L'éditorial

     On peut être une revue qui s'intéresse aux questions urbaines  au sens large et prendre ce dernier terme au pied de la lettre ! En mettant le cap sur le littoral, par exemple, comme nous vous le proposons pour ce numéro d'été. Vue de Rennes, la côte est forcément d’Emeraude, au bout de la route qui mène à Saint-Malo. Nous avions déjà exploré, il y a presque un an, le rapprochement à l'œuvre entre les deux agglomérations. Une coopération qui s'est renforcée ces derniers mois, et qui trouve notamment une belle concrétisation dans la démarche de labellisation French Tech, autour du numérique. Cette fois, c'est une approche par les paysages qui sert de fil conducteur au dossier de ce 36ème  numéro. Nos contributeurs - urbanistes, historiens, géographes, économistes, architectes, journalistes - se sont passionnés pour ce littoral et sa diversité. Leurs articles permettent de dessiner les contours sensibles de cette Côte d'Émeraude finalement plus complexe que ce qu'en disent les guides touristiques ou les cartes postales. Son aménagement, au fil des décennies, soulève des questions d'ordre environnemental, architectural, économique...

     Faut-il alors mettre la côte sous cloche, au nom d'une préservation patrimoniale qui interdirait toute évolution ? Certainement pas, et c'est tout l'enjeu du projet de Parc naturel régional Rance-Émeraude en cours de création. Mais la question mérite d'être posée, tant cet écosystème fragile cristallise les passions et alimente les oppositions entre les tenants d'une conservation immuable et les partisans d'une évolution raisonnée. Plutôt bien orientées, les tendances démographiques et les perspectives économiques autorisent en effet des rêves de croissance, en dépit de points de vigilance clairement identifiés, notamment dans le domaine environnemental. Cette question résonne avec une intensité particulière au pied des remparts de Saint-Malo. Comment concilier le développement du port, en cœur de ville, et l'attractivité touristique ? Peut-être en considérant, justement, qu’un port, dans toutes ses composantes contemporaines (pêche, construction et réparation navale, plaisance…) constitue un réel facteur d'attractivité et une opportunité d'aménagement dynamique. Les exemples réussis d'articulation « ville-port ›› ne manquent pas ailleurs en France et en Europe. ll suffit, pour s'en convaincre, d'arpenter les docks du Havre ou de Dunkerque, ou, encore plus au nord, les quais de Hambourg ou de Bergen.

     À Saint-Malo, la refonte du quartier de la gare offre désormais au visiteur une magnifique porte d'entrée vers la cité corsaire. Mais il reste encore à créer un lien entre la Grande Passerelle et le Palais du Grand large pour permettre une déambulation agréable et sécurisée jusqu’aux remparts, en longeant les quais, les grues et les chantiers. La dernière édition du Festival Étonnants Voyageurs, qui avait pour la première fois investi les salles de la Grande Passerelle, en a apporté une démonstration grandeur nature. L'architecte-urbaniste jean-François Revert défend depuis longtemps une telle réorganisation urbaine et il a proposé dans le passé plusieurs solutions d’aménagement, jusqu'à présent restées dans les cartons. Il s'en explique dans un témoignage sans langue de bois. D'autres projets, portés par des acteurs économiques locaux, offrent de nouvelles perspectives au port, sans opposer ses différents usages, comme le rappelle bien la navigatrice et chef d'entreprise Servane Escoffler, invitée du grand entretien de ce numéro. Pour une ville, un port peut être, comme la langue d'Ésope, la meilleure ou la pire des choses. Une source de difficultés ou un formidable réservoir d'énergies. Au regard de sa longue tradition maritime, Saint-Malo mérite assurément de soutenir cette seconde approche. Bonne lecture et bel été, à la découverte du littoral, depuis la terre ou la mer !