Ce numéro de Place Publique est exceptionnel. Son dossier sur les gares, celle de Rennes, celle de Saint-Malo et plusieurs autres, comporte en effet une trentaine de pages entièrement réalisées par les treize étudiants du master de journalisme de l’Institut d’études politiques (Sciences Po) de Rennes. La revue est très heureuse d’accueillir ainsi le journal-école de la cinquième promotion de ce master, dont l’objectif est de former les étudiants à la conduite d’un projet éditorial centré sur une enquête et d’aboutir à une publication collective. Le sujet de l’enquête, la gare et son quartier, a été choisi par la rédaction en chef de Place Publique en fonction de son programme de publication et discuté avec les enseignants, Roselyne Ringoot et Yvon Rochard. Les étudiants ont fait le reste, précisé le champ de leurs investigations, déterminé leurs angles, attribué à chaque article un nombre de signes et une place dans le déroulé de leurs trente pages, enquêté, interviewé, photographié, rédigé, limé, ajusté, relu, corrigé, remis enfin leur copie après l’avoir signée.
Le résultat de leur travail, c’est cette enquête sur le quartier Sud-gare de Rennes. Disons-le tout de suite : c’est un bon travail. Au plus près de la vie quotidienne, proche des gens, de leurs difficultés, de leur histoire, de leurs espoirs. Les cheminots et leurs organisations, entre pavillons et jardins, les jeunes qui s’ennuient parfois, les nouveaux habitants qui se « boboïsent », les petits commerces qui ont déjà fermé, l’église où la messe du dimanche n’est plus toujours assurée, les projets de rénovation qui chassent les vieux des petites maisons où ils pensaient finir leurs jours… C’est un journalisme à l’écoute, attentif, soucieux non pas de discourir mais de donner la parole, un journalisme de rapports humains. Continuez, les étudiants ! On prend plaisir à vous lire.
Les gares, donc. Mais n’attendez pas que l’on décortique par le menu le projet EuroRennes qui accueillera dans cinq ou six ans la nouvelle Ligne à grande vitesse. Il est encore en discussion, tant son volet proprement ferroviaire (un cinquième quai et une redéfinition des circulations des voyageurs entre les quais et l’extérieur) que son volet architectural et paysager avec ce passage-jardin au-dessus de la gare, pour assurer la jonction entre l’avenue Janvier et le quartier sud, et les tours qui surgiront rue de l’Alma et au débouché de la rue de Chatillon.
Ce à quoi ce numéro invite le lecteur, c’est à une réflexion sur la fonction des gares, qui à la fois concentrent et dispersent les individus et les activités, qui en même temps étendent la ville et la rendent dépendante comme le souligne Marc Dumont dans son article introductif.
Concentration, ce fut le cas à Rennes lorsqu’au début du 20e siècle les cheminots se rassemblèrent près de leur travail dans ce qui deviendra le quartier Sud-gare. Benjamin Sabatier raconte l’histoire du choix, contre le centre-ville, du lieu-dit Lorette, alors en pleine campagne, pour recevoir les premiers trains, en 1857. Boulevards, rues, écoles, casernes, église, accompagneront la croissance du quartier, les premières habitations à bon marché et les Castors. Mais il restera – et encore aujourd’hui – cette coupure entre le sud enclavé et le nord privilégié.
De ce paradoxe – concentration, dispersion – découlent toute une série de hiatus dont le moindre n’est pas de voir l’urbanisation se déployer désormais le long des voies ferrées, grâce aux petites gares ainsi remises aux avant-postes du développement durable. Thérèse Delavault-Lecoq se penche sur les conséquences en matière d’urbanisation du développement du trafic des trains et de l’aménagement des gares et haltes ferroviaires entre Rennes et Saint-Malo. Elle recommande d’éloigner les parkings des gares pour libérer de l’espace pour des garages à vélos et toutes sortes d’activités commerciales et d’équipements qui redonneraient un rôle central et dynamique à la gare.
Un rôle central, celui du forum, de place publique, c’est justement la fonction qu’imagine, pour la nouvelle gare de Saint-Malo, le maire de la ville, René Couanau. Parce qu’elle est située au coeur du triangle Paramé – intra-muros – Saint-Servan. Parce qu’ainsi localisée et entourée d’un espace reconquis sur les voies, elle va devenir la plaque tournante des mobilités entre le train, la voiture, le vélo, la marche à pied et la prochaine ligne de bus en site propre entre l’hippodrome et l’intra-muros.
À l’organisation des mobilités, François Bonnefille, responsable de l’atelier d’architecture à Gares & Connexions, filiale de la SNCF, ajoute deux autres préoccupations : la détermination de la capacité des gares à l’horizon 2020-2040 et la régulation des flux de passagers entre la ville et la gare, entre les guichets, les zones d’attente, les commerces et les quais. Comment faire pour que ces flux descendants et montants – ceux qui partent, ceux qui arrivent – circulent aisément, sans se heurter ni même se gêner, avec aisance et fluidité ? Inutile de dire que de puissants logiciels sont appelés à l’aide par les architectes et les ingénieurs…
Cristiana Mazzoni, qui connaît l’histoire des gares européennes sur le bout des doigts, nous dit que la grande vitesse a été, depuis le début des années 1980 l’occasion d’une renaissance des gares. À l’origine symboles du progrès triomphant et du culte du voyage, luimême emblème de la modernité, les gares s’étaient transformées en lieux froids et peu accueillants, « peuplés d’ombres noires ». À force de TGV, d’Eurostars ou de Thalys filant sur des lignes nouvelles et exigeant des étapes et des terminus à la hauteur, les gares peuvent devenir à nouveau le point focal de l’architecture, de l’art et de la technique, de l’urbanisme et de la sociologie urbaine où se noueront de nouvelles connivences avec la ville. Comme si à nouveau la gare s’ouvrait à la ville.
Philippe Menerault, enfin, nous dit à quels excès peut aussi conduire l’appétit sans frein de la grande vitesse. Certains, dans une métropole comme celle de Lille qui possède déjà deux gares TGV, Lille-Flandres, la gare ancienne, et Lille-Europe, la nouvelle, ont imaginé s’en offrir une troisième, encore plus internationale, distribuant ses trains vers Paris, Londres, Bruxelles, Amsterdam, Cologne comme un croupier de casino distribue ses cartes. Attention à ne pas lâcher la proie pour l’ombre, dit Philippe Menerault : on ne gagne pas à tous les coups.