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Dossier
#38
RÉSUMÉ > Ils sont chef d’entreprise, fonctionnaire, artiste, responsable d’équipement culturel… Certains vivent et travaillent à Rennes (Yann Le Meur, Dominique Le Tallec, Frank Darcel), d’autres ont quitté la ville de leur jeunesse étudiante mais y reviennent régulièrement (Martine Bleuzenn du Pontavice, Julien Cornic), d’autres encore y sont arrivés récemment sans être orignaires de la région (Céline Chanas). Leur point commun : une passion forte pour la Bretagne et un lien particulier à Rennes. Sans langue de bois, ils ont accepté de partager leur appréciation de la capitale régionale. Certains déplorent un manque d’ouverture de Rennes vers l’ouest du territoire breton. D’autres, au contraire, soulignent les initiatives en faveur de l’affirmation d’une identité bretonne moderne et décomplexée dans la ville. Ils incarnent, chacun à leur manière, la diversité des regards portés sur une question toujours sensible.

Les étudiants Bas-Bretons ont donné une identité à la ville

Martine Bleuzen du Pontavice

     Lorsque je suis arrivée de Quimper à Rennes en 1974 pour mes études, j’avais l’image d’une ville inscrite dans un pays gallo et rural. Pour la culture, on allait à Paris et on ne restait pas à Rennes. En quarante ans, j’ai vu évoluer les habitudes culinaires. Venant du Finistère, j’ai découvert la galette rennaise mangée avec de la saucisse. Je ne connaissais alors que la crêpe de blé noir. J’ai vu disparaître cette galette rennaise, épaisse et moelleuse, 100 % blé noir. Il n’y a plus que sur les marchés qu’on la mange. Ailleurs, elle est faite comme en Basse-Bretagne, c’est une crêpe salée. Autre constat : quand je viens à Rennes, je regarde les restaurants. Ce qui me peine, c’est de ne pas retrouver une enseigne qui perdure. Il y a un turnover très important. Ne sommes-nous pas en train de perdre les institutions et les traditions culinaires populaires qui forgent l’identité d’une ville, d’une région et donc d’une capitale ? Ce que je vois aujourd’hui dans la restauration, ce sont souvent des personnes venues de Paris, qui travaillent le midi et ferment le soir et le weekend, en proposant une cuisine de type bistro. Désormais le dimanche, il devient difficile de trouver une table pour se restaurer. Ce n’est pas ce qu’on attend d’une capitale ! Enfin, je pense que nous, les Bas-Bretons, nous avons donné à la ville une identité bretonne en venant y faire nos études dans les années 70. Depuis une dizaine d’années, ce n’est plus la Basse-Bretagne qui vient à Rennes, mais Paris.  

Doit-on obligatoirement avoir une capitale ? 

Julien Cornic

     Pour moi, Rennes représente la ville de mes études universitaires, le centre de quelques réunions régionales et l’implantation d’une grande marque nordique d’aménagement intérieur. J’y ai également quelques joyeux amis noctambules. Est-ce bien suffisant pour que je lui donne le statut de capitale ? Le problème des débats publics est qu’on ne sort que très rarement de la cour de récréation de notre enfance. Nous continuons à nous poser les mêmes questions : Qui est le chef ? Qui est le plus fort ? Qui commande ? Le pouvoir l’emporte sur l’intérêt général. Doit-on obligatoirement avoir une capitale en Bretagne ? Le mouvement régionaliste développe des thématiques récurrentes : le rattachement de la Loire-Atlantique, plus d’autonomie aux régions, une France ou une Europe fédérale… Mais dès que nous devons passer à une organisation concrète « intra-muros », nous restons sur le vieux schéma pyramidal « une reine et des dauphines » au lieu de mettre tout le monde sur la même scène. Si nous parvenions à nous entendre sur un mode de fonctionnement différent, nous serions une des régions les plus fortes d’Europe ! Pourquoi ne pourrions-nous pas nous appliquer à nous-mêmes ce que l’on souhaiterait imposer aux autres ? Une Bretagne des pays, une Bretagne fédérale, une Bretagne multipolaire. Si nous étions capables de passer outre cette question de leadership qui empoisonne nos débats publics pour raisonner de manière collective et régionale, nous sortirions certainement grandis de la cour de récréation…    

Le musée, porte d’entrée de la Bretagne 

Céline Chanas

     Le musée de Bretagne est un musée de société, ancré dans son temps, le début du 21e siècle, qui se considère comme un outil de lecture et de questionnement d’un territoire, de sa culture et de son patrimoine. Par sa vocation anthropologique, il place la dimension humaine au centre de son approche. C’est à la fois un équipement métropolitain et un musée qui se définit dans un rayonnement plus large. Il est situé au cœur des Champs libres, ce qui paradoxalement, le rend peut-être spontanément moins visible que s’il occupait un lieu historique. Certains touristes nous cherchent parfois au château des Ducs de Bretagne, à Nantes ! Pour affirmer le rayonnement du musée, nous souhaitons développer le travail en réseau, avec d’autres acteurs culturels, régionaux ou nationaux. La question de la langue bretonne est bien présente au musée : l’un de nos médiateurs culturels assure des visites et des animations bilingues. Notre signalétique est trilingue, en français, anglais et breton. Nous proposons aussi des visites en gallo et une animation « Le breton pour les nuls ! ». Notre nouveau projet culturel et scientifique prévoit explicitement que le musée soit perçu comme la « porte d’entrée de la Bretagne ». Il vise aussi le développement d’une offre envers les publics touristiques. Mais c’est vrai que la traduction littérale de notre nom en breton, Mirdi Breizh, suscite parfois des commentaires amusés ! La traduction par Google nous amène, elle, une vraie notoriété : le musée de Bretagne devient alors le British museum !   

Tout est fait pour réduire les identités régionales

Frank Darcel

     Depuis deux siècles au moins, tout a été fait en France, au travers de l’éducation nationale, des médias…, pour que les identités dites régionales disparaissent petit à petit. Et que les villes comme Rennes soient de bonnes villes de province, pas des frondeuses… C’est pourquoi personne, dans le champ politique habituel, n’a Tout est fait pour réduire les identités régionales » Frank Darcel très envie que Rennes devienne davantage bretonne. Qu’elle renoue un tant soit peu avec son histoire. Et si l’idée bretonne pouvait disparaître de Rennes, beaucoup en seraient ravis finalement. Poser cette question sur l’identité bretonne de Rennes laisse à penser que certaines imaginent que la ville pourrait ne plus être bretonne un jour. La France actuelle existe par la destruction des identités particulières, bretonne, alsacienne, basque etc. Et pour que la France existe durablement, au regard de ce qui se passe actuellement en Écosse ou en Catalogne, certains imaginent qu’il faut continuer de faire disparaître la Bretagne. Le refus de la réunification avec Nantes et la Loire-Atlantique s’inscrit également dans ce processus de disparition progressive. On retrouve cette volonté de négation de l’identité et de l’histoire bretonne dans le projet d’une grande région à l’ouest de la France. La crainte de cette diversité démontre que la France a un problème d’identité. Pour le résoudre, il faut admettre qu’il existe non pas un peuple français mais des peuples de France. C’est très difficile parce qu’il y a une confusion terrible en France entre État, nation, et république.