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Contributions
#17
De l’asile psychiatrique
à l’asile artistique
RÉSUMÉ > Psychologue, Dominique Launat est une figure de l’hôpital psychiatrique. Depuis plus de trente ans, il tente d’y débusquer la culture, de créer des liens, de susciter des aventures. Des aventures de musique, de chants, de peinture ou de graff ! Rencontre avec un homme passionné qui, grâce à l’art, veut réaccorder le malade avec le monde et la ville avec le malade.

PLACE PUBLIQUE> Expositions dans les serres ou l’hiver dernier au musée des beaux-arts : l’hôpital sort dans la ville, investit les galeries, ouvre ses portes aux artistes. Tout ça pour quoi ? 

DOMINIQUE LAUNAT > Pour montrer que l’hôpital psychiatrique n’est certes pas un lieu comme les autres mais qu’il est important que ce lieu soit là, dans la ville. Tout ça pour montrer, tranquillement, que ce lieu de la ville est important et qu’il est important que les « fous » aient un lieu.

 

PLACE PUBLIQUE > Après la dix-septième semaine d’information sur la Santé Mentale organisée récemment à Rennes sur le thème Culture, Société et Santé Mentale, qu’en est-il de cette question dans notre département et singulièrement à Rennes ?

DOMINIQUE LAUNAT >
Rennes a été sans doute pionnière en France, prévoyant dès 1983 une Quinzaine qui se déroula deux ans plus tard. Cette quinzaine visait à remailler la ville avec cette question de la folie. L’idée a abouti à cette plate forme nationale lançant chaque année une nouvelle thématique. Le collectif organisateur rennais comptait au départ 8 acteurs, aujourd’hui le tour de table en dénombre 35 ! C’est dire si le programme est riche. La ville de Rennes stimule, finance et participe à la réflexion. Durant ce mandat, l’élu Le Bougeant en charge du dossier a sorti la question psychiatrique du Comité local de prévention de la délinquance, ce qui est très heureux et a délégué une administrative de la ville, Françoise Tyrant, pour soutenir et promouvoir la dynamique. La citoyenneté du malade bouge à Rennes. Il y a eu le Conseil rennais de santé mentale créé en 2009 ; ou encore en 2012 grâce à la signature d’une convention Ville de Rennes/ Métropole/Guillaume- Régnier concrétisant l’intérêt culturel commun et la mise à disposition d’outils (Champs Libres, Musée, etc.). L’asile artistique dont se pare l’Aire Libre de Saint- Jacques avait depuis longtemps rejoint l’asile psychiatrique pour créer des stages entre professionnels, patients, comédiens, chorégraphes ou metteurs en scène. Pour sortir des plannings et s’efforcer, malades et soignants, de vivre ce que je nomme des aventures !

PLACE PUBLIQUE > Concrètement, comment l’art vit-il à l’hôpital de Rennes, au Centre hospitalier Guillaume-Régnier ?

DOMINIQUE LAUNAT >
Par exemple, un patient s’est adressé il y a quelques temps à l’infirmière en souhaitant faire du graff. L’infirmière a fait appel à la Commission culturelle. Celle-ci a organisé une conférence avec film et démonstration de Hip Hop et ensuite l’intervention d’un graffeur. Un mur près du réfectoire a été graffé mais la suite est inattendue : lors d’une livraison une entreprise admire le mur et passe commande ! L’hôpital a été capable de se transformer en prestataire artistique ! Dépassant toutes les questions de responsabilité et autres arguments assurantiels, le malade, avec quelques autres, a peint un mur d’une entreprise de la route de Lorient !

PLACE PUBLIQUE > D’autres exemples ?

DOMINIQUE LAUNAT >
Si un patient peut être à l’initiative, une autre fois, ce peut être un jardinier qui invite à utiliser les serres comme un lieu de création. Et cela donne l’expo « Effets de serre » qui a permis à tous de se mieux connaître, les usagers bien sûr, mais aussi les personnels, sans hiérarchie ni blocages statutaires. Ainsi un des personnels des services techniques, théâtreux amateur, est-il différemment considéré, et donc tous les services techniques de l’hôpital, lorsqu’une initiative est prise de se rendre au festival à Breteil où il est acteur. Des vidéos-clips, des CD ont été réalisés, redonnant du sens social au malade et de la cohésion aux équipes qui les entourent. C’est après Travelling Buenos Aires et la diffusion d’un film sur une radio créée au sein de l’HP brésilien qu’une idée a fait son chemin à Rennes. Désormais, un dimanche sur quatre à 10 h 30, Radio Campus diffuse l’émission mise en bobine avec les malades de l’Atelier Radio Décalé. Une réussite totale bientôt sur l’intranet de l’hôpital et espérons-le à terme sur l’extranet !

PLACE PUBLIQUE > Que reste-t-il de cette aventure en art après qu’elle a été vécue ?

DOMINIQUE LAUNAT >
Le temps de l’hospitalisation n’est qu’un temps dans la vie du malade. Il poursuit ensuite le soin chez lui, dans les CATTP ou à l’Autre Regard, créé en 1986 dans la foulée des besoins exprimés lors de la première Semaine de Santé Mentale ! Un malade continue d’écrire dans le Journal de l’Hôpital trente ans après son hospitalisation, il visite des expositions, revient avec des articles, c’est notre envoyé spécial ! La culture pose les questions plus qu’elle ne propose des réponses. L’art étonne, surprend, désarçonne, interpelle au plus sensible. L’artiste a du fou en lui et interroge notre folie à tous. La culture force à des gestes imprévus ! Formidable que le CHGR ait réussi à signer une convention avec l’Élaboratoire pour créer une exposition en 2009. L’art force les protocoles à sauter, fait valser les procédures. Le soin demeure mais s’ouvre et l’hôpital en reste baba ! L’infirmière de l’Envol n’est plus seulement là pour doser la méthadone mais pour surveiller une expo dont les oeuvres sont celles d’un malade ! Le regard change forcément sur la maladie ! Et le regard du malade sur ceux qui le soignent et le lieu où ça se passe.

PLACE PUBLIQUE > Que produit chez le malade cette effraction de l’art ?

DOMINIQUE LAUNAT >
Ce que je nomme un trauma positif ! Au lieu que le traumatisme entraîne son lot de repli, de déni et d’angoisse, le surgissement de l’art, la surprise, l’aventure de la musique, de la forme ou d’une rencontre avec la chorégraphe, cela provoque une sorte de traumatisme mais à l’envers ! Il s’agit de quelque chose qui force dans l’intime et oblige à penser. Rien de moins qu’un choc ! Lequel fait perdre les pédales et peut réaccorder le malade avec le monde.

PLACE PUBLIQUE > C’est du soin, alors ?

DOMINIQUE LAUNAT >
Sûrement, même si ce sont des budgets culturels qui viennent abonder l’intervention et non plus des crédits de la Sécu. La culture au Centre Guillaume-Régnier s’est élaborée collectivement depuis trente ans, au sein du Centre Socio Culturel qui ne fait pas que gérer la cafétéria mais participe aussi à la commission culturelle mensuelle. On peut s’y retrouver à trente ou quarante : malades, soignants et autres professionnels de l’hôpital, étudiants de Rennes 2 ou artistes et responsables de lieux ou d’associations culturels ! Cette commission est centrale dans la dynamique parce qu’elle est l’émanation des soignants de terrain, ceux qui vivent et vibrent au quotidien avec les malades. Les médecins et la hiérarchie ont toujours été garants de ce qui s’y passe mais ce n’est pas eux qui sont à la commande.

PLACE PUBLIQUE > Il s’agit donc à la fois de soin et de social ?

DOMINIQUE LAUNAT >
C’est de la culture ! Qui ouvre l’hôpital, le force à renoncer à ses procédures sans quitter sa priorité de soin. L’art amène une autre temporalité et une autre spatialité. L’hôpital s’ouvre et les malades sortent. Il y a le temps pour l’isolement, pour la contention même, parfois hélas, et il y a le temps de l’oeuvre d’art, de la musique, de la danse. Le temps de l’aventure ! Les bibliothécaires du département sont formées à faire avec le cri soudain d’un malade qui rompt l’usage silencieux d’un lieu de lecture. Il y a les malades qui vont lire aussi pour être au chaud dans les bibliothèques du département.

PLACE PUBLIQUE > Est-ce que l’idée de cette place à la culture progresse, selon vous ?

DOMINIQUE LAUNAT >
Pour la première fois cette année, la Semaine de Santé Mentale n’a pas été inaugurée à l’extérieur du CHGR mais à l’intérieur même, c’est un signe de cette circulation à laquelle la culture invite : une liberté née de cette tension entre ce lieu très particulier de l’hôpital, cette particularité des patients et la commune aspiration de tous à la créativité de soi. La ville de Rennes est impliquée, la métropole aussi mais c’est tout le département qui ainsi se rend disponible aux folies douces de l’art! L’art aide au franchissement d’une crise, d’un moment dur, d’une expérience addictive. Ce sont des authentiques affranchissements qui ont autant d’importance et d’impact quel que soit le citoyen et quelle que soit sa place dans la cité !