Le 4 août 1944 au matin, alors que les troupes américaines s’apprêtent à entrer dans la ville, les habitants de Rennes sont réveillés par une série d’explosions très violentes. À l’instigation des Allemands, qui, depuis la veille, ont commencé à quitter la ville, la plupart des ponts de Rennes viennent de sauter.
C’est le champ de ruines qui en résulte que donne à voir cette photographie dont l’auteur reste inconnu. Prise sur le vif, à partir de la rue de Nemours, elle souligne l’ampleur des déflagrations par l’état des bâtiments que l’on aperçoit, notamment la façade si caractéristique des Nouvelles Galeries (actuelles Galeries Lafayette), au second plan à gauche, dont les verrières ont été complètement soufflées. De nombreux débris de toute sorte jonchent le sol parmi lesquels la banne du Café de la Paix qui émerge de la zone d’ombre à droite et qui laisse deviner l’état de destruction de ce haut lieu de la vie rennaise.
La longue perspective ascendante qui va de la rue de Nemours jusqu’à la place du Champ Jacquet en passant par la rue de Rohan et la rue de l’Horloge ne nous permet pas de bien percevoir l’état du pont de Nemours, un des ponts ciblés par les Allemands. On devine néanmoins, par la colonne de piétons et de cyclistes qui renforce cette perspective, que le passage entre les deux rives de la Vilaine reste toujours possible. Le pont n’a été que partiellement détruit. L’inflexion vers la droite des cyclistes laisse cependant penser qu’ils doivent alors contourner l’obstacle que constitue l’effondrement d’une partie du parapet.
Le recouvrement de la Vilaine entre le pont de Nemours et le pont de Berlin (actuel pont Jean Jaurès), effectué à la veille de la Première Guerre mondiale, rendait de toute façon compliquée la destruction de cette large voie de passage entre les deux rives du fleuve. Les Allemands se sont efforcés néanmoins – en vain - de la rendre impraticable ce qui explique l’intensité des dégâts sur les bâtiments du quai Lamartine, ce que la photographie ne restitue que très partiellement. On note cependant les fenêtres entièrement soufflées du solide bâtiment de pierre qui fait face aux Nouvelles Galeries, de l’autre côté de la rue de Rohan, dont on devine par ailleurs la toiture fortement endommagée.
C’est donc dans ce paysage de destruction que circulent de nombreux piétons et cyclistes parmi lesquels se détachent, au premier plan et les seules en apparence à descendre vers le sud de la ville, deux femmes, d’âges différents, accompagnées d’une jeune fille, sans doute membres d’une même famille. Vestes à la main et manches retroussées, indiquant la chaleur de l’été, elles jaugent, curieuses et interloquées, l’étendue des désastres. L’absence d’excitation et d’enthousiasme qui caractérise l’ensemble des personnes visibles sur la photographie laisse à penser que cette photographie a pu être prise avant l’arrivée des troupes américaines, mais celles-ci sont entrées dans la ville dès 9 heures et sont à 10 heures place de la Mairie, ou, plus sûrement, quelques temps après, quand la fièvre de la Libération est déjà un peu retombée.