de vie. Avec un parc mondial estimé à un milliard de véhicules, un marché annuel en décroissance de l’ordre de 50 millions d’unités, l’ensemble des constructeurs a basculé dans un autre monde avec la crise économique née des subprimes américaines : chute brutale des ventes (1/3 en moyenne), pertes financières (y compris pour Toyota, champion mondial de la rentabilité), plans d’urgence en cascade comme chez General Motors, restructurations massives (licenciements et incitations aux départs volontaires), fragilisation des sous-traitants… L’intervention sans précédent des États auprès des firmes vacillantes, le soutien des marchés par des primes en tout genre ont certes stoppé l’hémorragie. Mais tout n’est pas réglé, loin de là. Un ressort semble s’être cassé, celui du modèle industriel de la construction automobile tel qu’il s’est développé au cours du 20e siècle.

L’onde de choc sur un système trop établi

     La voiture qui a construit sa réussite autour des symboles de la liberté et du statut social s’est d’abord progressivement alourdie pour accueillir de nouveaux équipements électriques et électroniques (30 % de poids en plus), a pris des formes et du volume (encore 30 % de poids en plus) pour séduire les clients et a vu ses prix de vente s’envoler alors que la très grande majorité des produits manufacturés connaissaient l’inverse. La part du neuf a fondu au détriment de l’occasion alors que les besoins de mobilité ont explosé. Les constructeurs se sont adaptés en se focalisant sur les ménages les plus riches (90 % de la clientèle des marques des spécialistes) et les plus âgés (60 % de la clientèle des constructeurs généralistes).
     Ce glissement a été contrebalancé par la migration de la production vers les pays à bas coût de main-d’œuvre, notamment pour les véhicules d’entrée de gamme. Paradoxe, ces modèles dont les ventes sont dopées par les primes, trouvent des débouchés dans ces pays en croissance et qui constituent désormais le cœur du marché. Avec cette recomposition, les constructeurs généralistes (Renault, PSA, Fiat, Toyota…) et spécialistes (BMW, Mercedes, Porsche, Audi…) se livrent une concurrence sans merci sur des marchés en régression où l’offre est abondante, diversifiée et exacerbée par des nouveaux entrants porteurs de solutions plus économiques (ex : Tata pour l’Inde, Saic pour la Chine…).
     S’il y a trente ans fabriquer trois millions de véhicules par an était rentable, il en fallait quatre en 1995 ; il en faut désormais au moins six pour assurer son avenir. Cet effet d’échelle qui s’impose à tous s’accompagne d’autres exigences : la dé-intégration des chaînes de valeur, le management de l’entreprise étendue (constructeur, systémiers et sous-systémiers), la remise en cause permanente des manières d’opérer, un système d’amélioration continue pour garantir la fiabilité et la durabilité du produit final… C’est un marathon sans fin ! Les constructeurs concentrent leurs efforts sur les fonctions les plus stratégiques (conception, achat, assemblage, vente…) et sous-traitent jusqu’à 60 % la réalisation et la fabrication en volume de modules ou systèmes sur le marché mondial (le global sourcing) pour bénéficier de l’effet d’expérience tout en rentabilisant l’effet d’envergure.
     Cette pratique de l’optimisation (par les techniques du lean notamment) ne fait pas pour autant la réussite des constructeurs. Les clients sont certes prêts à payer tel prix pour obtenir en échange un produit personnalisé. Mais, la politique de l’offre imposée par les constructeurs a incité les consommateurs à entretenir un rapport à l’automobile davantage basé sur des déterminants psychologiques que sur le seul besoin de mobilité. On est entré en quelque sorte dans l’univers de la mode avec une exigence de renouvellement plus fréquente des produits. S’y ajoute simultanément le besoin d’élargissement des gammes soumis à des tendances changeantes qui trouvent des réponses davantage dans le confort et la sécurité et moins dans la seule performance technique. Cette norme est d’autant plus perfide que les cycles de développement (3 ans contre 4 à 6 ans en 1995 pour créer un nouveau modèle ; 8 à 9 mois pour modifier les silhouettes d’un modèle), les délais de portage des coûts de conception avant la mise sur le marché, pas plus que les adaptations du produit tout au long de son cycle de vie (adaptation aux évolutions du marché) n’obéissent aux lois de l’immédiateté.
     La décision d’industrialiser un concept s’apprécie au mieux trois ans après. On conçoit alors aisément que pour gagner sur un modèle, il faille savoir perdre sur un grand nombre. L’économie du système peut s’apparenter à celle de l’édition : on gagne peu en dessous de 1 500 à 2 000 véhicules fabriqués (et vendus) par jour, beaucoup au-delà mais cela n’arrive qu’une fois sur 20. L’échec fait partie de la réussite mais à la condition de le contrôler. Sur un marché mature, certes mouvant, les constructeurs disposent de modèles de prévision et pratiquent à la perfection l’analyse concurrentielle. Sans doute trop car cette technique pousse à une certaine forme de mimétisme, sinon à l’endogamie. Le premier qui réussit à imposer un standard (ex : la Mini) est copié par les autres quelques semestres après (ex : Fiat 500) ce qui lui laisse le temps d’écrémer le marché. Pour un même standard, les constructeurs parviennent à se différencier en maniant habilement, au moment de la conception comme de l’assemblage, le partage de composants pour une famille de modèles s’adressant au même segment de clientèle (ex : 30 % à 60 % de pièces communes pour une plateforme), voire entre tous les modèles d’un même constructeur (20 % de pièces communes). Ils généralisent le recours à la différenciation retardée5 pour obtenir la personnalisation achetée par le client.
     En ce début de 21e siècle, cette industrie du juste-à-temps est soumise à des contraintes extérieures qui interrogent l’assise de son modèle économique. Les experts s’accordent sur le fait que le parc automobile mondial sera multiplié par deux d’ici 2020 et par trois à l’horizon 2040. Cette croissance tirée à 80 % par les BRIC – Brésil, Russie, Inde, Chine – s’inscrira dans un modèle de mobilité marqué par une hypercroissance urbaine (5/6 de la population mondiale vivra en ville). Il va sans dire que le recours à la motorisation thermique à l’origine des rejets de gaz à effet de serre n’est pas « soutenable » pour répondre à ce niveau de demande. De fait, nous courons le risque de voir notre conception de l’automobilité se marginaliser ; pire d’être supplantés par un standard en émergence (ex : Chine, Inde) né d’une conceptualisation radicalement différente des solutions de déplacements : des véhicules urbains (90 % du marché), propres (zéro émission), plus légers pour consommer moins d’énergie, et beaucoup moins chers. Les offres des cinq prochaines années marquent-elles un infléchissement par rapport au toujours plus technologique ? Nous nous sommes posé la question en septembre lors du salon international de l’automobile de Francfort.

Francfort, un salon un brin provocateur !

     Pour une industrie profondément marquée par la puissance de ses moteurs, la 63e édition du salon de Francfort se voulait un brin provocateur. Pour le pays organisateur, l’Allemagne, la mise en avant du véhicule électrique était une aubaine puisqu’il légitimait la politique décidée en 2009 par l’État fédéral en faveur d’une chaîne de mobilité décarbonée (programme de huit régions modèles – 500 millions d’euros pendant 3 ans). Cette politique, qui est une réponse pragmatique aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, converge avec celles engagées par les principaux pays qui comptent dans l’industrie automobile : États-Unis, Japon, Chine, Inde, France… Pour autant, trouve-t-elle un écho chez les constructeurs présents au salon ?
     À l’évidence, la très grande majorité des véhicules présentés correspond aux modèles traditionnels thermiques en phase avec la réglementation en matière d’émission de CO2. Ce « verdissement » des gammes symbolisé par la généralisation du dispositif « Stop & start » a été poussé à l’extrême par Fiat. Le stand de la firme italienne était une reproduction de la campagne (le bonheur est dans le pré !) avec une mise en scène colorée et vivante de l’ensemble de sa gamme et une forte référence à la jeunesse. L’air pur était respiré fort différemment par BMW : un anneau de vitesse indoor grandeur nature. La firme, qui symbolise la vitesse propre, avait construit un circuit sur tout le pourtour d’un hall imposant. Les spectateurs accueillis sur des gradins confortables pouvaient voire évoluer au calme et sans odeur les nouveaux modèles et concept- cars.
     Le fait significatif, pour répondre à la nouvelle donne réglementaire en matière d’émissions, réside sans aucun doute dans la pléthore de petits véhicules mis sur le marché. Plus adaptés aux déplacements urbains (plus d’agilité pour gagner du temps dans un espace encombré), avec des ventes stimulées par les systèmes de prime, ces véhicules répondent de surcroît aux disponibilités financières d’un consommateur à la recherche de solutions économiques à l’achat comme à l’usage.
     Dans le registre des petits véhicules branchés, modernes par leur conception et leurs équipements, mais rétro dans leur appellation (Mini, Fiat 500, DS, Revolte 2CV…), les constructeurs rivalisent d’imagination et livrent bataille pour capter une clientèle plus aisée. Sur les stands, on trouve aussi les standards cœurs de gamme, poumon des constructeurs avant la crise, mais à des niveaux de prix laissant peu de perspectives de reprise des ventes.
     Pour les passionnés de la voiture et les acheteurs qui ne comptent pas, les sportives, les 4×4, les modèles de luxe et haut de gamme, les séries limitées sont toujours portées par les marques leaders peu touchées par la réglementation sur les émissions ni même par la crise. Pour les véhicules les plus lourds, la solution hybride trouve son utilité. L’avance de Toyota dans cette technologie lui permet de contrôler un marché qui reste somme toute anecdotique. Il est le premier à proposer une hybride citadine (Auris).
     Tous les constructeurs, généralistes et spécialistes, ont en effet des offres pour le milieu et haut de gamme avec des performances qui restent peu convaincantes au regard des exigences de la réglementation et des économies d’énergie.

Contre toute attente, le lancement industriel de la voiture électrique

     S’agissant du véhicule électrique voire de l’hybride rechargeable, tous les constructeurs sauf Fiat (qui n’a pas dévoilé ses intentions) présentaient au moins un véhicule. Pour la grande majorité ce sont des concept-cars ou des solutions préindustrielles, avec des délais de commercialisation incertains et un prix de vente annoncé calqué sur celui des voitures à essence. Les grandes interrogations concernent leur autonomie (100 à 150 km), leur acceptation par les automobilistes, leur part de marché, leur vitesse de pénétration sur les marchés… Le prix des batteries, leur autonomie, leur fiabilité dans le temps, leur « recyclabilité », leur disponibilité en nombre et les modalités de leur acquisition sont au cœur des débats. En ce qui concerne la recharge enfin, l’offre de bornes est portée par de grands énergéticiens allemands avec des prix d’équipement très accessibles. À noter le partenariat entre Renault et Better-Place6, avec une visualisation du système d’échange rapide des batteries, la recharge rapide de ces dernières dans des stations-service ou à l’intérieur de parkings, sans oublier la recharge de longue durée intégrée au lieu d’habitation. Les systèmes de facturation de l’électricité existent.
     En d’autres termes, le salon de Francfort a permis de situer le niveau de faisabilité d’un système de mobilité dé-carboné à base de véhicules électriques conciliant les intérêts collectifs et individuels en matière environnementale. Les incertitudes qui demeurent, résident davantage dans la vitesse de couverture par les constructeurs d’une demande stimulée par les pouvoirs publics. De ce point de vue, on peut penser que Renault, seul constructeur à proposer une gamme complète de véhicules électriques dans son environnement d’usage (bornes de recharges et batteries spécifiques), a un temps d’avance. Qui plus est, ces véhicules sont conçus pour une architecture électrique avec des avantages pour les usagers (gain de place, de poids…) que n’ont pas les véhicules électrifiés, ceux dont on a simplement remplacé le moteur thermique par un moteur électrique.
     Ce décalage est plus saisissant encore chez PSA : un modèle Mitsubishi importé du Japon (l’électrification d’un véhicule existant) et son propre modèle, la BB1. De conception nouvelle, il a fait l’objet de toutes les attentions des participants avisés du salon. Angela Merkel a elle-même visité le stand PSA, marquant ainsi l’énorme intérêt que l’Allemagne porte aux préoccupations de développement durable et d’écologie. La BB1 est en effet un véhicule très certainement tout composite pour gagner en poids et par conséquent en autonomie, en rupture avec la conception actuelle du fait de son système de motorisation Michelin : un moteur intégré dans chacune des roues. Ces choix technologiques permettent ainsi une conception différente de l’habitacle et des fonctionnalités de conduite qui s’appuient sur les technologies d’information et de communication mobile. En contact permanent avec son environnement, la BB1 rend possibles les interconnexions entre les passagers et le web, entre le véhicule et le système de gestion des infrastructures.

L’émergence d’une nouvelle aire de jeu industrielle

     Au total, le salon de Francfort a donné une image de la réponse des constructeurs en faveur du véhicule électrique. Si tous, sans exception, intègrent à leur gamme un véhicule électrique, leurs réponses sont de portée différente. Daimler semble le plus en avance dans son programme de production en série de la Smart électrique dans son usine de l’Est de la France. BMW avec la Mini E, l’est tout autant. Renault en fait le cœur de sa stratégie industrielle et propose un nouveau slogan : « Changeons de vie, changeons l’automobile ». Sans délaisser ses modèles traditionnels, il semble que l’entreprise migre son offre de véhicules classiques chez Dacia portée par la réussite de la Logan. Renault n’hésite pas enfin à s’afficher avec Better-Place et à signer un accord de partenariat avec l’énergéticien allemand RWE. PSA s’est aussi positionné clairement en faveur d’un véhicule électrique à part entière. L’ampleur de la communication dans la presse nationale, autour de la BB1, juste au moment de l’ouverture du salon, donne le nouveau cap : une architecture tout électrique inédite.
     Sur l’échiquier de la compétition internationale, les positions que pourraient prendre les constructeurs français en association avec un autre géant de l’automobile, Michelin, semblent démontrer une mise en mouvement industrielle et commerciale stimulée par les mesures du Plan national pour le développement des véhicules électriques et hybrides rechargeables présenté le 1er octobre dernier. Ce plan prévoit 2 millions de voitures propres en 2020, une réduction de 3 % des émissions de CO2 à cette même échéance, la création d’un réseau de 4,4 millions de points de rechargement… À l’horizon 2025, les véhicules décarbonés représenteraient en Europe près d’une voiture sur trois (50 à 90 milliards d’euros). Pour la France, cette activité nouvelle générerait 15 milliards d’euros en 2030. Les mesures d’accompagnement sont à la hauteur de l’ambition : 750 millions d’euros pour l’installation de bornes d’alimentation électrique dans les villes, prime à l’achat de 5 000 €, création d’une usine de construction de batteries…
     L’enjeu est de prendre place dans le peloton de tête de l’industrialisation massive d’un ou plusieurs standards de mobilité en phase avec les exigences environnementales mondiales. Ce plan fixe l’ambition du gouvernement : doter la France d’une chaîne de mobilité dé-carbonée pour faire face aux problèmes d’environnement. Il se veut aussi un générateur d’activités économiques nouvelles et d’emplois. Il entend développer l’exportation de produits et de technologies. En ce sens, il rappelle les grands projets industriels portés par l’État au moment des Trente glorieuses. Associée au symbole du Grenelle, cette politique invite l’ensemble des acteurs à s’inscrire à vive allure dans une nouvelle aire de jeu industrielle.
     Les marges de manœuvre limitées pour gagner en masse et la baisse de coûts de fabrication des modèles thermiques obligent les constructeurs à réagir. L’adjonction à la chaîne de traction thermique d’une chaîne de traction électrique (ce qui constitue un hybride) complexifie le montage et accroît les prix. Les exigences drastiques actuelles et à venir posées par les États en matière environnementale sont telles qu’une nouvelle aire de jeu industrielle émerge, à partir d’autres ressorts technologiques qui ne sont pas de simples prolongements de l’industrie automobile actuelle.
     Cette nouvelle aire de jeu correspond à un standard de marché. Il est une des réponses au réchauffement du climat, à la préservation de l’environnement et à l’épuisement des ressources naturelles. Il répond aux déplacements de proximité, prend en compte les particulariés de l’hyperconcentration urbaine et les caractéristiques des espaces ruraux et de leurs modes de vie associés. Par l’amortissement des coûts de développement sur des tailles de série décuplées (effet d’expérience), la dé-intégration poussée des chaînes de valeur, le partage d’un nombre très élevé de composants (supérieur à 85 %) pour des véhicules appartenant cette fois-ci à des constructeurs différents, il vise une réduction drastique des coûts de fabrication et des prix de vente pour faciliter l’acquisition massive de véhicules, seule réponse pour modifier la structure d’un parc vieillissant et polluant. Ce standard s’appuie également sur l’agilité organisationnelle des constructeurs.
     C’est sans doute grâce à cette habileté à s’adapter que les industriels se distingueront par la réduction des cycles de renouvellement des modèles, la maîtrise de l’effet de mode répondant aux attentes des consommateurs, la différenciation retardée pour personnaliser le véhicule au plus près des clients à partir de qualités perçues. Plus que la performance intrinsèque du produit, principale cause d’évolution des véhicules actuels, l’attrait de ce standard réside aussi dans son insertion au service d’une chaîne de mobilité pour la rendre plus décarbonée. Dans un contexte de concentration urbaine générateur de congestion, il s’agit de doter les véhicules en technologies intelligentes pour être à même de réguler les trafics.
     Le congrès de Stockholm sur les systèmes de transport intelligent qui se déroulait immédiatement après le salon de Francfort a montré une grande maturité des technologies. Leur passage à l’échelle industrielle n’apparaît pas difficile. Leur interfaçage avec les technologies de communication embarquées des constructeurs (liaison véhicule – infrastructures au sol) doit cependant progresser. Malgré des freins importants, le changement de logique, consistant à considérer l’automobile comme un outil de mobilité parmi d’autres et complémentaire, est en marche.
     La profusion d’offres et d’exemples de mise en œuvre de systèmes permettant de contraindre l’expansion du véhicule individuel, notamment en milieu urbain (péages urbains…), témoigne de cette volonté, tout comme un certain nombre de déclarations de personnalités-phares du secteur. Ainsi, Hans-Peter Keitel, président du BDI (Fédération allemande de l’industrie), a souligné à Francfort qu’on « ne peut pas créer de la mobilité sans système de transport intelligent. L’interconnexion intelligente de tous les modes de transport est particulièrement importante ». Pour Klaus Schwab, PDG du Forum économique mondial, « l’élément clé d’une économie prospère et à faible émission de CO2 est le développement des technologies de l’information et de communication ». Pour les services avancés de mobilité (covoiturage, autopartage…), leur déploiement limité est à l’aune de la percée du véhicule électrique. Les mesures des États pour réduire les pollutions dues à la concentration de véhicules thermiques en milieu urbain notamment vont accélérer leurs diffusions. Alors, si l’usage du véhicule dans sa compréhension comme dans sa conception et sa mise en œuvre (en termes d’acceptabilité notamment) est le nouveau déterminant de la création de valeur de l’industrie de la mobilité, de nouvelles perspectives d’activités et d’emplois se dessinent.

     Parler avenir de l’automobile, surtout lorsqu’on évoque la possibilité d’un changement de paradigme, suscite chez les passionnés, progressistes ou conservateurs, de l’engouement, de l’agacement et pas mal de débats animés. Chez les experts, l’on assiste à une bataille rangée. Le débat technologique épuisé, on ripe vers la bataille des chiffres pour trouver « le diable dans le détail », et condamner le projet avant même qu’il ait démarré. Construire l’avenir à partir d’une représentation du présent en prenant appui sur des données et modes de raisonnement du passé conduit évidemment à l’impasse. La seule prise en compte, à la fois des conséquences du réchauffement climatique sur nos modes de vie et de l’épuisement des matières premières induisant l’« insoutenabilité » d’une forte augmentation des coûts de l’essence notamment, nous invite à repenser nos modèles à partir de jeux d’hypothèses.
     Il ne s’agit pas de faire table rase du passé, mais de changer de cap par anticipation. En d’autres termes, améliorer et perfectionner ce qui est nécessaire dans un avenir connu (5 ans), tout en s’engageant dans un « avenir inconnu » avec flexibilité et souplesse pour s’adapter à des situations qui à ce jour sont manifestement imprévisibles. Le premier avenir nécessite de maîtriser et d’optimiser l’ensemble des flux de ressources de l’entreprise, en particulier ceux qui déterminent sa viabilité. Dépendante de la finance, l’entreprise n’a d’autre choix que de dégager une rentabilité nette dictée par les objectifs de retour sur investissement, les apporteurs de ressources s’orientant vers les affaires les plus porteuses. L’« avenir inconnu » implique que dès maintenant, les industriels agissent sur leur structure en termes de masse critique (de capitaux notamment) et d’articulations institutionnelles lourdes non seulement entre eux, mais surtout avec l’ensemble des industries tierces qui composent la chaîne de mobilité décarbonée.
     
     Jean-Luc Hannequin est directeur délégué « stratégie et à innovation » de la CCI de Rennes, délégué général de Novincie et professeur associé à l’Institut de gestion de Rennes (Université de Rennes 1).
     
     Gérard Chevalier est dirigeant fondateur du groupe Cybel, expert en stratégie automobile.