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Dossier
#33
Tourner un film à Rennes, pas si simple !
RÉSUMÉ > La mission Accueil des tournages en Bretagne, basée à Rennes et Brest, accompagne chaque année plus de deux cents projets cinématographiques qui envisagent un tournage en Bretagne. Le Finistère demeure la destination la plus prisée des cinéastes. Malgré son statut de capitale régionale, Rennes peine à tirer son épingle du jeu. Explications avec Catherine Delalande, responsable de la mission.

     Qui se souvient encore de la scène mythique des Vikings du réalisateur Richard Fleischer, avec Kirk Douglas, tournée au Fort-La-Latte au Cap Fréhel ? C’était en 1957 ! Depuis, les productions hollywoodiennes se font rares en Bretagne. « Nous avons bien failli accueillir récemment le réalisateur Tim Burton, mais son assistant a finalement renoncé à venir visiter les lieux que nous lui avions proposés lors de nos échanges par courriels », confie Catherine Delalande, la responsable d’Accueil des tournages en Bretagne (ATB). Venir tourner en Bretagne et a fortiori à Rennes est un pari loin d’être gagné. À peine 10 % des réalisateurs qui foulent la terre armoricaine sont étrangers. Ce choix est souvent le fruit d’un heureux hasard poussé par cette structure. « Il existe différentes modalités pour que les sociétés de production nous contactent », explique Catherine Delalande. « Il y a celles que nous démarchons pour vanter les mérites de la Bretagne. Il y a celles qui ne cherchent que la mer en décor, Bretagne ou pas, et à qui il faut proposer “le décor” qui va les convaincre. Il y a celles, plus rares, qui n’envisagent pas de tourner ailleurs qu’en Bretagne. » À chaque cas de figure, une réponse personnalisée et gratuite est proposée, avec en filigrane la volonté de soutenir la filière cinématographique et audiovisuelle bretonne et de faire connaître les atouts du paysage et du patrimoine breton. En un mot : démontrer que la Bretagne a plus d’un tour dans son sac !

     Premier atout : les nombreux savoir-faire développés sur le territoire. Directeurs de casting, comédiens, décorateurs, costumiers, maquilleurs, ingénieurs du son, machinistes, électriciens… toutes les compétences sont réunies localement avec un listing de plus de 360 techniciens, de plus de 250 comédiens et plus de 330 figurants. « On pourrait citer, par exemple, Xavier Cholet, chef électricien du film Samba du réalisateur Éric Toledano, qui vit en Bretagne depuis toujours », explique Catherine Delalande qui n’a de cesse, avec ses deux collaboratrices, de lever les a priori pour inciter à l’embauche d’équipes bretonnes sur les tournages effectués dans la région. « L’industrie du cinéma est excessivement centralisée avec l’idée dans la profession que les « vrais professionnels », comédiens ou techniciens, sont forcément installés à Paris. Ce qui est loin d’être le cas. »
    Deuxième atout de la Bretagne, et non des moindres, sa position géographique. La recherche d’un certain exotisme maritime fait toujours recette, avec en tête des destinations cinématographiques : le Finistère. Cet attrait n’est pas seulement paysager, mais peut-être aussi financier : « 50 % des tournages en Bretagne se font dans ce département, en particulier pour les courts-métrages. En effet, le conseil général du Finistère soutient une dizaine de réalisations par an. » Toutefois, cette aide pourrait être abandonnée cette année, au grand dam des professionnels. Entre les territoires, la concurrence est rude. Le monde agricole est peu recherché et les vieilles pierres n’intéressent les réalisateurs que pour les films d’époque. Film France, la base de référence animée par les 41 bureaux d’accueil de tournage de l’Hexagone permet de localiser la perle rare, près de 20 600 décors potentiels sont recensés en France (www.filmfrance.net).

Saint-Malo, sa flotte, et Rennes, sa prison !

     Sur cette base nationale consultable via Internet, une sélection de 430 décors est référencée en Bretagne, dont 130 en Ille-et-Vilaine. Dans la liste officielle, on retrouve les fleurons patrimoniaux des Marches de Bretagne, le Fort National de Saint-Malo, l’architecture balnéaire de Dinard, des demeures d’anciens parlementaires dans le bassin rennais… Plus originale, la flotte de bateaux amarrée à Saint-Malo : Le Renard, ce cotre à huniers, La Cancalaise, bisquine construite en 1987, L’Étoile du Roy, réplique d’une frégate corsaire de 1745… À Rennes, sont répertoriés l’Hôtel de Ville, le Palais Saint-Georges, l’église et le cloître Saint-Melaine, l’aéroport, la Cité judiciaire, le Parlement de Bretagne, les cimetières, la piscine Saint-Georges, les ateliers de l’École régionale des Beaux-Arts, Le Vieux-Saint-Etienne et quelques appartements de particuliers… Le fleuron de cet abécédaire des sites remarqués est sans nul doute l’ancienne prison Jacques-Cartier : « C’est un décor unique en France », confirme Catherine Delalande. Malheureusement, il n’est pas très simple d’obtenir les autorisations du ministère de la Justice qui demande par ailleurs 6 000 euros pour une journée de tournage. Le film Taularde, réalisé par Audrey Estrougo et produit par Julie Gayet, y est en cours de tournage en ce début janvier 2015, avec Sophie Marceau dans le rôle principal.

Rennes un choix lié à l’histoire des réalisateurs

     C’est bien souvent l’opportunité d’un décor spécifique qui détermine le lieu de tournage. Tel est le cas du film En équilibre de Denis Dercourt. « Il cherchait une ferme équestre pour tourner l’histoire d’un cascadeur équestre, victime d’un accident. Après avoir mené des recherches dans toute la France, ils l’ont trouvée dans le pays malouin. Ils en ont profité pour faire des prises de vue à Saint-Malo et en bordure de la Rance », raconte Catherine Delalande. Plus rarement, le scénario est déterminant : par exemple, Pascale Breton n’envisageait pas de tourner Mémoire vive ailleurs qu’à l’Université de Rennes 2, car le scénario était écrit autour du lieu de ses études rennaises. Même cas de figure pour la réalisatrice Marie Belhomme qui a choisi Rennes pour le tournage du film Les chaises musicales avec Isabelle Carré. « Trouver les appartements qu’elle voulait n’a pas été simple ! » Et Catherine Delalande de rappeler qu’un tournage à mettre en oeuvre dans une ville est souvent complexe : « Il faut des arrêtés, prévoir le stationnement, les déplacements, le gardiennage… Il y a des villes où c’est plus facile que d’autres. À Rennes, notre interlocuteur dépend de la Direction de la Culture.
    Très sollicité sur l’événementiel, il n’est pas toujours suffisamment disponible. » Catherine Delalande a organisé une rencontre entre une dizaine de régisseurs et Benoît Careil, l’élu rennais à la Culture, afin d’améliorer les conditions d’accueil. Elle est convaincue de l’impact des tournages sur l’image de la ville dans la perspective du projet touristique Destination Rennes : « Concarneau, par exemple, qui a fait l’objet d’un téléfilm allemand, a vu augmenter de façon non négligeable le nombre de touristes venus d’Allemagne ». Tel fut aussi le cas pour Locronan, suite à la diffusion d’un téléfilm de neuf épisodes réalisé par Toshi Asanuma pour la chaîne japonaise NHK, avec pour cadre la petite cité de caractère finistérienne. Suite à de nombreuses publications au Japon, l’office de tourisme a aussi enregistré une hausse de la fréquentation nippone l’année dernière. Un exemple à suivre, pour doper le rayonnement des villes par la magie du 7e art !