L’industrie automobile n’est pas une industrie comme une autre. Globalement, elle concerne dix millions d’emplois au sein de l’Union européenne et environ 8 % de la valeur ajoutée produite. Elle est source d’innovations et de développement pour de très nombreux secteurs, de la métallurgie au textile en passant par la chimie, le caoutchouc, l’électronique, les TIC, la finance et les services. Elle est aussi une industrie territorialisée qui irrigue plusieurs dizaines de régions européennes pour lesquelles elle représente en moyenne le tiers de leur activité.
En Bretagne, elle concerne une dizaine de bassins d’emploi dont le plus important est celui de la région de Rennes.
Fin 2008, nous ne découvrions pas la crise automobile. Depuis plusieurs années déjà, l’usine PSA de La Janais et ses principaux sous-traitants comme l’usine de La Barre-Thomas ou Bretagne Ateliers, connaissaient des difficultés. Nous étions face à des pertes d’emplois importantes. La région Bretagne, s’inscrivant dans le travail commencé par le Codespar1, avait déjà mis en route une réflexion sous l’égide de l’Agence économique de Bretagne, pour répondre à cette situation de crise et dresser des pistes de développement possibles pour l’avenir. Pour autant, devant l’ampleur inédite de la crise, j’ai souhaité pouvoir activer tous les leviers possibles. Parmi ceux-ci, il m’a semblé légitime de prendre une initiative au niveau européen en tant que président de région. Rappelons-nous qu’à l’époque, le PDG de Daimler déclarait que l’année 2009 serait « darwinienne ». J’ai donc proposé dès le début de l’année au sein du Comité des régions de créer un groupe de travail sur la crise de l’industrie automobile.
Le Comité des régions est « l’assemblée politique qui fait entendre la voix des collectivités régionales et locales dans l’élaboration des politiques et de la législation communautaire ». Les traités rendent sa consultation obligatoire par la Commission et le Conseil pour toutes propositions touchant l’échelon local et régional. Il ne dispose donc que d’un avis consultatif auprès de la Commission européenne mais a déjà montré à quelques reprises dans le passé sa capacité d’influence. Sa force est cependant très liée à l’importance que peut accorder la Commission européenne aux territoires. La Bretagne en est un des membres actifs.
Jusqu’à présent, ce type de groupe de travail ne réunissait guère plus d’une dizaine de régions et souvent pour travailler sur des problématiques géographiques. L’engouement immédiat que notre groupe a connu a été une surprise. En quelques jours, plus d’une trentaine de régions ont fait connaître leur intérêt pour s’investir sur la question. À l’heure actuelle, nous avons plus de 60 membres issus de plus de dix pays de l’Union. Parmi ces régions, sont présentes les régions automobiles importantes en Espagne, en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Nous avions un double objectif : à la fois disposer d’un lieu de partage de nos expériences positives et négatives mais aussi constituer une sorte de lobby suffisamment crédible pour interpeller la Commission et influer sur ses futures initiatives en matière d’industrie automobile.
Les premières réunions ont été consacrées à un échange sur la crise dans nos territoires et sur quelques exemples de réponses à cette crise, en particulier lorsqu’elle avait été anticipée. Nous avons ainsi pu constater que dans les régions touchées, l’automobile pouvait représenter en moyenne le tiers des emplois industriels. Nous avons aussi échangé sur nos pratiques en matière de cluster, le pôle iDforCar ayant illustré le cas de la région Bretagne.
Nous avons ensuite au mois de juin transcrit nos objectifs et nos premières recommandations dans une résolution politique. Ce document très court, voté à l’unanimité du Comité des régions exprimait la gravité de la crise, l’engagement local des collectivités pour apporter des réponses, la nécessité d’avoir une approche européenne commune pour répondre aux enjeux, l’importance d’agir pour réduire les conséquences sociales et l’importance de pouvoir associer les collectivités à la conception et la mise en œuvre d’une future action européenne. Ce travail reconnaissait aussi l’importance de l’initiative « Green cars » lancée par la Commission européenne en 2008 et qui pouvait préfigurer une action de plus grande ampleur.
Une telle action doit s’inscrire dans un lieu mais aussi dans un calendrier propice. C’est le cas au moins pour trois raisons.
La première raison, c’est l’intérêt porté par la Commission à la crise de la filière automobile. Cet intérêt s’est décliné à la fin de l’année 2008 par la « green car initiative » incluse dans le plan européen de relance. Cette initiative s’est traduite par l’engagement de débloquer quatre milliards d’euros de crédits de la Banque européenne d’investissement pour le secteur, d’augmenter les moyens destinés à la recherche, d’encourager des mesures pour empêcher une chute des ventes trop brutales du secteur. Ce dernier point a en particulier consisté à encourager les systèmes de primes à la casse qui se sont développés dans la plupart des pays européens et en particulier en Allemagne et France. Un premier bilan de cette initiative a montré que la Banque européenne d’investissement avait mis à disposition près de neuf milliards d’euros et non pas quatre. Pour le reste, les primes à la casse ont montré leur efficacité à court terme mais font craindre un effondrement plus rapide pour l’année 2010.
La deuxième est le contexte électoral européen de 2009. Les élections européennes et l’ambiance de fin de mandat ont eu une double conséquence : à la fois il était très clair qu’aucune décision importante de la Commission ne serait prise à partir du second semestre 2009. Cependant, ce temps de flottement est aussi utilisé par les services de la Commission pour amorcer des réflexions sur les futurs projets possibles. La question automobile faisant partie des futurs projets.
La troisième est plus tactique : l’Union européenne sera présidée par l’Espagne pour six mois à partir du premier janvier 2010, or l’Espagne est un des pays les plus touchés par la crise économique, ses principales régions sont représentées dans l’intergroupe crise automobile et elle a déjà annoncé sa volonté de travailler sur une politique industrielle pour la filière automobile.
À la suite de la résolution politique, le Comité des régions a donné son aval pour poursuivre le travail sous la forme d’un avis d’initiative, une communication reprenant les points saillants de notre analyse et différentes propositions. Cet avis sera une contribution à la définition d’une stratégie pour l’automobile que nous souhaitons pour le premier semestre 2010. Sa rédaction est aussi l’occasion de poursuivre les échanges avec les régions intéressées mais aussi d’approfondir les relations avec la Commission européenne et les autres institutions. Avec la Commission, nous avons pu maintenant créer des relations de travail et d’échanges efficaces à différents niveaux. Nous avons aussi souhaité associer les parlementaires européens à cette initiative en les faisant témoigner lors de notre dernière réunion à Bruxelles le 6 octobre. Ces derniers ont exprimé leurs craintes sur la situation actuelle, ont souhaité que l’échelon local soit encore mieux pris en compte, ont insisté sur l’importance de l’aide à prévoir pour les fournisseurs qui sont aujourd’hui les plus touchés. Pour l’avenir, ils ont insisté sur l’importance de la logique européenne contre des logiques trop protectionnistes et ils ont souligné l’importance de préparer les mutations technologiques que va connaître cette industrie.
L’ensemble de ces travaux a d’ores et déjà permis de montrer la montée d’une volonté politique des territoires, des parlementaires et de l’ensemble de la filière pour une stratégie industrielle automobile qui ne soit pas la poursuite des outils existants mais qui soit une sorte de New Deal automobile embrassant à la fois les questions financières, technologiques, réglementaires, sociales…
Il est, en effet, apparu très clairement que les outils existants pouvant intervenir pour répondre à la crise étaient très insuffisants. C’est le cas du Fonds d’ajustement à la mondialisation dont le recours reste de la volonté des États alors qu’il a été conçu pour intervenir sur les territoires. Quant aux actions, en particulier en matière de recherche, elles se révèlent aussi encore insuffisantes. Des voix commençant à s’exprimer pour demander que l’Europe fasse un choix technologique clair pour l’électrique et concentre ses moyens sur cette technologie.
Pour la Bretagne, ce travail est bénéfique. À la fois très directement parce qu’il a donné à la région une visibilité européenne sur ces questions et donc une légitimité pour agir et proposer. Ensuite, parce que les différents échanges avec les autres régions européennes sont aussi un moyen pour s’enrichir des pratiques des autres, il nous donne aussi un point d’observation des stratégies territoriales aujourd’hui à l’œuvre. Agir à l’échelle européenne peut donc être très utile pour une région. D’une façon générale, nous avons tout à gagner à « européaniser » nos collectivités.
La leçon que je tire aussi de cette initiative est que la Bretagne a une carte maîtresse à jouer sur l’avenir de l’industrie automobile. Nous avons sur notre territoire des industriels, des capacités de recherche, des compétences, des savoir-faire qui peuvent nous donner un avantage dans la course à la mobilité de demain.
En contribuant à un futur New Deal automobile européen, la Bretagne renforce aussi son propre futur industriel.
Jean-Yves Le Drian est président du Conseil régional de Bretagne