L'éditorial
La voiture se cherche un avenir, la ville aussi…

     Plusieurs raisons ont conduit Place Publique à ouvrir le dossier de l’automobile. Une raison conjoncturelle d’abord. Alors que, de départs volontaires en plans sociaux, les effectifs n’ont cessé de fondre à l’usine PSA de La Janais et à La Barre- Thomas, il semble bien que l’on ait atteint un palier après des mois d’incertitudes. L’usine de La Barre-Thomas, route de Lorient, a retrouvé une certaine sérénité et, après une alliance avec un autre sous-traitant, pourrait repartir, forte du soutien de son ancienne maison-mère, Citroën. À La Janais où s’achève un plan de 1750 départs volontaires, accompagné d’une contraction des ateliers et de la suppression de l’une des trois lignes de montage, d’énormes efforts de productivité réduisent les temps de fabrication et trouveront à s’appliquer pleinement à la fin de cette année lors du lancement de la 508, la remplaçante de la 407.
    Même si l’automobile ne sera plus la mère de l’emploi comme elle l’a été par le passé, même si l’avenir réservera encore bien des surprises, est écarté, pour le moment, le scénario- catastrophe que le Comité de développement du Pays de Rennes (Codespar) avait imaginé en juin 2007, celui de la « rupture structurelle ». Un scénario qui envisage ainsi la fin de PSA à Rennes: en manque de moyens pour résister à la concurrence indienne et chinoise qui attaque les marchés occidentaux, et pour développer de nouvelles voitures propres et sûres, PSA, en surcapacité de production s’associe dans l’urgence avec un autre constructeur. Les coûts de production et les frais logistiques imposent brutalement la fermeture. Le territoire subit un véritable chaos social et économique. Des dégâts collatéraux s’étendent aux régions limitrophes… Aujourd’hui, une partie de ces raisons perdure et taraude le tissu industriel. Mais l’association annoncée de PSA avec le japonais Mitsubishi, pour former le sixième constructeur mondial, est porteuse d’espoirs parce qu’elle vise à élargir le marché du groupe français et sa gamme de véhicules, thermiques comme électriques.
    La deuxième raison tient au poids de la filière automobile, à Rennes et dans sa zone d’emploi, depuis bientôt soixante ans : Citroën a employé près de 14000 personnes et la filière automobile représente encore un emploi industriel sur trois dans la zone d’emploi de Rennes. À La Barre-Thomas, d’abord, depuis 1953, où Rennes bénéficie de l’une des toutes premières décentralisations, celle de la fabrication de pièces de caoutchouc, puis de roulements à bille, toutes deux trop à l’étroit en région parisienne pour répondre au succès de la 2 cv et de la DS. Préférée alors à Nantes, où les métallos étaient réputés turbulents, Rennes eut ensuite quelques arguments à faire valoir lorsqu’en 1958 s’engagèrent les discussions sur l’implantation d’une seconde usine à La Janais, notamment une forte disponibilité d’une main-d’oeuvre assidue au travail et disciplinée. AMI 6, Dyane, GS, Visa, BX, AX, XM, Xantia, Xsara, C5, C6… Autant de modèles qui ont jalonné cinquante ans d’activité dans cette usine inaugurée par le général de Gaulle en 1961.
    Rien à voir évidemment entre la fabrication de l’AMI 6 et celle de la C5. Le Japon, encore lui, est passé par là et les méthodes inspirées du système Toyota que sont allées découvrir, dès le début des années 80, plusieurs délégations de cadres et d’ingénieurs. La robotisation s’est généralisée. Un véritable culte de la qualité s’est emparé de La Janais. C’est peut-être ce qui fait sa force: le fleuron « qualité » du groupe PSA est aujourd’hui l’usine de La Janais et son système de fournisseurs et de sous-traitants. Regroupés dans la région de Rennes, certains même autour de l’usine, astreints aux mêmes obligations qu’elle, visant les mêmes objectifs, selon les mêmes méthodes. Et subissant les mêmes transformations de la géographie des marchés imposées par la mondialisation.
    Cette histoire ne fut pas simple. Citroën avait de la paix sociale une conception musclée et, pendant plus de trente ans, fit régner à La Janais un antisyndicalisme virulent, à tel point que l’archevêque de Rennes dut rappeler en décembre 1966 que la liberté syndicale est un droit essentiel pour l’homme. L’extrême brutalité des licenciements de 2008 à La Barre-Thomas, sortie du giron de PSA depuis 1998, a rappelé quelques mauvais souvenirs.
    Dirigé depuis Paris, PSA ne s’intéressa que très tard à son environnement local. Et ce fut parfois pour nouer avec lui des parties de bras de fer sans concession, allant défendre jusqu’au Conseil d’État en 2001 son refus de voir augmenter sa taxe « transports » à l’occasion de la construction de la première ligne de métro. Heureusement, cela n’a pas duré et PSA s’est bien rattrapé depuis en engageant son savoir-faire, ses compétences et ses réseaux au service des entreprises régionales, notamment dans le pôle de compétitivité iDforCar.
    La troisième raison vient d’une évolution de l’attitude des consommateurs-automobilistes. Elle est d’abord économique. En période de réduction du pouvoir d’achat et d’augmentation du chômage, on fait ses comptes. L’augmentation, entre autres, du coût des carburants, des pièces détachées et des réparations, la promesse d’une nouvelle « taxe carbone » font réfléchir, en particulier, tous ceux qui par obligation ont été amenés à se loger loin de la ville-centre, de ses écoles, de ses loisirs, de ses commerces et de ses emplois et qui prenaient leur voiture pour un oui, pour un non. On se déplace moins, on calcule plus. Regardez les ronds-points, aux échangeurs des voies-express : s’y sont aménagés des parkings de covoiturage déjà bien encombrés. Regardez les entrées de ville: vides la nuit, complets le jour, les parkings proches des arrêts de bus ou les parkings- relais des stations de métro accueillent des centaines d’automobilistes, convertis aux transports en commun par la magie du coût des parcmètres ou des parkings souterrains, quand ce n’est pas par l’avenir incertain de la planète ou la crainte d’une raréfaction des sources d’énergie fossile ou du réchauffement climatique.
    Naguère encore synonyme de liberté et de rapidité, la voiture urbaine devient peu à peu source de tracas et de pertes de temps. Élément de statut social, signe extérieur de richesse, la « grosse bagnole » est parfois perçue comme une preuve de mauvais goût. Il est de bon ton dans certaines couches de la population de ne pas posséder de voiture et d’en louer, éventuellement de très confortables, pour le week-end ou les vacances.
    L’automobile se cherche donc un avenir. Certes, elle n’a pas dit son dernier mot. Et nous y sommes tellement attachés qu’une révolution rapide de nos modes de vie semble impensable. Évolution alors? Voitures, scooters et vélos électriques ? Nouvelles façons, plus douces, de se déplacer, à pied, à vélo, en transports publics, de mélanger tous ces modes de déplacement ? Ou bien, l’internet et le monde à bout de clic nous conduirontils à économiser nos circulations ? C’est sur cette interrogation que se clôt – provisoirement – notre réflexion. Avec comme perspective de voir la ville se transformer. La vie serait-elle plus agréable dans une cité sans voiture?