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Initiatives urbaines
#09
Villes d’ailleurs :
Mexico, capitale géante
RÉSUMÉ > Mexico sera fin février, à Rennes, la vedette du festival de cinéma Travelling. Mégalopole… L’étiquette colle à la peau de cette ville. Certes, la capitale du Mexique est la quatrième ville au monde après Tokyo, Séoul et New York, et avec ces vingt millions d’habitants – sur un total de près de 110 millions – selon les sources officielles, elle a l’allure d’une géante. Mais que cache ce qualificatif de mégalopole? Y a-t-il de la place pour y vivre?

     Mexico étouffe par manque de place et sous les effets de la pollution. Les efforts du gouvernement pour diminuer la circulation et implanter des entreprises en dehors de la ville n’ont pas de succès. Il suffit de porter un regard depuis les hauteurs du sud, en direction de Cuernavaca, ou du dernier étage de la tour Amérique Latine, pour découvrir de gros nuages suspendus au-dessus de la ville, masquant les flancs des collines et montagnes, parmi les volcans Popocatépetl (5465 m) et Ixtaccihuatl, qui se dressent autour de la vallée autrefois fertile. La ville semble plongée dans la torpeur et la lassitude. Et pourtant…

Incendiée, saccagée, menacée par la peste et les séismes…

     Mexico est une ville d’histoire et d’avenir, où l’on vit intensément le présent. Le passé indigène, à la différence d’autres pays latino-américains, est revendiqué et les ruines et les monuments pullulent aux quatre coins de la cité. Fondée en 1 325 à 2 220m d’altitude, capitale lacustre de l’empire Aztèque, Mexico-Tenochtitlán était déjà gigantesque au moment de l’arrivée des conquistadors espagnols en 1521.
     On estime sa population de l’époque à 300 000 habitants, alors que Constantinople et Paris pointaient à 250 000 et 200 000. Cortès, par ailleurs, ne tarit pas d’éloges à la vue de la magnifique cité bâtie sur les îlots du lac de Texcoco – aujourd’hui sous-terrain – et la compara à Venise. Nous retrouvons les symboles de sa fondation mythique – un aigle dévorant un serpent sur un nopal (figuier de Barbarie) – sur le drapeau des États Unis du Mexique.
     Saccagée par les Espagnols, incendiée, menacée par la peste, soumise à des tremblements de terre – dont le dernier en 1985 atteint 8,1 sur l’échelle de Richter et fit environ 10 000 victimes – Mexico sut toujours se redresser, renaître de ses cendres pour se transformer et évoluer.

Une ville d’histoire et de métissage

     Aujourd’hui, dans le centre historique, autour de l’immense place dallée du Zócalo, au milieu de laquelle flambe le drapeau tricolore, se dressent les marques du métissage: la grande cathédrale noircie par la pollution, où certains samedis des mariages sont célébrés les uns après les autres; derrière, les ruines de la cité impériale, où les pièces archéologiques côtoient les sanctuaires précolombiens; entre elles, un marché où les étalages parfois à même le sol proposent vêtements, livres, potions magiques, CD de rock et de rancheras, et des plats typiques comme les tamales ou enchiladas, ou encore des tortillas de maïs noir; de l’autre côté, le Palais de la Présidence, dont les couloirs sont décorés par les peintures murales de Diego Rivera; autour, les arcades des bâtiments coloniaux, pour se protéger des pluies et du soleil, même si le climat est relativement doux: 12° de moyenne en janvier et 16,1° en juillet.
     Mexico est bel et bien une ville d’histoire et de métissage. Des rues qui s’ouvrent en éventail autour du Zócalo, déferle une multitude de femmes, d’hommes et d’enfants à la peau cuivrée et aux traits qui témoignent du sang indigène. On estime à plus de 10 % le nombre d’indigènes vivant à la capitale. Car dans les années 50 et 60 le Mexique cesse d’être un pays à dominante rurale et Mexico, véritable puissance économique, attire des paysans des quatre coins de la nation. Quand ils ne tentent pas l’aventure chez le puissant voisin du nord, ils s’établissent dans les ceintures de pauvreté qui rampent autour de la métropole.
Aujourd’hui, la ville comporte 16 delegaciones (sorte d’arrondissements), divisées à leur tour en plus de 400 colonias (quartiers), étalés sur les 1 479 km2 de sa superficie totale. Certaines colonias affichent clairement leur appartenance à une classe sociale (Lomas de Chapultepec pour les élites; Tepito pour les déshérités), mais d’autres, par contre, font preuve d’un mélange assez étonnant, où une maison luxueuse côtoie une demeure modeste. Depuis les années 90 un nouveau phénomène introduit des changements dans le paysage urbain: les quartiers privés, parfois de véritables bunkers où les classes aisées songent à s’isoler des démunis et à se protéger de la violence environnante.

     Le tragique tremblement de terre de 1985 fit prendre conscience à la population, face à l’ineptie et à la corruption des autorités, de l’importance de l’organisation associative. D’importants aménagements urbains virent le jour sous la surveillance des voisins, accompagnés par un leader atypique, masqué, Superbarrio (Superquartier) qui, déguisé en catcheur – sport fort populaire – multiplia les dénonciations pour que justice soit faite. D’ailleurs, le célèbre catcheur El Santo (Le Saint) était originaire du quartier populaire de Tepito, tout comme le comédien Cantinflas ou le boxeur Marco Antonio Barrera. Un autre quartier populaire – dont la densité est de 19324 habitants par kilomètre carré – Netzahualcóyotl, connut d’importants changements après le tremblement de terre. La très élégante colonia Roma, en revanche, se trouvant dans une zone « classée 4 », soit à hauts risques sismiques, fut abandonnée par les classes aisées, préférant aller se réfugier sur les hauteurs sécurisées des Lomas de Chapultepec. Aujourd’hui, les vieilles demeures avec jardins, bâties à l’époque de Porfirio Díaz, au début du 20e°siècle sont occupées par des restaurants de luxe et des magasins de décoration.
     C’est justement à Tepito que se tient un marché (tianguis) qui témoigne de la vieille tradition commerciale héritée des Aztèques. Auparavant, les grands tianguis étaient disposés sur la place principale, l’actuel Zócalo, et surtout à Tlatelolco, à quelques encablures du centre historique. Aujourd’hui à Tepito, quartier réputé dur, on peut tout acheter. Contrefaçons et objets volés y trouvent également leur place… Dernier I-Pod? Portable connecté à Internet ? À Tepito!

     Mexico est surpeuplée et le chômage et la misère sont visibles. L’insécurité a augmenté. La presse écrite et audiovisuelle parlent beaucoup de violence. Mais bien que réelle, elle n’est hélas pas la propriété exclusive du District Fédéral – soit Mexico D. F., d’où le nom des defeños pour appeler les personnes originaires de cette ville. La violence des cartels frappe les plus grandes agglomérations du pays – Guadalajara, Monterrey – et fait régner la terreur.
     La corruption de la police n’aide pas beaucoup à résoudre le problème. Le niveau de délinquance à Mexico, en soi très élevé, a suivi la même spirale ascendante que celle de n’importe quelle grande ville latino-américaine en ces temps de crise. Le machisme, quant à lui, sévit encore, et il n’est pas inhabituel de voir aux heures de pointe des wagons de métro destinés exclusivement aux dames, sous la surveillance de… femmes policières.

Des embouteillages monstrueux et imprévisibles

     À la configuration urbaine en damiers, imposée par les colonisateurs espagnols, s’ajoutèrent ensuite les contraintes physiques et la croissance désordonnée des quartiers populaires. Deux grands axes traversent la ville: l’avenue Insurgentes, 25 km du nord au sud, le Paseo de la Reforma, d’Est en Ouest. Ils se croisent dans la Zone Rose, quartier « chaud » à la vie nocturne tapageuse.
     Le transport est l’un des plus graves problèmes auquel doit faire face la ville de Mexico: un parc automobile excessif, qui dépasse largement les possibilités urbaines, des transports publics peu adaptés – malgré les bus, les douze lignes de métro et leurs 207 km, et, dernière trouvaille, les métro-bus, sorte de métro de surface. Les embouteillages sont souvent monstrueux, irréguliers, imprévisibles. Tout calcul de temps de trajet devient impossible. Les chauffeurs des milliers de taxis (un pour 100 habitants) qui parcourent les rues de la cité sont en contact permanent avec leur centrale ou bien font fonctionner leurs portables pour ne pas rester engloutis dans le marasme de la circulation. Les klaxons ne sont pas épargnés et les bruits des réacteurs des avions – l’aéroport se situant en pleine ville – contribuent à la cacophonie et à la pollution.
     Mais au-delà de la fatigue et du stress de la vie moderne, le Defeño reste toujours poli et prêt à vous renseigner avec le sourire. Alors, comment peut-on vivre dans un tel contexte? Les Defeños eux-mêmes donnent une réponse: il faut travailler, avoir sa vie sociale, ses amis, dans un petit périmètre. C’est tout à fait possible à Mexico. D’autres encore ont opté pour une solution plus drastique: travailler à Mexico, vivre à Querétaro ou à Cuernavaca, la ville à l’éternel printemps, vantée par Cortès ou Malcom Lowry.

     Cependant, tout n’est pas béton, tours et taudis. Deux grands poumons verts donnent de la couleur au paysage: le Bois de Chapultepec et les jardins lacustres de Xochimilco. Chapultepec, dans les hauteurs de la colonia Polanco, abrite, dans le château devenu musée d’histoire et d’art, une collection de peintures murales, parmi lesquelles De Porfirio Díaz à la Révolution de David Alfaro Siqueiros. Chapultepec est également un lieu de mémoire, car c’est à cet endroit que sont morts les étudiants de l’École de l’Armée (« Enfants Martyrs »), résistant contre l’occupation américaine en 1847. Le poète moderniste Amado Nervo leur dédia des vers que tout écolier mexicain se doit de connaître par coeur. Ce lieu de mémoire reçoit la visite de milliers de Mexicains et de touristes, et les week-ends il n’est pas rare de croiser les familles de la haute bourgeoisie, accompagnées de leurs employées de maison en uniforme promenant leurs enfants et le couple quelques pas derrière.
     Xochimilco, au sud de la cité, propose une promenade typique dans les canaux, entre les îlots où l’on cultive des fleurs. Les barques (trajineras) sont décorées avec des motifs fleuris, aux couleurs vives, et affichent avec orgueil des noms retentissants (Adelita, Lupita, Guadalupe). D’autres petits bateaux vous proposent de la nourriture et des boissons, et des mariachis vous accompagnent tout au long de la promenade, chantant des corridos de la Révolution de 1910. On tape un peu fort sur la couleur locale, mais la promenade est reposante et n’est pas l’apanage de touristes. En effet, le Defeño considère Xochimilco comme un lieu « romantique ». De nombreuses chansons populaires en témoignent.
     On l’aura compris : Mexico est une ville au potentiel touristique indéniable. D’une part, elle présente une image qui rend compte de la configuration ethnique et sociale du pays. Elle est aussi le baromètre pour mesurer les changements politiques que l’ensemble du pays peut connaître. D’autre part, le D. F. offre une synthèse de l’histoire nationale: les mondes indigènes, hispaniques, métis y sont représentés. Le patrimoine est relativement bien préservé, plus d’une centaine de musées retracent la vie et l’histoire mexicaines. À côté des ruines précolombiennes, on retrouve les églises et couvents bâtis par les Espagnols (on dénombre quarante-quatre bâtiments religieux – cathédrale, église, chapelle – dans le centre historique). Capitale de l’Empire Aztèque, Tenochtitlán était un centre politique, économique et religieux. Presque cinq cents ans après, la capitale des Etats-Unis du Mexique confirme cette vocation. Certes, le culte à la Vierge de Guadalupe, patronne de la cité depuis 1737, s’est aujourd’hui substitué à celui des dieux indigènes. Certains spécialistes – et le grand poète Octavio Paz le premier – n’hésitent pas à mettre en rapport ce penchant mexicain pour les fêtes avec l’importance des célébrations religieuses du passé précolombien. En tout cas, la fête des morts ou la fête du Grito sont la preuve palpable de ce dialogue constant entre le présent et le passé.

     La Place des Trois Cultures constitue un bel exemple de ce métissage. Les vestiges de la cité occupée par Cortès parachevant la conquête de Tenochtitlán incarnent le passé indigène, le couvent et la cathédrale de Santiago l’univers hispanique. Le Mexique contemporain, quant à lui, est représenté par le complexe architectural de Nonoalco et la tour de Tlatelolco, qui abrita pendant des années les bureaux du ministère des Affaires étrangères, pour devenir aujourd’hui, après des travaux, le Mémorial de 68, à savoir un lieu de mémoire consacré aux victimes du massacre d’étudiants survenu le 2 octobre 1968.
     Mexico D. F. est le miroir fascinant d’une Nation, une invitation à la connaissance et à la découverte de l’Autre, une visite incontournable aux origines du monde moderne.

     Pendant huit jours, à la fin du mois de février, le coeur de Rennes battra au rythme intense d’une des villes les plus surréalistes du monde! En explorant Mexico à travers le prisme du cinéma, Travelling fera découvrir à son public un Mexique complexe et singulier, bonhomme et cruel, latin et contrasté. Travelling diffusera le cinéma mexicain depuis son âge d’or jusqu’à ses expressions plus récentes et contemporaines, depuis Emilio « El Indio » Fernandez, en passant par Paul Leduc ou Arturo Ripstein… Travelling fera découvrir le renouveau du cinéma mexicain. Reconnu depuis une quinzaine d’années, grâce à des réalisateurs tels que Guillermo Del Toro, Alejandro González Iñarritu, Alfonso Cuarón, Carlos Reygadas, Francisco Vargas ou Elisa Miler. 21 grammes, Babel, Le Labyrinthe de Pan, Les Fils de l’homme ont déjà fait parler d’eux… Des programmes de courts métrages, de l’art vidéo et de la photographie seront également au programme. Et encore: la culture populaire (Lucha Libre), la création originale d’un ciné-concert, le scénario d’une nouvelle, un photorama, des leçons de cinéma et des rencontres qui multiplieront les éclairages sur les diverses facettes de Mexico… Cette 22e édition de Travelling sera organisée dans le cadre de la Saison du Mexique en France.