à l’écomusée ?
En avril dernier, sur les panneaux municipaux, l’Écomusée du Pays de Rennes affichait à la cantonade: « Du nouveau à l’écomusée » et annonçait un double évènement: l’ouverture, derrière une façade originale, de l’extension du bâtiment d’accueil et le lancement d’une exposition dédiée aux ornements de toiture, Compagnons célestes. La première profitant au second: au cœur de l’extension, « bâtiment signal avec un épiderme en bois », l’agence d’architecture nantaise Guinée et Potin a dessiné une nouvelle salle d’exposition de 350 m2 . Un nouveau souffle pour l’accueil et l’administration et tout confort pour les visiteurs et les dix-neuf salariés de ce musée de société doublé d’un conservatoire agro-pastoral.
Et pourtant, ironie du sort, ce n’est pas cette actualité souriante qui a retenu l’intérêt médiatique, mais l’incendie du 3 mai dernier qui ravageait un hangar de fourrages, plusieurs ateliers et locaux techniques. L’attirance pour le « spectaculaire » reste une tendance lourde. Mais, n’est-ce pas indirectement ce que courtisait la campagne « Du nouveau à l’écomusée »? Un appel du pied pour battre en brèche les idées reçues, du genre: « À l’écomusée, il n’y a que des vieilleries » ou « Quoi de neuf à l’écomusée? ». Cette attente du tout nouveau n’est-elle pas paradoxale quand on a vocation à « garder des traces tangibles de nos sociétés à différents stades de leur fonctionnement, pour les générations futures »? Tel que le définit Jean-Luc Maillard, conservateur et directeur.
« Nous sommes dans le paradoxe des musées et des écomusées qui est de conserver du patrimoine. Dans ce contexte, que veut dire être innovant ? Le public nous demande: « Préoccupez-vous des phénomènes de société actuelle ». Mais il nous dit aussi : « Étonnez-moi Benoît, faites du nouveau! » C’est dans l’ère du web! Nous devrions renouveler les expositions tous les trois mois pour avoir une image de dynamisme qui colle à celle du spectacle évènementiel où la programmation change chaque semaine! La question est de savoir si nous devons aller dans ce sens. »
Quelle est la vocation d’un écomusée? Sur une idée lancée par Georges-Henri Rivière, au début des années 50, expérimentée dans les parcs régionaux, à partir de 1968, et au Creusot, en 1971, l’écomusée devenait en 1981 une institution culturelle labellisée par le ministère de la Culture: « L’écomusée répond sans aucun doute au désir de plus en plus vif des Français de s’approprier pleinement leur patrimoine ethnographique et de rechercher ainsi le sens profond du territoire sur lequel ils vivent, dans toutes ses dimensions spatiales et temporelles ». Ses missions : « Assurer d’une manière permanente, sur un territoire donné, avec la participation de la population, les fonctions de recherche, conservation, présentation, mise en valeur d’un ensemble de biens naturels et culturels, représentatifs d’un milieu et des modes de vie qui s’y succèdent ». Un modèle à la française qui a fait des petits. Dans une étude publiée en 1999, Peter Davis, sociologue néo-zélandais, recensait 166 écomusées dans 25 pays différents.
C’est à la faveur de ce mouvement de pensée qu’en mai 1987 était inauguré l’Écomusée de la Bintinais, équipement culturel de la Ville de Rennes, aujourd’hui « Écomusée du Pays de Rennes », transféré à Rennes Métropole en 2001. « L’initiateur du projet est Jean-Yves Veillard, alors conservateur du musée de Bretagne. Il a souhaité que soit conservé localement le témoignage singulier du passé rural de la ville de Rennes », précise Jean- Luc Maillard. « Dès la Révolution, la ville de Rennes vit largement sur sa campagne et continue au cours du 19e siècle à vivre de ses gros propriétaires terriens. Ces derniers résident en ville, ne travaillent pas et perçoivent les revenus des baux d’un ou plusieurs domaines. » Ils sont nombreux à livrer le lait, la viande, les fûts de cidre et le beurre. Ils vendent aussi leur production au marché des Lices. Une tradition toujours vivante!
L’approche écomuséale de Jean-Yves Veillard ne s’enferme pas dans une approche historique: « Il a fait appel aux services de sociologues, de chercheurs, de géographes, d’agronomes, d’ethnologues… » Reste le lieu à trouver. En 1977, le maire socialiste Edmond Hervé est élu. A ses côtés, Pierre-Yves Heurtin, nouvel adjoint à la Culture, entreprend l’inventaire des bâtiments municipaux. Il découvre la ferme de la Bintinais, la seule conservée dans ce secteur: « Une ferme noble révélatrice de ce qu’étaient ces grosses fermes autour de Rennes où évoluait une élite de fermiers ». La municipalité précédente avait en projet de l’abattre pour installer un nouveau cimetière. La nouvelle décide d’y installer l’écomusée.
Nommé en 1986, avec une sensibilité agronomique, environnementale et naturaliste, Jean-Luc Maillard développe le volet agricole. « Une place importante était donnée à la présentation du cidre et des variétés locales de pommes ». La création d’un verger conservatoire des variétés locales du Pays de Rennes est décidée. En avril 1989, sont greffés les premiers pommiers. Aujourd’hui, une centaine de variétés fruitières, pommes mixtes, à couteau, poires et cerises, constitue cette collection génétique. Une nouvelle étape est franchie avec la découverte du dernier cheptel de la poule Coucou de Rennes, en 1989. L’écomusée accompagne la création de l’ANEVRB, Association nationale des éleveurs de volailles de races bretonnes, puis une décennie plus tard, l’Association de producteurs de la Coucou de Rennes. Un noyau d’éleveurs avec à leur tête Paul Renault, aviculteur à Louvigné-de-Bais, organise la production, la promotion, la distribution traditionnelle. « Les professionnels et les décideurs nous ont regardés différemment : le patrimoine pouvait déboucher sur de l’économie. »
Conscient de la fragilité de la biodiversité et à la suite de rencontres dans les parcs naturels régionaux, l’écomusée souhaite sensibiliser le public, en introduisant des animaux vivants dans la ferme. En 1994, ouvre le parc agro-pastoral. « Éleveurs, nous pouvons animer en coulisses des réseaux d’éleveurs fragilisés. Un établissement comme le nôtre peut diffuser l’information et aider à l’organisation de programmes de conservation. » L’écomusée s’impose très vite dans la conservation des moutons d’Ouessant, du cheval de trait breton, de la race bovine Armoricaine, de la chèvre des Fossés, du mouton Avranchin, de celui des Landes de Bretagne, de BelleÎle, du porc Blanc de l’Ouest et celui de Bayeux…
De même, ce rôle de passeur s’affirme dans les animations proposées. « Nous avions la légitimité. Les acteurs patrimoniaux nous attendaient ». Des partenariats se créent naturellement. Citons les premiers pommés périurbains avec La Bouèze. Citons les premiers concours d’attelage du cheval breton, en Bretagne, avec les haras nationaux. Au bout de onze ans, le pari gagné, l’écomusée passait le relais. « À chaque fois, il s’agit soit d’une incitation en matière de savoir-faire, soit d’une incitation à comprendre. Par exemple, pour la tonte des moutons ou la récolte du miel, en dehors de l’attrait de l’animation, c’est moins le savoir-faire qu’on va mettre en avant que tout le processus de transformation. »
La force et l’originalité de l’écomusée rennais dans le paysage français est bien d’être ce lieu d’interprétation du patrimoine rural d’hier, ouvert sur des questions et des problématiques contemporaines. Les expositions participent largement à cette prise de conscience. Citons Constructions de terre en Ille-et-Vilaine, en 2001. « Ce travail a permis aux élus communautaires et aux acteurs locaux de comprendre l’intérêt patrimonial que pouvait jouer l’écomusée ». » Et d’ajouter: « C’est notre rôle d’agitateur social ».
L’ouverture récente du nouvel espace d’exposition permet de réinterroger les enjeux. « Avec notre nouvelle salle, nous pouvons développer de nouvelles manières de muséographier, avec de nouvelles technologies, le public s’habituant à d’autres formes de restitution. » Une demande légitime mais coûteuse en temps et en argent. « Nous devons adapter nos métiers avec des équipes qui ne sont pas en augmentation mais des publics qui sont plus exigeants en qualité. »
Dans cette revendication du tout novateur évènementiel, n’est-ce pas aussi la proposition d’une exposition thématique par an qui est jugée insuffisante? Mais nourrir une exposition demande du temps et des moyens humains, que ce soit en adaptant les travaux des chercheurs ou en impulsant une dynamique de recherche. « Ce sont des contrats sur la durée qu’il faut pouvoir financer. Pour l’exposition sur l’architecture de terre, en 2001, nous avons eu la chance d’avoir pendant deux ans Philippe Bardel, objecteur de conscience. Une formidable opportunité qui nous a permis de faire l’inventaire du patrimoine en terre dans le Pays de Rennes ». Chacun se souvient aussi de l’exposition L’arbre, la haie et les hommes, en 2005, qui a permis de questionner l’histoire du bocage de Rennes, en croisant les problématiques environnementales, sociales et économiques. « Nous avons quitté ce terrain à regrets, car nous sentons bien tous les espoirs qu’on a fait naître. Sur ces thèmes, notre rôle est de passer le témoin à un autre acteur. Nous avons un rôle pédagogique, mais aussi un rôle de médiateur. »
Avec le temps, il faudrait relancer les dynamiques qui s’étiolent et « remettre le feu sous la marmite, car dans ces niches thématiques laissées en friche, l’écomusée est souvent le seul acteur ». La question reste entière: « Mais estce notre rôle? Lorsqu’une exposition intéresse, des visiteurs nous demandent de la faire durer mais d’autres attendent sans cesse du nouveau ».
Le paradoxe est là. « Il faudrait être toujours présent sur ces thématiques et en aborder de nouvelles. C’est la demande sociale et le mythe social. Nous devons être dans ce qui perdure et en même temps dans l’évènementiel avec une programmation dense. » Il faut aussi pour l’écomusée, en tant que musée de société, rester en phase avec ses évolutions, à l’écoute des novations d’hier devenues patrimoine commun. En projet par exemple, un coup de rétro sur « le rock à Rennes ». « Sous un aspect patrimonial, nous pouvons appliquer notre regard sur ce monde du rock, les singularités ou les absences de singularité rennaise… pour rétablir quelques vérités et parler d’aspects qui deviennent aujourd’hui du patrimoine local! »
En attendant, fin 2011, une nouvelle exposition abordera de nouveau une thématique identitaire forte: le virage de l’agriculture des années 60-70, modèle agricole sur lequel nous vivons. « Nous voulons expliquer pourquoi ce modèle agricole a émergé, avec les difficultés que nous connaissons aujourd’hui. Alors que nous légitimons un discours productiviste, si on redéployait la même énergie avec le même front uni qu’on a eu dans l’Ouest, à cette époque, on aurait sur le terrain des traductions différentes que celles d’aujourd’hui. » Et là le travail reste entier : « Nous avons collecté peu d’objets et de témoignages sur cette décennie. À la conception de l’écomusée, cette période n’avait pas encore de dimension patrimoniale. Nos campagnes de recherche n’allaient pas au-delà des années 50. »
Conservatoire, l’écomusée doit continuer à collecter des objets contemporains. Et la problématique reste entière: qu’est-ce qui est significatif aujourd’hui pour un écomusée, alors que les objets sont manufacturés et standards ? De plus, les réserves représentent un coût, des choix réalistes s’imposent : « Si nous devons garder dix objets de l’agriculture par décennie ce sont lesquels ? ». Sans compter qu’il faut « faire parler ces objets en enregistrant des témoignages. Nous sommes astreints à enquête et recherche. »
Et du côté du parc agro-pastoral, quoi de neuf ? Les équilibres restent fragiles. Rien n’est jamais acquis dans la conservation des races rustiques. C’est le cas par du porc Blanc de l’Ouest et celui de Bayeux, dont les cheptels sont de nouveau en baisse. En dehors des modes, insiste Jean-Luc Maillard, il faut pouvoir continuer à conserver ces collections vivantes. « Sur le créneau de la biodiversité, ce travail de longue haleine finit par payer même si ce ne sont pas des actions lumineuses, c’est un travail de laboureur de fond. » Une mission de service public et de « guetteur », en coulisses, qu’ignorent bien souvent les familles qui, le dimanche, viennent visiter les animaux de la Bintinais.
D’une part, phénomène de génération, les détenteurs de savoir-faire ruraux et artisanaux disparaissent. D’autre part, l’écomusée joue pleinement son rôle de passeur : « Nous avons arrêté le pommé qu’on a fait pendant près de quinze ans, en formant des jeunes. Il est repris partout ». Aujourd’hui, l’écomusée envisage de se recentrer sur une transmission de savoir-faire techniques comme la greffe et les démonstrations liées aux métiers, celui de la laine par exemple… « Là, il y a toujours l’intérêt du public. » Et de souligner l’engouement pour les ateliers pratiques : « L’année dernière, nous avons reçu 8 000 visiteurs de plus. Je l’attribue à l’exposition sur les graines avec des ateliers de pratique, mais aussi au chantier qui a attiré du monde. »
Acteur toujours, mais pas toujours sous les feux de la rampe car l’écomusée n’a pas de révélations fracassantes à faire. Le patrimoine constate Jean-Luc Maillard a moins le vent en poupe. Ce dernier note le rôle central des décideurs, des élus, des penseurs de l’aménagement du territoire, à l’époque de Georges-Henri Rivière.
Conscients des bouleversements de la société, ils étaient dans une dynamique de conservation du patrimoine. « Le patrimoine intéresse beaucoup moins qu’il y a trente ans, et je le dis sans nostalgie. Nous ne sommes plus au début des années Lang où il y avait une place pour le spectacle vivant et une place pour le patrimoine, au sens large du terme. Il est toujours un socle important pour les politiques, mais il n’est pas regardé comme porteur d’innovation. C’est comme si on disait: il faut le faire. C’est un peu le smic de la culture. » Et d’ajouter : « Je constate aussi que la presse locale présente plus de personnes spécialisées dans l’évènementiel que dans le patrimoine. Globalement on semble revenu à une idée que la mémoire, c’est hier et qu’il est temps de s’occuper d’aujourd’hui et de demain ».
Mais n’est-ce pas loin des feux de la rampe qu’on laboure le plus profond? Sans tapage et dans la durée, l’écomusée a su donner force à un projet d’interprétation du patrimoine porteur de sens, prospectif et vivant. Il n’y a que les girouettes qui prennent le sens du vent !