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Dossier
#38
« Rennes doit assumer son rôle de capitale solidaire »
RÉSUMÉ > Le politologue Romain Pasquier, directeur de recherche (CNRS/CRAPE-UMR 6 051) et titulaire de la nouvelle chaire « Territoires et mutations de l’action publique » de Sciences Po Rennes, évoque ici la relation « paradoxale » entre Rennes et la Bretagne. Il défend l’idée d’une capitale régionale davantage solidaire avec les territoires périphériques, et souligne que Rennes a tout à gagner à revendiquer son identité bretonne, notamment pour rayonner à l’international.

PLACE PUBLIQUE : Le fait d’avoir deux métropoles au sein d’une même région administrative complique-t-il le jeu pour les élections régionales ?
Romain PasquieR : La métropolisation est une énième étape dans la vieille rivalité est-ouest en Bretagne. On observe effectivement une double polarité : géographique, démographique, avec, de ce point de vue, un déséquilibre assez récent au profit de la Bretagne orientale, dans la sphère d’influence rennaise. Mais on peut aussi parler d’un déséquilibre culturel, le cœur de l’identité bretonne, notamment sa langue, se situant, à l’inverse, du côté occidental. Ce phénomène, sans être nouveau, a tendance à s’amplifier. De ce point de vue, il est sans doute préférable que Brest ait pu accéder au statut de métropole, et pas seulement Rennes.

 
Au départ, pourtant, l’accession de Brest à ce statut métropolitain ne paraissait pas gagnée.
C’est vrai, et ce fut réalisé en partie avec l’aide des élus rennais. La députée-maire (PS) de Rennes, Nathalie Appéré, a été à la manœuvre avec son collègue du Finistère Jean-Jacques Urvoas pour que Brest obtienne ce statut. Les Bretons ont joué collectif. Et le fait d’avoir deux mé- tropoles est plutôt une bonne chose pour la région : pour marcher droit, il vaut mieux avancer sur deux jambes, même si elles ne sont pas musclées de la même manière ! Cela permet d’avoir des outils de développement pour le pays de Brest qui sont comparables à ceux de la métropole rennaise. Ce qui pose plutôt problème, selon moi, c’est davantage la situation des territoires qui ne sont pas des métropoles. La question de la solidarité entre les territoires hors métropole complique la situation en vue des élections régionales : quelle est leur place, comment crée-t-on la gouvernance bretonne de demain, au-delà d’un dialogue entre deux métropoles, mais aussi avec le réseau des villes moyennes, très important dans la région ?

Quel regard portez-vous sur la relation entre Rennes et la Bretagne ?
ennes a un rapport un peu paradoxal avec son identité bretonne. Elle incarne son statut de capitale régionale, et en même temps, un certain nombre de décideurs locaux ont plutôt plaidé pour un Grand Ouest lors de la réforme territoriale. C’est un peu schizophrénique ! Soit on est une capitale d’une région forte et fière de l’être, soit on essaie d’inventer quelque chose d’autre, en acceptant alors le risque de ne plus être capitale. Dans un plus grand ensemble, il y a peut-être plus grand que soi, ce qui rappellerait à Rennes qu’elle n’est sans doute qu’une « petite » grande ville. Il y a là plusieurs enjeux emboîtés. Le poids démographique et économique rennais s’accroît. Mais est-ce le cas du poids politique rennais ? Je n’en suis pas sûr

Quels sont les indicateurs qui permettraient de mesurer cette évolution du poids politique ?
​Il y a par exemple l’incapacité rennaise de donner un président à la Bretagne. À part Yvon Bourges, qui était élu de Dinard, et qui défendait plutôt une vision jacobine, tous les autres sont venus du Centre-Bretagne ou du Morbihan. Pierre Méhaignerie, en son temps, élu de Vitré, avait songé à se présenter, puis y avait renoncé. Toutefois, cette situation ne signifie pas que Rennes n’a pas d’influence. On ne peut pas faire sans Rennes : toutes les institutions régionales y sont présentes, les bras armés de l’État en région également. Mais d’une certaine manière, je pense aussi que c’est une bonne chose que l’hégémonie ne soit pas complète.

Vous parliez à l’instant d’un rapport paradoxal entre Rennes et la Bretagne. Dans quels domaines, précisément ?
Ce qui me frappe, c’est que Rennes est très peu connue à l’étranger, contrairement à la Bretagne, et même SaintMalo et Brest, qui sont des ports ouverts sur le monde. On confond souvent Rennes et Reims ! La métropole rayonne moins par son nom ou par son attractivité naturelle que par la qualité de sa recherche, le dynamisme de certains de ses entrepreneurs. Mais ces derniers s’inscrivent souvent dans des réseaux plus larges, souvent d’ailleurs bretons, qui choisissent Rennes comme tête de pont. Louis Le Duff, le fondateur de la Brioche dorée, en est un bon exemple. C’est un Léonard qui a choisi d’installer son siège social à Rennes. Il faut être conscient que Rennes rayonne grâce à un maillage territorial qui dépasse les frontières de la région administrative et s’étend vers la Loire-Atlantique, la Mayenne… mais qui n’incarne pas forcément le Grand Ouest. Nantes est plus connue que Rennes, qu’on le veuille ou non. Ce paradoxe mériterait d’être approfondi. On ne peut pas à la fois vouloir être une capitale qui rayonne en ayant ce rapport un peu compliqué à la région, et en même temps vouloir parier sur le Grand Ouest où l’on retrouve des concurrents plus puissants.

Ce lien à la région se traduit tout de même par l’emprunt de symboles bretons forts dans les discours rennais…
Bien sûr. Mais on sent bien que Rennes a la volonté de rayonner au-delà. L’enjeu, c’est d’être connu à l’international. Or selon moi, le passeport de l’attractivité et de la reconnaissance internationale passera nécessairement par la Bretagne, à travers sa diaspora, son histoire, ses réseaux… Rennes doit donc assumer son rôle de capitale de la Bretagne, pas d’un ensemble plus flou qui ne renforcerait pas sa visibilité. Ce n’est pas parce qu’elle serait capitale du Grand Ouest que Rennes serait plus connue à l’international. À cet égard, on peut donc considérer que Rennes a besoin du drapeau breton pour rayonner ! Plus la mondialisation va s’accroître, et plus le Gwenn ha du lui sera utile. Rennes va être une porte d’entrée de plus en plus importante. Elle doit assumer tous les symboles d’une capitale régionale, au sens d’Édimbourg ou de Milan, par exemple.

À quels symboles pensez-vous, précisément ?
Les symboles politiques : que l’ensemble des élus rennais jouent pour un renforcement de la capacité politique de cette région. Il y a un risque, aujourd’hui, que métropole et région rentrent en concurrence sur le terrain du développement économique. Il faut encourager une réelle coopération entre la métropole et la région, afin que la Bretagne ait une métropole puissante et agile, et que Rennes puisse s’appuyer sur un territoire reconnu.

En matière économique, il y a aussi des symboles à assumer ?
Oui, avec l’affirmation que le patronat rennais est pleinement breton. Il y a dans ce domaine un vrai risque que Rennes se coupe de la Bretagne si elle ne comprend pas les problématiques des autres acteurs régionaux, notamment dans la Bretagne occidentale ou les milieux ruraux. On l’a bien vu sur le dossier de l’écotaxe, par exemple, sur des enjeux de développement et d’aménagement du territoire. Brest expérimente actuellement un contrat de réciprocité entre Brest Métropole et le Centre ouest Bretagne. Rennes, de par son dynamisme, aide beaucoup les territoires périphériques. Mais elle doit aller plus loin pour montrer sa solidarité, à travers ce type de contrat, par exemple. Il y a encore beaucoup à faire. Rennes Métropole a franchi un cap important en accédant à ce statut métropolitain. Brest, qui était une communauté urbaine, était déjà très intégrée et l’évolution est sans doute pour elle moins importante. Il faut donc se saisir de ce moment très particulier pour ancrer cette logique métropolitaine dans une logique coopérative avec les territoires qui entourent l’agglomération, mais aussi de montrer que Rennes joue un rôle de locomotive régionale, au sens positif du terme. Il y aura toujours des grincheux pour dire que « tout va à Rennes », mais c’est faux ! Il ne faut être ni ruraliste, ni métropolitain au sens hégémonique du terme. Rennes doit donc assumer son rôle de capitale solidaire, dans une logique de réciprocité.

Dans quels domaines cette solidarité pourrait-elle se traduire ?
Dans l’énergie, l’eau, les circuits courts… Qui nourrit Rennes, qui vient travailler à Rennes, etc. ? Il y a quelque chose à imaginer qui ferait de Rennes une métropole innovante et solidaire, tournée aussi bien vers le nord de l’Europe que vers le Centre-Bretagne.

Pourtant, plus on s’éloigne vers l’ouest, et plus on a le sentiment que l’image de Rennes est dégradée. Comment l’expliquez-vous ?
La position géographique orientale, aux marches de la région, ne suffit pas à l’expliquer, bien sûr. Prenez Édimbourg en Écosse, qui n’est pas non plus au centre de son territoire, sans que cela pose le moindre problème. Il y a d’autres exemples comparables en Europe. On en revient à la question de l’innovation et de la solidarité avec l’ensemble de la Bretagne. Le conseil régional, de ce point de vue, a joué un rôle de médiateur entre la métropole et le reste de la Bretagne. La région est sans doute le bon espace pour inventer cette coopération. Par ailleurs, on voit des intercommunalités intermédiaires qui se renforcent, par la pression du législateur. Rennes va pouvoir dialoguer avec des intercommunalités élargies. Je crois beaucoup à la région comme contre-pouvoir à la métropolisation, pour soutenir les territoires intermédiaires dans leur dialogue parfois compliqué avec les métropoles. C’est un peu le modèle allemand.

Quel sera l’impact de la mise en service des grands équipements rennais à l’horizon 2020 sur la place de la métropole en Bretagne ?
Se rapprocher davantage encore de Paris grâce à la LGV, c’est très bien. Mais attention à ne pas se retrouver dans la situation de Rouen, devenue presque une banlieue métropolitaine de Paris. Ces échéances sont importantes pour Rennes, qui verra ainsi son rayonnement renforcé. Mais elle doit le mettre au service de la Bretagne ! C’est également ainsi que le projet LGV a été conçu. Il faut que les élus rennais soient solidaires des efforts que la région va faire en matière de liaisons TER, pour que Rennes soit le véritable hub ferroviaire breton, et la tête de pont d’une région à forte identité.

Faut-il alors jouer également la carte identitaire, en rebaptisant les noms de rue en breton, comme on le voit actuellement ?
Il existe une réelle diversité culturelle bretonne. Imposer une normalisation linguistique sur les territoires qui n’ont jamais parlé breton me paraît un peu gadget. Je préférerais une métropole fière d’être la capitale de la Bretagne, et jouant à 100 % la carte régionale et en assumant pleinement les fonctions qui en découlent.

Quelles initiatives concrètes pourrait-on encourager ?
On pourrait imaginer que Rennes défende une candidature à un grand label international, comme celui de capitale européenne de la culture, par exemple, ce qu’elle n’a jamais réussi à obtenir jusqu’à présent en y allant seule. Elle pourrait tenter une candidature polycentrique, innovante, en jouant la carte de l’accès à la Bretagne dans sa globalité.