Ainsi se présente ce petit sac usité en Bretagne avant la Révolution française, long de 36 cm, large de 15. Le regard évolue sur une forme simple, longue et étroite. Le textile est une pièce de jute cousue. À son extrémité, un lacet désigne une ouverture – fermeture par laçage.
En cela, ce sac est banal. Mais à y regarder de plus prêt, il l’est moins qu’il n’en a l’air. Tout d’abord, il contient une liasse de documents pliés dans le sens de la hauteur; de plus, le jute est oblitéré par une étiquette en papier cousue sur laquelle figurent quelques lignes manuscrites d’une écriture à l’encre qui renvoie ici au 17e siècle : Collation faite à Fougères par Mr. Du Faulx de (Grava)ulx a requete de René Du Pas et consorts contre maitre Denis Allix envoié au greffe par Le Boys(ne) adjoint.
Voilà une fonctionnalité inhabituelle à nos yeux du 21e siècle. C’est que la fonction comme la forme de cet objet d’abord tombées en désuétude puis abandonnées ont fini par être oubliées. Ils étaient pourtant des objets courants sous l’Ancien Régime. De quoi s’agit-il ? D’un sac de procédure.
Communément un sac de procédure contient les documents écrits constituant les pièces d’un procès (procès-verbaux, témoignages, expertises…) et l’on en trouve par dizaines dans toutes les archives des différentes juridictions. Ici, le jugement qui reposera sur les pièces contenues dans ce sac concerne des justiciables de Fougères, avant la Révolution française.
Dans la collection d’un musée régional comme le musée de Bretagne, cet objet est une sorte de « Bretagne incarnée ». Pourquoi?
Parce que par sa nature textile, il est l’expression de toutes ces populations pour qui l’industrie de la toile était répandue sur de nombreuses terres bretonnes. Durant le 17e, le 18e et le début du 19e siècle, les paysans trouvaient dans le tissage un appoint financier, quant ils ne cultivaient pas directement d’humlins et chanvres sur leurs parcelles équipées de routoirs dans des villages où se dressaient des teillages. Les tisserands qui confectionnant avec soin les Olonnes, les Noyales, les Bretagnes…, les marchands qui en faisaient commerce sont des milliers jusqu’aux crises de la seconde moitié du 19e siècle. Cette activité toilière soumise en outre à bien des contrôles de qualité (au siège des Bureaux de marques instaurés par Colbert) donnait lieu à des exportations massives, générait des fortunes parmi les marchands quand ce n’étaient pas des aménagements urbains entiers (comme à Moncontour, Quintin…).
Parce qu’enfin par leur destination, les sacs de procédure sont l’un des outils du pouvoir judiciaire de Rennes, la ville capitale qui après la Révolution française hébergea le tribunal d’appel des cinq départements bretons avant de devenir cour d’appel en 1871.
En outre, bien qu’outils pratiques de rangement et d’indexation d’affaires plaidées en justice, les sacs de procédure sont tenus aussi dans l’opinion publique comme un symbole de la justice. Ainsi figurent-ils dans la gravure célébrant le retour du Parlement dans son palais rennais, le 1er février 1690, après son séjour à Vannes, estampe de propagande s’il en est (collection: musée de Bretagne). Sa composition graphique est un véritable manifeste; au premier plan l’auteur présente d’une part les représentants du pouvoir royal, en la personne du frère du roi, du grand dauphin et du roi lui-même et d’autre part le génie de la ville de Rennes accompagné de la personnification de la Bretagne entourée des allégories de la justice et de la vertu. Au second plan, au pied de l’escalier extérieur, un homme de robe porte un sac de procédure face à des plaideurs, tandis que d’autres agents de justice en transportent quelques-uns vers les prétoires par les emmarchements de l’escalier.
Ainsi, dans le secret de ces humbles tissages de jute, figurent des vies entières entraînées devant les tribunaux partout en Bretagne, avant d’espérer qu’à Rennes un appel les délivre de condamnations prononcées ici à Quimper, là à Saint- Brieuc, Lannion, Landerneau, Vannes…
Le vocabulaire d’aujourd’hui en rappelle l’usage. Car c’est de cet objet que viennent des expressions comme « l’affaire est dans le sac » indiquant que les pièces à l’intérieur sont complètes ou « vider son sac » pour témoigner que le contenu des documents ici rangés à fait l’objet d’une plaidoirie. Il n’est pas jusqu’aux chaînes alimentaires internationales d’aujourd’hui pour réitérer dans leurs slogans de communication le souvenir d’humbles objets de l’Ancien régime. Mac Donalds (à Rennes) distribue désormais des sacs alimentaires affichant l’expression d’origine «l’affaire est dans le sac»!