Le vélo a un avenir en ville. C’est du moins le pari du Ministère de l’écologie qui vient de présenter un nouveau Plan d’actions pour les mobilités actives1 (PAMA) ciblant la marche et la bicyclette (cf. encadré p. 132). Si les mesures envisagées traduisent de bonnes intentions, elles restent bien modestes au regard des dispositions dont profitent les cyclistes aux Pays-Bas où la pratique du vélo en ville ne cesse d’augmenter.
Le PAMA, pourtant adopté après concertation avec les associations de cyclistes, ne frappe pas par son audace. Les études montrent en effet que l’encouragement ne suffit pas seul à faire renoncer à la voiture en ville au profit d’autres modes de locomotion. Il doit s’accompagner de dispositions plus contraignantes pour les automobilistes afin de rapprocher les vitesses et les niveaux de confort des différents usagers. Or, seul est prévu à leur encontre le relèvement de l’amende pour stationnement sur piste cyclable (alors que l’infraction est plus courante sur bande cyclable) contrebalancé par une mesure en leur faveur (libre franchissement de ligne continue). Le plan vise essentiellement à faciliter la circulation des cyclistes (double sens, franchissement des feux, train-vélo, stationnement). Il mentionne aussi des dispositions existantes comme l’inclusion des itinéraires cyclables dans les calculateurs ou l’information en temps réel sur la disponibilité des cycles en libre-service, effective à Rennes, ou encore les garages à vélo en pied d’immeuble. On notera enfin que ce PAMA n’avance aucun élément budgétaire.
De plus, certaines des actions envisagées sont très en retard sur les pays d’Europe du nord-ouest (Pays-Bas, Allemagne, Danemark) où l’usage du vélo est appréhendé de manière globale, dans le cadre de politiques dites bicycle-friendly persévérantes et cohérentes, depuis la place du vélo dans le logement jusqu’au stationnement en passant par des réseaux de qualité. Aux Pays-Bas, tous les immeubles de logements ou de bureaux disposent ainsi depuis longtemps de spacieux locaux à vélos. De même, les parcs à vélos des gares, mentionnés seulement à l’horizon 2020 dans le projet français, sont d’une ampleur et d’une banalité toutes autres en Flandre ou en Hollande. Aux Pays-Bas, les gares comptent ainsi 100 000 emplacements surveillés et 330 000 au total (soit dix fois plus qu’en France d’après les chiffres de la SNCF). Mieux encore, les gares sont aménagées de façon à faciliter une réelle intermodalité, à l’exemple de la ville moyenne de Houten dont le parking à vélos, gardé, est situé immédiatement sous les quais et ouvert de 5 heures à 1 heure du matin en semaine et 19 heures sur 24 le week-end. Dans ce pays, la plupart des parkings associés aux gares font en plus office d’atelier municipal assurant l’entretien et la réparation de votre bicyclette dans la journée.
Les autorités néerlandaises agissent en outre depuis longtemps sur deux freins majeurs au développement du vélo : la sécurité d’abord, faisant chuter le nombre de victimes de moitié en vingt ans pour atteindre les valeurs observées en France mais pour un kilométrage deux fois supérieur (quinze milliards de kilomètres par an), soit le taux de mortalité cycliste le plus faible au monde2. La lutte contre les vols ensuite, qui subtilise encore 900 000 vélos chaque année, soit encore près de 4 disparitions pour 100 vélos, proportion toutefois également divisée par deux en deux décennies. Ces mesures ont permis de faire remonter la part des déplacements effectués à vélo. Plus du quart des déplacements se font à bicyclette tous motifs confondus (contre 33 % au volant) : 269 trajets par personne et par an contre 29 en France, soit neuf fois plus ! La bicyclette est pourtant populaire chez nous, avec près de 29 millions d’unités et trois millions de vélos neufs vendus chaque année, mais essentiellement pour les loisirs. Alors que les épisodes récents de pollution ont montré les dangers du tout automobile, la part de la bicyclette dans les trajets domicile-travail reste insignifiante (2,4 %3) comparé aux Pays-Bas (27 %), malgré une probable demande latente dans notre pays. Encore faudrait-il un peu d’équité fiscale, sujet d’actualité.
Un rapport du Ministère de l’Écologie de 2013 a calculé qu’une aide fiscale publique versée aux travailleurs se déplaçant à vélo coûterait 170 millions d’euros par an à l’État mais lui en ferait économiser 570 millions en dépenses de soins notamment, la pratique du vélo améliorant la santé4. Le Plan gouvernemental a préféré offrir aux entreprises la possibilité de verser une indemnité kilométrique à leurs employés venant au travail à vélo, dispositif en vigueur de longue date aux Pays-Bas et en Angleterre, plus récemment en Belgique et même aux États-Unis (Bicycle Commuter Tax Act de 2008). Le rapport cité a évalué que le gain collectif maximal correspondait à une aide comprise entre 50 centimes et un euro du kilomètre. Le montant préconisé est finalement bien plus faible (25 centimes) et apparaît bien peu incitatif pour ne pas dire injuste puisque le contribuable aux frais réels ou contraint d’utiliser sa voiture bénéficie pour sa part d’une déduction fiscale kilométrique variant de 40 à 59 centimes au kilomètre selon la puissance de son véhicule.
On pourrait bien sûr avancer que ses frais sont supérieurs. Un rapide calcul montre pourtant de manière tout à fait inattendue qu’il reste plus avantageux de se rendre au travail en voiture ! Prenons l’exemple d’un trajet domicile-travail aller-retour de 20 km, distance médiane parcourue par les Français. Sans même prendre en compte les autres frais fiscalement déductibles, l’automobiliste percevra annuellement 1 609 euros de plus que le cycliste. Même déduction faite des dépenses de carburant (418 euros au prix actuel du diesel), la différence en sa faveur s’élève à près de 1 200 euros par an (sachant que l’indemnité vélo est, elle, facultative). L’iniquité est manifeste. D’autres pays comme l’Autriche ont fait des choix plus équilibrés (0,38 cts/km à vélo contre 0,42 en voiture).
Mais ce sont à nouveau les Pays-Bas qui font figure de modèle. Certes, le rabais d’impôt ne s’y applique aux parcours à vélo réguliers domicile-travail qu’au-delà de 10 km, car en deçà, prendre son vélo est considéré comme normal. Le Ministère des finances octroie néanmoins aux actifs effectuant leur trajet à vélo au moins trois fois par semaine une indemnité annuelle de 362 euros doublée d’un abattement fiscal fonction du nombre de trajets et pouvant atteindre les 900 euros. De son côté, l’employeur peut vous verser une indemnité kilométrique de 19 centimes assortie de 82 euros par an pour frais. Mais c’est le système original et souple du « vélo d’entreprise » ou « cadeau de l’employeur » qui a rencontré le plus de succès : si vous rejoignez la gare ou votre entreprise à vélo au moins une fois sur deux, votre employeur peut vous offrir ou vous prêter une bicyclette dont il déduira le coût de ses bénéfices tout en bénéficiant de réductions de TVA. S’ajoute pour le cycliste une indemnité de 749 euros tous les trois ans. Cette mesure a largement contribué à accroître le kilométrage vélo (+ 14 % en dix ans) !
La Loi de finances britannique a repris dès 1999 le système du « vélo du patron » mais avec moins de réussite car les urbanistes anglais ne sont pas parvenus à assurer la nécessaire proximité entre résidence et lieu de travail, à la différence des Hollandais5. Sans doute aussi la dimension culturelle joue-t-elle un rôle, le Premier ministre néerlandais n’hésitant pas par exemple à circuler à vélo dans l’exercice de ses fonctions. Mais cette différence anthropologique ne saurait dédouaner les élus de l’exigence d’équité fiscale en favorisant les mobilités les plus vertueuses aussi bien sur le plan écologique que budgétaire. La bicyclette, plus que centenaire mais toujours… dans le vent, paraît en effet promise à un bel avenir à condition de faire preuve de justice à son égard.