L'éditorial

     «Construire, construire… Depuis dix ans, c’est l’obsession de Rennes Métropole. Construire pour accueillir les nouvelles populations qui se pressent à ses portes et qui cherchent du travail, des services, une vie meilleure. Construire pour accueillir les jeunes qui quittent le cocon familial ou les couples qui se séparent. Construire en prévision du vieillissement de la population.
    Car la métropole était sur une très mauvaise pente. Elle avait juste construit, entre 1990 et 2005, assez de logements pour ne pas perdre de population. Les prix des loyers et de l’accession à la propriété avaient grimpé. Rennes était réputée ville très chère. S’y faire muter avait des allures de catastrophe. Il fallait renoncer à être propriétaire, s’éloigner de la ville centre, voire renoncer à habiter les communes de la première couronne.
    Du coup, le Programme local de l’habitat avait prévu entre 2005 et 2012 la construction de 4500 logements par an sur le territoire de 36 communes de la métropole (seul, Saint-Grégoire était resté à l’écart), un quart en locatif social, un quart en locatif à prix intermédiaires ou en accession aidée à la propriété, le reste en accession libre. Chaque commune avait sa feuille de route: tant de logements, tant en immeubles collectifs, tant sur les parcelles de moins de 350 m2… En contrepartie, Rennes Métropole ouvrait son porte-monnaie et apportait à chaque commune une aide conséquente.
    Mais la belle construction s’est un peu lézardée. Les objectifs ne seront pas atteints à la date prévue. Dans le décompte 2005-2009, il manque déjà 2400 logements. La crise économique et ses retombées sur l’immobilier ont ralenti considérablement l’accession libre à la propriété. Du coup la métropole se donne deux ans de plus. Par la même occasion, elle tient compte du mécontentement des élus des communes de la deuxième ou de la troisième couronne qui se sont vu imposer la construction de trop d’immeubles collectifs ou semi-collectifs qui ne trouvent pas preneurs. « Quand elles viennent chez nous, dit le maire de Gévezé, les familles nous font remarquer qu’une maison n’est guère plus chère qu’un appartement où ils ne trouveront ni le confort ni la tranquillité qu’ils souhaitent. Le choix est vite fait: ce que les gens veulent à Gévezé, c’est une maison de leur choix même sur un petit terrain ».
    Ainsi revu et corrigé, le programme local de l’habitat ne soulève guère de débats. La commune de Saint-Grégoire elle-même était quasiment prête début février à se joindre aux autres communes de la métropole et à le signer. Il est d’ailleurs dans la droite ligne des programmes de maîtrise foncière et d’aménagement de nouveaux quartiers engagés depuis les années soixante par les municipalités Fréville puis Hervé à Maurepas, Villejean, Le Blosne (ZUP Sud) ou Bourgl’Évêque. Les promoteurs eux-mêmes reconnaissent bien volontiers qu’il a joué un rôle d’accélérateur de croissance en période faste et d’amortisseur en temps de crise. Et il est souvent cité en exemple par d’autres communautés d’agglomération à la recherche d’idées. Mixité sociale, mixité générationnelle, collectif, densité urbaine, solidarité entre communes, logement pour tous: voilà des mots qui ne font plus peur. Tout juste si l’opposition municipale rennaise insiste pour que l’on construise au centre-ville de grands logements capables d’accueillir des familles.
    Mais le volontarisme du programme local de l’habitat suffira-t-il ? On l’a vu: il ne peut agir, en période de crise – mais c’est vrai aussi en période de pleine activité – sur l’accession libre à la propriété. Son niveau dépend de la confiance des gens dans l’avenir et de la remontée des prix dans l’ancien, la revente préalable d’un bien constituant bien souvent l’apport personnel indispensable. Seule l’action économique de la métropole et ses efforts en matière d’attractivité, de rayonnement peuvent apporter leur pierre à l’élaboration d’un climat général plus favorable. Ce qui aurait aussi des effets sur la demande de logement social et augmenterait les coûts de l’intervention de la collectivité à une époque où il faudra peut-être, faute de recettes suffisantes, resserrer les cordons de la bourse. La spirale vertueuse peut s’enrayer très vite.
    En fait, le logement, toutes catégories confondues, est devenu aujourd’hui, en France, un produit cher, voire très cher. Pour autant que les moyennes aient un sens, citons celle-ci : « La dépense moyenne engagée par les ménages pour se loger est passée de 7890 € en 2002 à 9700 € en 2007, soit une hausse de 23 % (+ 32 % dans le secteur locatif privé)1 ». Chez les « classes moyennes inférieures » de la population, les dépenses contraintes (logement, eau, gaz, électricité, assurances, téléphone, frais financiers) sont passées de 21 % en 1979 à 38 % aujourd’hui. Chez les plus pauvres, ces dépenses contraintes ont doublé, passant de 24 à 48 %. « La progression du coût du logement a donc pour conséquences de creuser les inégalités sociales au sein de la société française et de renforcer l’inégale distribution des revenus2 ».
    Des parachutes ont jusqu’ici bien fonctionné à Rennes. Jugés très serrés par les promoteurs, les prix des logements aidés sont plafonnés par Rennes Métropole à 1800 €/m2 pour une maison et à 1900 €/m2 pour un appartement (ils sont de 3200 €/m2 en secteur libre). Ça n’est déjà pas donné. Au moins, des limites sont fixées. De plus, l’Agence immobilière à vocation sociale loue des logements privés à des prix inférieurs à ceux du marché en apportant aux bailleurs les garanties qu’ils recherchent. Et Droit au logement qui a « animé » récemment le conseil municipal de Rennes s’est attiré cette réponse: « Le droit au logement pour tous est une de nos priorités. À travers les dispositifs mis en place, Rennes Métropole est reconnue au niveau national dans le cadre du Droit au logement opposable (loi Dalo, du 5 mars 2007). Cette pratique locale a été saluée comme exemplaire et idéale par la Fondation Abbé Pierre, par la conférence du consensus et par le Haut comité du logement pour les plus défavorisés ».
    Deuxième objet de préoccupation: il ne s’agit pas seulement de loger, mais d’habiter, de vivre dans son quartier. Le logement est indissociable des moyens de transport collectif pour assurer sa mobilité et des services nécessaires pour satisfaire aux besoins de proximité: commerces, écoles, santé, loisirs, vie associative. On se demande parfois si certaines Zac où l’on construit à toute vitesse – parfois joliment – créeront plus de lien social que les zones pavillonnaires. Quels dispositifs imaginer pour associer les futurs habitants à ce qui sera leur lieu de vie pendant dix, vingt ou trente ans ?
    Enfin, parlons développement durable. Rennes Métropole se préoccupe de ne consommer ni trop d’espace, ni trop d’énergie. En construisant 4600 logements par an, elle n’a pas fait disparaître plus de terres agricoles qu’en en construisant que 2500 dans la période précédente. Un bon point. Mais le renchérissement prévisible des carburants va rendre de plus en plus insupportable l’éloignement des classes moyennes qui vont ressentir aussi l’impossibilité d’organiser partout des transports collectifs efficaces : un développement équilibré de la métropole sera-t-il possible dans l’avenir ?