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Dossier
#32
Formation : au lycée Louis-Guilloux, la relève est assurée
RÉSUMÉ > Le Lycée professionnel Louis-Guilloux, niché dans le quartier des télécoms de Beaulieu et de Rennes Atalante, forme chaque année quelque six cents élèves dans trois métiers : la mode, le tertiaire et l’hôtelier. Rencontre avec les élèves en formation hôtelière, côté cuisine ou bien en salle, qui ont déjà une idée très précise de la fonction qu’ils souhaitent exercer.

     Côté fourneaux comme en salle, la relève paraît assurée lorsqu’on discute avec les élèves qui préparent un bac professionnel, option cuisine ou service, au lycée Louis- Guilloux de Rennes. Une relève lucide et dynamique, qui articule la tradition et l’inventivité. De la seconde à la terminale, ils maîtrisent déjà le vocabulaire technique et savent que l’expérience sera la leçon quotidienne.
    Quentin et Antoine se tiennent côté cuisine. Les seuls de leur promotion à avoir choisi l’uniforme noir, ils ignorent pourquoi, « c’est moins salissant » dit l’un, « sauf pour la farine » dit l’autre. Ils portent beau, ils ont de l’allant et de l’allure. Dix-sept ans, l’âge des possibles mais ils savent où ça aura lieu et ce qui les a conduits au lycée hôtelier Louis-Guilloux sur la colline Atalante de Rennes.
    Antoine vit à Orgères. C’est dans le jardin de ses parents qu’il a senti le goût des produits, leur point de départ, leur couleur et leur teneur au naturel. Et cette « évidence depuis tout petit. J’inventais des recettes. Je mélangeais la farine et le lait, des fois c’était bon. Je ne lisais pas encore, ni les albums ni les livres de recettes, je touchais à tout ». L’enfance d’un chef entre les allées du jardin parental. Les légumes, les fleurs, tout cela qui entrera dans l’assiette. Savoureusement. Antoine a senti cela « dès la sixième ».
    Quentin vient de Paris mais il le dit si vite qu’on entend que la suite, que « son grand-père était chef chez LeCoq Gadby ». Son sourire monte au ciel, ses yeux pétillent. Interrogé s’il est allé sous la célèbre enseigne de la rue d’Antrain en stage, il répond qu’il ne peut imaginer y revenir en tant que « commis ». Il part de là, du saut générationnel, et il vit à Saint-Gilles. C’est là que sa grand-mère habite, là que le flambeau éclaire.
    L’enfance des chefs ! Long apprentissage, périlleux, constamment remis en question. Ils savent que dans cette « cuisine, au premier pas qu’on y pose, on se fait engueuler » et, déjà experts, ils disent que « c’est comme ça ». L’un et l’autre à l’unisson. Ils se toisent, sourient, sont d’accord. La cuisine ce sera dur, c’est de la « passion » qu’il leur faut, ils l’ont. Ils ont les mots des anciens entre leurs lèvres si jeunes, ils disent que ce métier de chef, « on sait dans quoi on s’engage ». Ils reviennent à cette ambiance militaire, à la hiérarchie nécessaire, aux ordres qui fusent. Ils disent savoir qu’ils se feront « tout le temps crier dessus » et ajoutent « on aime ça », en vérifiant bien que c’est de la cuisine qu’ils parlent, des assiettes à composer, pas des rodomontades !

     Toujours par nombre impair, les produits dans l’assiette, pour l’équilibre et « jamais plus de trois couleurs ». Ils énoncent des règles plus qu’ils ne les récitent et aussi celles qu’ils transgressent par gourmandise. Pas sérieux quand on a dix-sept ans et que déjà pointe l’esprit créatif : « ils crient et on fait quand même ».
    Les deux jeunes hommes savent qu’ils feront des saisons, tourneront pour acquérir l’expérience. « Il y aura des ratages », dit l’un, mais tellement de plaisir quand « avec un petit truc, le changement de goût est là ».
    Même après « cinquante ans de métier », ils disent qu’il y aura « à apprendre ». La cuisine est un métier d’artiste, « ce n’est pas recopier » même si « on connaît les accords ». Ils parlent comme des musiciens par moments et à d’autres comme des peintres : « dessiner une assiette, c’est artistique ». Ils sont là, dans leur élément, et c’est la cuisine entièrement refaite de Louis-Guilloux qui les a conquis. Ils ont vu pas mal d’abandons autour d’eux durant les trois années, ils évoquent des noms, ils se regardent encore, « on n’est là pas par dépit mais par choix ».
    Ils évoquent « les cartouches » qu’ils se sont prises dans les premiers retours au restaurant d’application. Leurs collègues attablés sont des clients exigeants, et, au démarrage la lenteur est leur lot, avec les plats qui arrivent tièdes ou pas assez chauds. Antoine et Quentin plaident pour les « habitudes à prendre », et se souviennent des premiers plats à responsabilité dont on les a chargés, en stage, grandeur nature dans une cuisine pas pour du beurre : rillettes de saumon pour l’un, fond blanc pour les sauces pour l’autre. Ils se lèvent, repartent en cuisine, toque en papier sur la tête, disciplinés. Ils avouent que « c'est dur,au départ, presque militaire ». Mais ils réalisent que dans quelques minutes, ce sera déjà l'heure de la pause, et les voilà qui partent d'un grand rire espiègle.

     Lesly, Lucas et Ludovic seront côté service. Dans ce théâtre du restaurant, il y aurait la cuisine où le texte est préparé, les tirades harmonisées et il y aurait la scène où le décor compte pour les convives, les assiettes présentées et la cloche qu’on soulève dans une chorégraphie parfaite.
    Lesly, Lucas et Ludovic sont jeunes, quinze et seize ans. Ils entrent en seconde et leur inexpérience est d’abord une insécurité. Ils sont intimidés y compris par leur propre tenue d’apparat. Les costumes un peu larges, les cravates mal assurées, leur uniforme sombre semble encore leur peser. À peine quatre semaines de formation et ils attendent fébrilement leur entrée en scène au restaurant d’application, le 3 octobre. Le grand jour. Lesly voulait faire autre chose mais une petite erreur de codage dans l’orientation l’a conduite au lycée Louis-Guilloux, et « par contre, ça me plaît ». D’autant qu’elle souhaitait avant tout se retrouver dans un « un lycée professionnel, c’est-à-dire où il n’y a plus de généralités ». Lesly a le sourire comme Ludovic qui « voulait faire barman depuis longtemps, depuis la cinquième » car il avait aidé ses parents « dans des associations à tenir le bar lors de fêtes ». Voilà sa jeune expérience et le trait qu’il tire entre hier et aujourd’hui. Il s’y voit « derrière un bar », comme Lucas dont la motivation s’est confirmée « lors d’un stage en troisième, dans un restaurant. « L’ambiance m’a plu. » Et le voilà parti sur cette piste qu’il voudra confirmer en devenant « sommelier ». Son père en connaît un rayon sur les vins, il lui en parle et « le fils initié pourra en faire métier ».
    Les trois sont encore gauches, tout jeunes dans les codes, les postures et dans l’aventure qui s’annonce. Ils seront de ce métier en apprenant le redoutable sens du mot « servir ». « À la base, je n’aime pas ça », dit l’un, « personne n’aime servir », surenchérit l’autre, c’est « s’abaisser » pense Lesly qui juge aussi que ce ne le sera bientôt plus « avec le temps ».
    « Faut s’y faire, c’est le métier qui veut ça. » La cuisine côté cour ou côté jardin met en péril et attire ces jeunes comme la table intéresse tout un chacun. Les lycées hôteliers ne sont pas si nombreux. « Petite communauté », dit le Proviseur, mais ce sont des vitrines. La cuisine concerne toutes les bouches et chaque palais en rêve. Elle invente des lendemains d’assiettes et de petits plats, des émulsions et des usages renouvelés.
    Les cinq jeunes de Louis-Guilloux le savent, les deux cuistots sûrs de « s’éclater devant leurs fourneaux » et la relève des serveurs, plus vacillante en début de seconde, qui vont trouver leur voie, se glissant entre les tables ou attendant, fiers et debout « comme des poteaux », le signe discret d’un convive.