au Grand-Ouest :
les nouvelles cartes
du peuplement
Dans quelles dynamiques du territoire français l’avenir des agglomérations de Rennes et de Nantes s’inscrit-il donc? Les relations de ces deux villes et celles qu’elles entretiennent avec les périphéries qui constituent leurs bassins de vie, d’activités et d’emplois, rejoignent sur certains plans des tendances structurelles du territoire français. D’où l’intérêt, dans ce cadre, d’éclairer les caractéristiques de leur peuplement, c’est-à-dire d’examiner les traits de leurs populations et de toutes leurs formes de mobilité.
L’Insee n’a cessé ces dernières années de constater trois évolutions dominantes: une première tendance marquée à la métropolisation, c’est-à-dire à une croissance constante de la population des grandes agglomérations ; celle-ci est liée à une seconde tendance, celle d’une forte poussée de la périurbanisation de ces mêmes agglomérations: on habite de plus en plus en ville, mais de plus en plus loin de leurs hyper-centres, d’où la croissance en « couronnes » successives qui n’ont cessé de s’additionner (première, seconde, troisième…) ; enfin, troisième tendance, une littoralisation diversement expliquée (héliotropisme, retraites…).
L’Ouest atlantique et breton n’y échappe pas : la dernière étude de l’Insee (juillet 2009) souligne la manière dont la géographie des migrations continue de distinguer une France de l’Ouest attractive et une France du Nordest qui l’est moins1. Si les départements urbains du Sud ont un peu perdu de leur attractivité tout comme ceux du Bassin parisien, désormais déficitaires, la nouveauté est celle d’une tendance à la redensification puisque ce sont les centres-bourgs et centres-villes qui attirent les nouveaux arrivants, même dans les zones rurales. Le phénomène d’ampleur – excepté le cas de la côte Ouest toujours croissante – est donc celui d’une atténuation du mouvement interdépartemental aux profits des recompositions intra-départementales. Dans les départements les plus attractifs (Ouest et Sud-ouest), ce sont le plus souvent les espaces urbains, et plus particulièrement les villes-centres – au sens de la définition de l’Insee, c’est-à-dire des villes concentrant plus de 50 % de la population d’une unité urbaine – qui captent la plus grande partie des arrivées. Ainsi, en France et plus encore dans l’Ouest, les villes attirent plus que jamais, jouant leur rôle d’interfaces de transition résidentielle, concentrant à la fois les flux d’arrivées et de départs les plus importants, en particulier dans les départements bretons.
Toutefois, ce panorama général cache dans une large mesure, les fortes disparités sociales propres à ces mouvements. Ainsi, du côté des mobilités, il efface le clivage qui s’accentue nettement entre des mobilités de populations « jeunes », très urbaines, qui sont celles de cadres, et qui se font principalement en direction des grandes agglomérations, et, de l’autre, les mobilités de familles avec enfants, de plus en plus périurbaines et lointaines.
Les données du nouveau recensement permettent ainsi d’établir une photographie de la population française comme celle présentée ici (cf. cartogramme) et de retracer de manière plus fine l’évolution entre deux recensements (1999-2006). Il est intéressant de considérer l’évolution et pas seulement son résultat : cela peut permettre d’esquisser – tout en restant bien sûr dans les limites de l’interprétation – les traits d’une possible évolution.
En termes de méthodologie, cette cartographie se base sur l’analyse de l’éloignement (« l’étalement des espaces habités ») en s’appuyant sur la cartographie « classique » et l’analyse de la population sur les cartogrammes. Elle est assez instructive quant à la confirmation de tendances anciennes et l’émergence de nouvelles qui doivent être mises en perspective au regard des deux séquences qui les précèdent : les périodes de 1975 à 1990 et la période intercensitaire 1990-1999.
Rappelons qu’entre 1975 et 1990, le mouvement avait deux principales caractéristiques : une déconcentration des centres-villes et une croissance suburbaine assurée par une première couronne de communes à forte expansion, germes d’une périurbanisation incomplète puisque l’éloignement de l’agglomération-centre reste en général assez faible.
Puis, entre 1990 et 1999, le mouvement s’est complexifié. Si les centres urbains ont retrouvé une attractivité, cette première couronne, qui forme désormais un tissu urbain continu depuis le centre des agglomérations, s’est mise à montrer des signes locaux de tassement de sa population: dans l’agglomération de Nantes, les populations d’Orvault ou Rezé ont baissé à la différence des autres communes limitrophes; à Rennes, seule la commune de Saint-Jacques-de-la-Lande est dans ce cas. Une diffusion beaucoup plus lointaine s’est amorcée et c’est le phénomène proprement dit de périurbanisation qui explose alors. La situation de la population, lors du recensement de 1999, a été bouleversée au point de modifier considérablement le regard posé jusque-là sur le monde urbain; l’Insee change ainsi sa définition: des ZPIU qui couvraient la quasi-totalité des communes françaises, on est passé aux ZAU, certains observateurs allant jusqu’à conclure à une diffusion généralisée du fait urbain sur le territoire national.
C’est l’accentuation de tendances diamétralement opposées qui domine aujourd’hui. Entre 1999 et 2006, cette dynamique s’est très largement poursuivie voire emballée: dans l’ensemble des deux régions, Pays de Loire et Bretagne, aucun département ne perd de population à la différence de la dernière période intercensitaire où – limite orientale extrême du Grand Ouest – le Berry par exemple était négatif.
Première tendance, donc, entre 1999 et 2006: un accroissement de la population qui est de deux ordres. Il est d’abord côtier, la Vendée s’illustrant, en ce sens, par le taux d’augmentation le plus fort des deux régions. Il est par ailleurs toujours davantage périurbain: tout en poursuivant le mouvement déjà actif dans les années 1990, il l’étend désormais à des espaces ruraux en déclin il y a peu (le Haut-Bocage autour des Herbiers). Faible en masse de population, la nouveauté de ce mouvement est surtout constituée par son éloignement de plus en plus affirmé du centre-ville des agglomérations régionales, comme l’illustre le cas de la région de Blain (les landes du nord de la Loire-Atlantique), bien reliée à Nantes, Redon, Châteaubriant voire Rennes.
Puis, à l’opposé, du côté des espaces en déclin, deux types de zones se repèrent. Le premier concerne les zones rurales de confins du Grand Ouest à l’image du Pays de Mervent (Vendée et Deux-Sèvres), de Pouancé, du sud de la Touraine, et surtout de la diagonale Vire – Flers – Argentan – Alençon – L’Aigle qui circonscrit de manière particulièrement nette l’urbanisation sur un flan oriental. On y retrouve cette tendance pointée par l’Insee de dévitalisation continue du « rural profond » engagée après la seconde moitié du siècle dernier.
Le second type est beaucoup plus surprenant : il est constitué par des espaces en déclin localisés dans les périphéries suburbaines des agglomérations, à l’exception très significative des villes de l’arc atlantique (Nantes, La Roche-sur-Yon…). Ainsi des communes limitrophes de Tours ou Angers perdent de la population. Même des coeurs d’agglomérations sont touchés comme au Mans, Chartres ou Blois. Cette évolution de la première couronne n’est pas sans rappeler le déclin connu par les centres- villes, avec un décalage temporel d’une trentaine d’années : est-ce une « crise de croissance » de la densité de population? Une conséquence du renchérissement des coûts du foncier (« gentrification » des communes proches, telles que Vezin-le-Coquet ou Chantepie, à Rennes)? Ou encore le résultat de nouvelles politiques d’urbanisme, plus fermes dans le contrôle de l’urbanisation? Sans doute un effet multifactoriel de l’ensemble.
Plus que jamais la mobilité et l’accessibilité, son corollaire, apparaissent donc comme le moteur de la construction des territoires, en particulier dans le Grand Ouest. Cette réalité-là, qui est devenue une donnée majeure de la manière dont les territoires sont aujourd’hui habités, aurait dû s’estomper sous l’effet de l’augmentation des coûts du transport, de la récession économique, etc. Or, c’est tout l’inverse qui semble bien se profiler et, déjà, se confirmer. Une seconde étude de l’Insee vient ainsi de montrer comment la mobilité explose dans cette même période, quitte à se faire dans les agglomérations au détriment de la voiture et au profit des nouvelles mobilités. L’Ouest, et donc Rennes et Nantes, n’ont donc pas fini de « bouger ».
Dès lors, la confirmation de cette tendance est une variable déterminante à considérer dans le cadre d’une prospective territoriale. En ce domaine, l’heure est actuellement aux réflexions sur le « Grand »: Lyon, Marseille et surtout Paris, s’interrogent de plus en plus sur les évolutions à long terme de leurs « grandes échelles » de territoire; il ne paraît donc pas absurde que le Grand Ouest s’y mette à son tour. Or, les nouvelles logiques habitantes qui ont été soulignées révèlent notamment trois types d’espaces caractéristiques (ou « géotypes ») traversés par des enjeux différents d’aménagement, qui pourraient à terme interpeller une telle réflexion.
Un premier géotype, pas nouveau, est constitué d’agglomérations globalement équilibrées en volume absolu de population (Brest, Nantes, Rennes, Angers, LeMans), suivant un modèle suisse, par exemple, dans lequel aucune agglomération ne domine véritablement l’autre, ouvrant vers une logique de métropolisation réticulaire (non une « méga-métropole », mais un ensemble urbain équilibré d’agglomérations d’envergure comparable fortement reliées et complémentaires).
Bien plus novateur quant à l’organisation spatiale, le second géotype se détache des associations intermédiaires constituées, le plus souvent « par la force des choses » plus que par le jeu des institutions. C’est le cas des modèles de Rennes/Saint-Malo et Nantes/Saint-Nazaire, dont on connaît par ailleurs largement l’effet de miroir. Pourtant, ces deux ensembles – et les analyses de l’Insee le confirment magistralement – sont moins révélateurs et porteurs de mutation par leur « association » (somme de deux agglomérations) que par les logiques linéaires qu’ils entraînent, les systèmes de flux, d’échanges et de mobilités que produisent leur « entre-deux ». Ces systèmes, à fortes connexions croissantes et de plus en plus organisées (par covoiturage, ou système rapide de transport collectif) ouvrent quant à eux vers le complément d’un ensemble métropolitain par une logique de métropolisation linéaire, fondée sur la continuité et la connexité.
Un troisième géotype, enfin, concerne précisément ces espaces en croissance, et lointains, échappant donc aux bénéfices de la proximité, à l’image des disséminations périphériques de Dinan, Dinard, les Herbiers, Clisson ou Challans, par exemple. Leur situation d’éloignement – qui les rend a priori plus vulnérables et devrait donc les situer au coeur des préoccupations de l’action publique – demanderait moins des interventions visant à mieux les « raccorder » aux centres existants qu’à y développer ou y renforcer les offres urbaines intermédiaires qui leur manquent. Cela pourrait ouvrir à terme sur une logique de métropolisation aréolaire, fondée sur la proximité et ses associations de proche en proche. Trois logiques, au final, complémentaires, et derrière lesquelles semblerait bien se profiler le système territorial présidant aux relations des villes de Rennes et de Nantes…