<
>
Dossier
#31
Saint-Malo réunifiée par sa gare et son nouveau coeur culturel
RÉSUMÉ > Sept décennies se sont écoulées depuis la quasi-destruction de la cité corsaire durant la Seconde guerre mondiale. Un traumatisme et une reconstruction qui ont longtemps figé l’évolution architecturale de la ville. L’arrivée du TGV qui place la cité malouine aux portes de Paris, semble avoir réveillé la belle endormie. Son inscription dans une histoire urbaine contemporaine se lit en particulier à travers la construction emblématique du nouveau Pôle culturel de Saint-Malo.

      Le 6 août 1944, la cité malouine encore occupée par les Allemands subit avec intensité les premiers bombardements des forces alliées. Le 2 septembre, l’occupant capitule. Détruite à 80 %, Saint-Malo n’est plus que désolation, décombres calcinés et immeubles effondrés. Très rapidement, la reconstruction de la cité corsaire est placée sous la direction de Raymond Cornon. L’architecte en chef des Monuments historiques effectue le relevé précis du bâti restant sur pied et procède à l’inventaire des pierres à terre. Il est rejoint par Marc Brillaud de Laujardière, architecte et urbaniste, Grand prix de Rome, pour travailler sur les premières esquisses d’une reconstruction urbaine.

1950 : « Une architecture moderne d’inspiration régionale »

     Résolument moderne, le programme de reconstruction modifie profondément le tissu urbain hérité de l’histoire médiévale, avec en particulier l’élargissement des rues. Ce projet ne fait pas l’unanimité parmi les Malouins qui auraient préféré une construction à l’identique, mais l’urgence est au logement. Nommé à Caen, Marc Brillaud de Laujardière laisse sa place à Louis Arretche. Le nouvel architecte poursuit sur la même lancée que son prédécesseur, affirmant l’unité architecturale du bâti qui donne à la cité malouine son cachet actuel. Les Actualités télévisées du 28 septembre 1950 se font écho de cette reconstruction singulière de la cité corsaire, en résumant : « C’est une architecture moderne d’inspiration régionale »1.
    Aujourd’hui, la cité corsaire derrière ses remparts semble révéler des charmes d’antan faisant illusion pour nombre de visiteurs. L’historien Philippe Petout2 souligne ce paradoxe : « N’oublions pas que les quatre cinquièmes de la ville sont une création récente. D’un point de vue architectural, il s’agit d’une interprétation « à la manière des années 1950 » du Saint-Malo médiéval encore en place en 1939. Certains n’hésitent pas à employer le terme « pastiche » (lire l’article critique de Gilles Cervera, page 71). La réalité est que, étant donné la dimension touristique de son coeur et de ses remparts, on survend un peu le passé ». Et d’ajouter : « Saint-Malo n’est plus tout à fait une cité d’art et d’histoire, au même titre que Carcassonne ou le Mont-Saint-Michel. Elle a été reconstruite à l’identique. Tout du moins dans son apparence. Il faut y voir un atout dont les Malouins n’ont pas toujours conscience : elle n’est pas figée dans le passé ». C’est bien là toute la difficulté d’une évolution malouine, accrochée à la reconstruction d’après-guerre comme une bernique à son rocher. Cette interprétation « à la manière de » a continué à essaimer, donnant à des projets immobiliers, encore récents, une signature architecturale qui cette fois pourrait s’apparenter à un « pastiche » de la reconstruction de 1950. Cette dernière s’imposant comme un modèle « historique » référent, avec ses cinq à six niveaux, ses pentes de toit entre 50 et 60°, ses chiens-assis set ses cheminées. N’est-ce pas encore le cas pour le bâti qui ceinture l’esplanade de la gare depuis le milieu des années 2000 ?

     Dans ce contexte, on comprend le choc esthétique ressenti par nombre de Malouins qui ont récemment vu sortir du sable comme un mirage, le nouvel Office du tourisme de Saint-Malo. Un bâtiment de facture résolument contemporaine, au pied des remparts, que certains détracteurs surnomment « la verrue ». En proue de l’esplanade Saint-Vincent, cette structure vient en remplacement de l’ancien bureau de l’office de tourisme fragilisé par la construction du parking souterrain. Une excavation offrant près de cinq cents places au pied de l’intra-muros.
    L’ensemble architectural conçu par l’architecte Gilles Gouronnec s’inscrit en résonance avec son environnement : forme circulaire en écho au donjon voisin ; brisesoleil haubané comme la voile d’un bateau à quai ; vitres sans tain où jouent les reflets des nuages ; façade rythmée de poutrelles verticales comme autant de brise-lames. Et pourtant, si l’écriture n’est pas dénuée d’élégance, à l’échelle de l’esplanade dont le traitement final sera à terme dépouillé et minéral, le bâtiment peine à imposer sa présence. L’idée initiale, lisible sur la maquette, se voulait plus généreuse : rythmer le bâtiment par une série de « brise-lames » amarrés de façon aléatoire sur la façade. Une idée séduisante transformée en une simple installation de madriers comme de vulgaires bâtons d’allumettes. Dans ce contexte, si la grogne malouine s’exprime contre une architecture jugée par trop contemporaine dénaturant la vue sur les remparts, la vraie raison est ailleurs. Il semblerait en fait que c’est au contraire le volume et l’écriture architecturale qui soient perçus comme timorés et anecdotiques face à la puissance défensive des remparts.

     En effet, curieusement une autre architecture contemporaine ne fait pas débat : celle du pôle culturel de Saint-Malo, en cours d’achèvement, face à la gare. Une inscription volontariste sur le site servie par un parti architectural affirmé qui s’impose de fait et… en impose ! Cette implantation stratégique et emblématique est la clef de voûte du nouveau quartier de la gare restructuré. Un remodelage lancé par l’ancienne équipe municipale qui affirmait « une vision d’ensemble tournée vers le Saint-Malo de 2020 »3 , souhaitant conforter ce nouveau secteur comme un « forum malouin ».
    En effet, à l’occasion de l’électrification des voies SNCF entre Rennes et Saint-Malo et l’arrivée du TGV, il est décidé de construire une nouvelle gare et de la reculer de près de 300 mètres, permettant ainsi la reconquête de cet espace occupé, en pleine ville, par les infrastructures ferroviaires. L’ex-maire de Saint-Malo René Couanau expliquait en 20114 : « L’objectif est d’inscrire ce nouveau lieu dans un “réseau de centralités”, en complément de celles qui existent déjà. À égale distance des trois coeurs historiques de Paramé, Saint-Servan et Saint-Malo, le futur quartier Gare-République fournira un espace public central à l’échelle de l’agglomération, autour duquel se construit un nouveau morceau de ville. L’axe historique avec la cité intra-muros et le port de commerce est donc renforcé avec une nouvelle gare à la dimension multimodale forte : en sus du TGV et des TER, un pôle de bus interurbain a été créé sur ses abords. »

     Culture troisième génération Dans ce contexte, fin 2008, un appel à concours est lancé pour la construction du nouveau pôle culturel malouin. Sur la centaine de dossiers reçus, quatre équipes sont retenues. En 2009, l’agence parisienne AS. Architecture- Studio sort finaliste. « Ce sont les blessures d’un site qui nous amènent à construire un bâtiment de façon contextuelle. Les contraintes nous permettent de dessiner une structure en réponse et de choisir les matériaux adéquats », commente Victor Korkmaz, architecte en charge du projet. Face à l’écriture homogène et linéaire des bâtiments qui bordent la place, adoucir ce site tout en rentrant en résonance avec le bâti est une priorité pour le maître d’oeuvre qui souhaite ouvrir la culture sur l’extérieur par un jeu de transparences. Programme à réaliser : un cinéma art et essai de trois salles, une médiathèque, une salle d’exposition et un café littéraire. « Initialement, cet ensemble devait s’articuler autour d’un axe traversant, du nord au sud, entre les deux failles du programme de logements. Nous avons pris le parti de retourner le concours en privilégiant un axe estouest ». Majeur à l’échelle de la ville, celui-ci conduit de la gare à l’intra-muros à travers la rue des installations portuaires. Déjà esquissé dans le projet initial par l’architecte de la gare, cette colonne vertébrale est désormais matérialisée au sol par un éclairage LED de couleur émeraude, clin d’oeil maritime. « Notre deuxième idée était de créer un bâtiment-esplanade qui donne l’impression d’un parc pour les riverains. Ce sont des toitures végétalisées sur des bâtiments qui s’accrochent au sol, s’envolent progressivement en courbe vers le ciel et redescendent. » Ce jardin aérien de 2 350 m2 en plan incliné est visible depuis la gare, mais non accessible à la promenade
    Autre caractéristique du projet liée au programme : la labellisation THPE-ENR (très haute performance énergétique/énergies renouvelables). Les ouvertures vers le sud sont favorisées, la ventilation du bâtiment et son désenfumage restent naturels afin de limiter la consommation d’énergie. « Le point novateur est la réalisation de vingt-quatre sondes géothermiques profondes qui descendent à près de 200 mètres de profondeur. Ce qui permet de chauffer la médiathèque, avec un complément gaz, et de refroidir intégralement les salles de cinéma », explique Victor Korkmaz. La contrainte énergétique permet de réaliser un autre élément emblématique : un ruban photovoltaïque de 680 m2. Tout en répondant à l’apport de production énergétique, ce dernier matérialise et renforce en aérien le lien entre les deux ailes du pôle culturel et son orientation le long de l’axe malouin.

     Ce bâtiment de 150 mètres de long est constitué d’une double vague qui met en mouvement l’esplanade de la gare. Une performance technique ! « Nous ne souhaitions pas construire plusieurs entités, mais bien proposer un pôle culturel de troisième génération unique, traversé par une rue intérieure », explique l’architecte. Celle-ci est matérialisée par un foyer largement vitré qui valorise l’axe malouin et crée l’unité entre la médiathèque, située sur l’aile au sud, et le cinéma et la salle d’exposition, sur l’aile au nord. « C’est le coeur, la synapse », le lieu d’échange de la structure qui absorbe le public depuis la gare et le rend à l’intra-muros. « Depuis ce foyer, l’interactivité des espaces entre eux et la vision de toutes les fonctionnalités sont privilégiées. On doit par exemple sortir du cinéma, en ayant envie de se rendre à la médiathèque. La culture est ouverte à tous et elle doit venir à tous ». Pour lui laisser toute sa place, les matériaux nobles primaires sont préférés : du béton brut lasuré, des poteaux bois structurels visibles, des baies vitrées… « Le bâtiment est emblématique par lui-même, pas besoin d’en rajouter… » Pour autant, le souci du détail est permanent. Citons un éclairage prototype dans les poteaux en bois de la médiathèque : un système de miroirs à LED dotés de petites ailettes en mélèze dessinant un rai de lumière continu.
    Dans la médiathèque, le parti architectural favorise la lecture entière de cette véritable nef rythmée par les poteaux de bois de la structure. Aménagé de plain-pied afin de limiter l’effectif du personnel, ce plateau libre sans cloisons fixes permet un usage évolutif dans le temps. La hauteur variable du bâtiment définit les secteurs de lecture : du plus bas pour les espaces enfants au plus haut pour la littérature. Partition qui orchestre la vie intérieure du lieu, une galerie court au premier étage comme le triforium d’une église : « Ce tube pénètre depuis l’extérieur, traverse la médiathèque et ressort à l’extérieur. Cette bande passante abrite l’ensemble des bureaux du personnel ». Côté gare, l’extrémité de la médiathèque se termine en amphithéâtre pour des spectacles et événements joués en extérieur, à l’abri de voiles béton comme autant de brise-vent. « L’idée architecturale est la continuité du bâtiment de l’extérieur vers l’intérieur et vice et versa. Par exemple, le béton désactivé visible à l’extérieur, sur l’esplanade, devient béton ciré, à l’intérieur. Pour le cinéma, le bois à l’extérieur se transforme en parquet de chêne à l’intérieur et ressort sur le deck extérieur ».
    Le cinéma est doté de trois salles, la plus grande pouvant servir d’auditorium. Le pendant de la bande passante, côté médiathèque, est la mezzanine, côté cinéma ; une zone d’attente pour accéder dans les salles. Celle-ci est ouverte sur le foyer et permet de percevoir la médiathèque. Face gare : un café littéraire joue la transition entre le cinéma et la place de la gare. Face intra-muros, une salle de 250 m2 équipée d’éclairages électroniques peut s’ouvrir sur l’esplanade. Elle accueillera finalement l’association Digital Saint-Malo, centrée sur les usages du numérique.

Du local à l’international grâce au TGV ?

     De petits squares créent des ambiances végétalisées sur les rives du pôle culturel. Côté médiathèque, le voile béton est perforé de « pixels » qui s’éclairent la nuit. Côté cinéma, des voiles bétons extérieurs jouent la confidentialité nécessaire au 7e art. Une austérité monacale atténuée par l’inscription graphique de pages d’auteurs, invitation au voyage, évoquant les liens particuliers des Malouins avec les horizons lointains. Citons le festival Étonnants voyageurs ou encore la Route du rhum. « L idée est pour nous d’inviter les passants à se pencher sur ces murs extérieurs ».
    Deux écrans numériques installés en extérieur, à l’est et à l’ouest, favorisent les synergies extra-muros. Ils ont permis par exemple la retransmission des matches de finales de la Coupe du monde de football. Le nouvel équipement malouin semble ouvrir de belles perspectives. « Fait assez rare dans ce type de réalisation, nous avons pu travailler dès le départ avec les services de la Ville de Saint-Malo et un programmiste afin de penser l’économie du projet », souligne Victor Korkmaz. Une approche qui a permis à la fois d’étudier le programme du bâtiment dans son contexte, mais aussi de réfléchir à son rayonnement extérieur en proposant par exemple d’étendre le réseau de la médiathèque à des partenariats extérieurs, comme Les Champs Libres à Rennes ou encore la Gaîté Lyrique à Paris.
    Les préconisations faites sont bien de créer au-delà d’un ancrage local, une dynamique régionale et nationale voire internationale… Rappelons que la LVG placera Paris à 2 h 15 de Saint-Malo, à l’horizon 2017, en portant Rennes à 1 h 30 de la capitale. Ce pôle culturel, situé à la sortie de la gare, au coeur d’un pôle de déplacement multimodal aura son mot à dire pendant les festivals, en synergie avec le Palais des congrès et le port. Un nouvel équipement qui inscrit la cité malouine dans une histoire contemporaine qu’il reste cependant à écrire. C’est un outil culturel majeur qu’il conviendra de faire vivre avec, pour et par les Malouins, bien au-delà des remparts de la cité corsaire, en multipliant les partenariats. Restait à lui trouver un nom. Un temps envisagé, celui d’Étonnants voyageurs a été officiellement abandonné début juillet par la nouvelle équipe municipale. Suite à un concours d'idées sur Internet, la Grande Passerelle a été préférée au Sémaphore et au Comptoir, également en lice. Chacun pourra l'arpenter à loisir dès la fin de l'année.