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Dossier
#32
Au bord de la ville, les nouveaux paysans retissent des liens
RÉSUMÉ > Une autre agriculture est possible. Propre à réconcilier les fruits de la terre avec notre appétit de saveurs et de valeurs. Bio, durable, circuit court… toutes ces aspirations sont d’autant plus réalisables que l’on est aux portes de la ville. C’est le cas de Gilles Simonneaux qui exploite la ferme des Petits-Chapelais à Chavagne, à quelques encablures de Rennes. Rencontre avec un paysan tout à la fois atypique et représentatif d’un courant prometteur.

     Venant de Rennes, on arrive aux Petits-Chapelais en longeant la Vilaine en aval de la ville. Au-delà des étangs d’Apigné, la route trace à travers de plates prairies. Un panneau « magasin, vente directe » « bio » – nombreux autour de Rennes –, nous y sommes. De vastes bâtiments d’exploitation. Rapide inventaire avec le maître des lieux Gilles Simonneaux, 42 ans : au fond une stabulation avec 75 vaches laitières, en face une grosse unité de séchage de foin « en grange », à gauche une grande parcelle de légumes. « Sur un hectare comme celui-là, on peut faire vivre une personne de son travail », affirme Gilles. Au-delà, un hangar neuf avec un immense toit de panneaux photovoltaïques, à droite, des anciennes étables : dans l’une ronronne le moulin à farine, dans l’autre Johan, le boulanger, s’affaire autour du four à pain. Le bâtiment abrite aussi le magasin de vente directe, ouvert deux après-midi par semaine.

     Ce puzzle agricole composé d’activités et de productions diverses s’est construit par étapes. Il évoluera encore. Gilles Simonneaux assume son côté expérimentateur, le fait d’avancer à coups d’essais-erreurs. L’essentiel étant d’avancer. Mais toujours à partir d’une réflexion sur le « sens que cela a » de nourrir les gens, d’être agriculteur.
    Son histoire vient de loin. Gilles appartient à la quatrième génération fixée sur la terre des Petits-Chapelais. Pour autant, il n’avait pas vocation à devenir agriculteur. Bac scientifique en poche, Gilles avait entamé des études de sciences-éco, quand son père rencontra des problèmes cardiaques. « Mes quatre frères et soeurs étaient partis. J’étais le plus jeune, j’ai décidé de changer de cap et de faire des études agricoles. » Après un BTS et un séjour de six mois en Australie, il est prêt à prendre la suite des parents aux Petits-Chapelais « avec l’idée de passer au bio ». Car Gilles est nourri depuis longtemps de sensibilité écologique, notamment par sa mère « très ouverte sur ces questions », alors même que la ferme de Chavagne reste « une exploitation laitière conventionnelle ».

     Nous sommes en 1996, en pleine crise de la vache folle et « à cette époque, le bio était devenu un discours positif ». Le jeune homme rachète donc la ferme de 75 hectares. Aujourd’hui, elle en fait une centaine. Il comprend que les contraintes du site sont une aubaine. « Les terres se trouvent en zone inondable et à 700 mètres de la piste de l’aérodrome de Saint-Jacques. » Eh bien, justement, « j’ai senti que c’était une chance car cela nous protégerait à jamais de l’urbanisation. À 5 km du périphérique, nous serions toujours tout près de la ville, mais jamais englobés par elle. »
    Au bout de deux ans, Gilles obtient la certification bio. L’aventure va se poursuivre selon un axe, une idée, un sens que le jeune paysan résume en trois mots : « retrouver le lien ».

     D’abord le lien avec autrui. « Jusque-là, j’avais une vie sans relation avec le milieu agricole : j’étais étudiant, habitué à voyager, à avoir des vacances, une vie sociale active. La ferme, par contraste, c’est l’isolement et ce peut être très dur. Quand vous vous retrouvez, jeune célibataire, dans une grande maison avec tout autour des bâtiments inutilisés… »
    Donc premier objectif, « revaloriser les bâtiments », « mettre du monde dans la ferme » notamment par la colocation. Objectif largement réalisé depuis : chaque bâtiment a retrouvé une vocation, tandis que la ferme « grouille » de monde. Non seulement l’épouse de Gilles – institutrice à Rennes – et leurs quatre enfants, mais aussi les six ou sept personnes qui travaillent sur place. Cinq d’entre elles avec le statut d’associé au sein d’une Earl (Exploitation agricole à responsabilité limitée).

     Le lien, c’est aussi autre chose. C’est celui qui relie la terre avec les fruits que l’on en tire, puis le lien entre ces produits et les gens qui les achètent pour les manger. « Pour moi, suivre le produit, garder le lien avec, c’est essentiel. Notre société a tué l’harmonie, coupé le lien. Pour le retrouver, il faut avoir une réflexion sur la façon de produire, d’où l’idée de faire de la vente directe. Pour parler d’une manière idéalisée, je dirais qu’il y a un peu de nous dans la carotte que nous produisons. En la suivant jusqu’au consommateur final, on sait que c’est la même carotte, je sais où elle va et lui, sait d’où elle vient. C’est cela, le lien. »

Blé panifiable et pain pour les cantines

     La plus belle illustration de cette démarche qui implique par principe « de diversifier et complexifier le système », ce fut pour Gilles de se lancer dans la culture de blé panifiable et de faire son pain lui-même. Savoir où va le blé, ce qu’il devient, « c’est presque une question de morale ». « Les vaches, c’est très bien car elles consomment de la prairie et cette dernière enrichit le sol. Cette prairie naturelle favorise ensuite la culture de céréales bio tel que le blé. » Celui des Petits-Chapelais est transformé sur place en farine grâce à un moulin électrique.
    Au départ, Gilles faisait son pain et le vendait aux Amap1 très demandeuses de ce produit. Vitesse supérieure : recruter un boulanger (aujourd’hui associé). Mais pour lui dégager un salaire à plein-temps, il fallait trouver d’autres débouchés. Ce seront les cantines de la Ville de Rennes dont Gilles obtient le marché via le GIE « Manger Bio 35 ». Aujourd’hui, « c’est une réussite », au point qu’il cherche un second boulanger. Les Petits-Chapelais produisent 750 kg de pain par semaine (du pain bio au levain intégral). Les deux-tiers vont aux cantines, dix pour cent sont vendus dans le magasin sur place, le reste va aux Amap.

Une question centrale, celle de l’énergie

     Toute la ferme tend vers le modèle idéal du circuit court mais il reste difficile à généraliser pour l’instant. Ainsi les 500 000 litres de lait produits annuellement partent à 95 % dans les camions de Lactalis. Seuls les 5 % restants sont transformés sur place, vendus aux Amap et à un fromager de Chavagne.
    À côté ou plutôt au-dessus du mode de production et de consommation, la question-clé reste celle de l’énergie. « Ne pas consommer d’énergie est pour moi le plus important, dit Gilles Simonneaux. On est dans un système de pouvoir descendant, si bien que toute notre électricité dépend de quelques centrales, toujours faillibles. Il faudrait que la production d’énergie parte du bas. » Ce que le fermier a mis en pratique en réalisant un projet photovoltaïque avec 700 m2 de panneaux produisant 250 000 kWh par an. Ce courant, vendu à EDF, correspond à peu près au volume de consommation annuel en fioul et électricité de la ferme. Cela donne à l’affaire un parfum d’autonomie énergétique. « Mais ce n’est qu’une première marche. Il va falloir expérimenter d’autres systèmes. Quand on songe que, sous serre, il faut un demi-litre de gas-oil pour faire pousser un kilo de légume ! »

Le maraîchage, solution pour le périurbain

     Lait, pain, électricité, Les Petits-Chapelais produisent aussi des légumes. Gilles pense que l’avenir des terres périurbaines est dans le maraîchage : « D’abord, cette culture n’a pas besoin de beaucoup de terre. Ensuite, elle est peu consommatrice d’énergie (hors serre). De plus, elle donne des produits de qualité. Enfin elle a besoin de main-d’oeuvre ». Autour des villes, la main-d’oeuvre est à deux pas. Même si l’on n’y gagne pas des mille et des cents « c’est quand même mieux que de payer les gens à ne rien faire. La terre, c’est un travail qui a un sens pour reconstruire les gens ». Cette question de l’emploi lié au sol fait partie de la réflexion que Gilles conduit avec ses amis de « Semons l’espoir », un groupe d’agriculteurs bio de la vallée de la Vilaine : on y parle partage du marché, installation des jeunes, avenir de l’agriculture périurbaine.
    Fort de ses acquis, l’agriculteur des Petits-Chapelais ne veut pas en rester là. Il fourmille de projets pour la ferme : faire passer son magasin en magasin collectif, mettre en place un système de commandes par Internet, installer un paysan-boucher, monter un petit élevage de cochon pour valoriser les déchets de laiterie, créer un atelier pour valoriser les légumes en surplus, et surtout, surtout, « s’affranchir de l’énergie ».

La Prévalaye, une page blanche idéale

     Son rêve serait de créer collectivement quelque chose de neuf sur la vaste « page blanche » de la Prévalaye. Sur cette zone de 3 500 hectares, Rennes Métropole a lancé le projet « Vilaine-Aval » visant à aménager un grand « parc-nature ». L’agriculture doit y trouver sa place. Gilles y est déjà locataire d’un terrain de la ville. Et voudrait, avec d’autres, expérimenter un programme lié à la situation exceptionnelle de l’endroit qu’il juge idéale : à la fois proche de la ville et écologiquement préservé dans la mesure où la terre est en repos depuis des décennies. « Il s’agirait de produire des aliments pour les gens de la ville, d’offrir du travail à des personnes qui sont en rupture en leur faisant retrouver un lien avec la terre et les animaux, de favoriser par le biais de cette activité l’éducation des enfants, ce serait formidable ».
    Ce serait l’endroit aussi pour tester des semences anciennes. Ce travail est déjà bien avancé sous l’impulsion de Véronique Chable, une chercheuse de l’Inra reconnue internationalement dans ce domaine. Depuis plusieurs années, son laboratoire teste des semences paysannes sur des parcelles de Gilles, et aussi sur un terrain de la ville où l’on a semé du sarrasin, vedette fin septembre d’une « fête du sarrasin ».

     Tous ces projets se discutent notamment au sein de l’Université foraine de Patrick Bouchain dont l’objectif est de donner une destination à des lieux inemployés (fac Pasteur, Moulin d’Apigné, Prévalaye). Pour faire avancer ces projets, il faut convaincre les politiques de donner une impulsion financière au démarrage. « Pour l’instant, on a un bon écho du côté des décideurs », reconnaît Gilles Simonneaux. Avec ses amis, il est prêt à mettre son savoir-faire au service de la collectivité, tout en précisant : « je n’ai pas d’ambition personnelle, simplement le souhait de développer un système différent. » Sans gigantisme. Car, loin des « structures à gros volume de l’agriculture majoritaire », lui croit aux « petites unités de production ». Elles sont prometteuses en termes de création d’emplois et sont capables de répondre à la vocation d’une « bonne agriculture ». Laquelle consiste tout simplement « à nourrir la population » avec « des produits riches du point de vue nutritionnel ».