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Histoire & Patrimoine
#08
Au musée des cap-horniers le trois-mâts Amiral-Cécille
RÉSUMÉ > Saint-Lunaire, juin 1936. Les grands voiliers long-courriers ont presque tous disparu. Reste à Saint-Malo, mais pour un temps désormais compté, une flottille de trois-mâts goélettes de grande pêche, de moins en moins nombreuse. Deux anciens de la voile, Eugène Allée et Auguste Briand, reconnaissent, dans le bourg, Georges, leur ancien professeur à l’hydro de Saint-Malo: Georges de Lannoy en fut le directeur de 1895 à 1904.

     Un mois plus tard, trente capitaines au long cours de la région se réunissaient autour de ce dernier à l’Hôtel de l’Univers à Saint-Malo. José Baladre, secrétaire de la Société nautique de la baie de Saint-Malo, leur fit cette réflexion: « Puisque vous avez tous doublé le cap Horn, pourquoi ne fonderiezvous pas une amicale des cap-horniers? »

     Georges de Lannoy appuya fortement cette idée, convaincu que les survivants de l’épopée des grands voiliers devaient s’unir « pour assurer la survie de cette grande époque pour qu’il reste des traces de cette rude école, pour que demeure le souvenir des marins et des marines de ce temps ».

     En juin 1937, trente-cinq capitaines participaient déjà au congrès de fondation d’une association qui deviendra, après la Seconde Guerre mondiale, l’Amicale internationale des capitaines au long cours cap-horniers et qui ne sera dissoute qu’en 2003, au terme d’un ultime congrès à Saint-Malo. Outre les congrès annuels, l’amicale tenait un livre d’or, réunissant les carrières de centaines de capitaines d’une quinzaine de nationalités, mais la ville de Saint-Malo lui suggéra aussi de participer à la constitution d’une collection publique au sein d’une séquence muséographique, présentée depuis 1969, dans la tour Solidor, en Saint-Servan.  

L’une des premières pièces des collections

     De cette collection forte aujourd’hui de près de 600 biens (modèles réduits, marines, instruments nautiques, cartes, souvenirs de voyages…), nous présentons ici ce « portrait » du trois-mâts carré Amiral Cecille par le peintre Edouard Adam (Brie-Comte-Robert, 1847 – Le Havre, 1929). Ce tableau entré vers 1960 fut, en effet, l’une des premières pièces des collections acquises sur la thématique du long cours cap-hornier par le musée.
     Signé, il mesure 59 cm de haut sur 91 de large et porte à sa partie inférieure cette inscription: « Amiral Cécille. Capt.(e) Jean 1902 ».
     Le commandant Louis Lacroix, donne dans son Histoire des long-courriers nantais de 1893 à 1931 (Paris, J. Peyronnet et Cie, 1937) d’intéressantes précisions sur ce troismâts. L’Amiral Cécille avait été lancé aux chantiers du Grand-Quevilly, près de Rouen, par les chantiers de Penhoët-Saint-Nazaire, pour la Compagnie française de navigation et de construction navale qui l’exploita comme vraquier sur les lignes du nickel de Nouvelle- Calédonie et des blés d’Australie. Il fut lancé le 22 janvier 1902 et faisait partie d’une série de huit dont les sept autres furent l’André Théodore, le Bérengère, le Léon Blum, l’Ernest Reyer, le Madeleine, le Rancagua et le Quillota. Sa construction était en acier. Il mesurait 86 m de long et 13,35 m de large. Son tirant d’eau était de 6,32 m et sa jauge brute de 2733 tonneaux. Sa voilure atteignait une surface de 2600 m2. L’Amiral Cécille appartenait ainsi à une série de voiliers très larges, assez peu rapides. Le peintre l’a représenté ici à l’allure « au plus près ».
     C’était, on le voit sur la peinture, un troismâts carré comportant une très longue dunette se prolongeant jusqu’à l’avant du grand mât. Cette dunette portait une grande chambre de veille dont les portes ouvraient sur les côtés. À l’arrière du grand mât, des théories supportaient les chantiers des embarcations en les préservant des coups de mer. Il comportait à l’intérieur un couloir circulaire éclairé par vingt hublots.
     Lors de son premier voyage, le capitaine Jean qui le commandait, prit en retour de Nouvelle-Calédonie du minerai de nickel pour Rotterdam. Alors qu’il sortait à la voile de Poron, le trois-mâts toucha sur des récifs et dut se rendre à Sydney pour se faire réparer. Il eut à affronter en 1904 une tempête en mer du Nord. En 1911, revenant de San Francisco, il aborda un chalutier en Manche. Il fit son dernier voyage en 1921 pour désarmer, comme beaucoup d’autres, dans le canal de la Martinière où un incendie le détruisit.

     Le trois-mâts portait le nom de Jean-Baptiste Thomas Médée Cécille (1787-1873). Ce dernier quitta Brest en 1837 avec une corvette pour se rendre en Amérique du sud puis en Afrique australe. Il alla jusqu’au cap Horn afin d’assurer la protection des baleiniers français. Il fit escale sur l’Ile de la Possession, la plus grande de l’archipel Crozet dans l’Océan indien, découvert en 1772 par le Malouin Marc-Joseph Marion-Dufresne (1724-1772). En souvenir du passage de Jean-Baptiste Cécille, un mont porte son nom depuis 1960 ainsi que celui de sa corvette Héroïne. Elevé successivement aux grades de contre-amiral, puis de vice-amiral, Jean-Baptiste Cécille fut également député de la Seine-Inférieure et sénateur. Il repose au cimetière monumental de Rouen.
     L’auteur du tableau, Edouard Adam, était un élève de Jean-Baptiste Durand-Brager (Dol-de-Bretagne, 1814 – Paris, 1879). Après son mariage avec une anglaise, il s’était installé au Havre vers 1873 et se spécialisa dans les portraits de navires. Il fut ainsi très apprécié des armateurs cap-horniers, ainsi que des pilotes et des capitaines de ce port. L’amiral Pâris, conservateur du Musée de la Marine à Paris, le chargea de compléter la collection de ce musée national. En 1885, Edouard Adam devint ainsi Peintre officiel de la Marine.
     Tous les propriétaires de navires voulurent avoir leur « Adam ». Ces oeuvres d’une très grande fidélité, d’un grand réalisme sont de fait de véritables documents historiques. Sans ces reproductions si exactes, beaucoup de navires seraient tombés dans l’oubli. Victor Adam, né en 1868 travailla dans l’atelier de son père et continua la production.
     Après l’ouverture du canal de Panama en 1914, la durée des voyages au long cours se réduisit considérablement. La machine à vapeur l’emporta sur les grands voiliers. Les compagnies d’armement mirent à la casse ceux que la guerre n’avaient pas coulé.
     Le capitaine Jean de l’Amiral-Cécille ne figure pas, comme un certain nombre, au livre d’or des capitaines au long cours cap-horniers. Il eut un homonyme, Alfred Jean, né en 1875 à Pleurtuit, capitaine en 1900. Il fut l’un des 35 membres fondateurs de l’amicale et c’est lui qui présida le banquet offert en 1936 à Georges de Lannoy. Les capitaines présents représentaient alors près de 250 passages au cap Horn.