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Contributions
#17
RÉSUMÉ > Nous poursuivons notre rubrique de flânerie subjective à travers les rues de Rennes. En se baladant, Gilles Cervera capte des détails. Des détails qui n’en sont peut-être pas…

     Métro, boulot, dodo. À Rennes, le fameux triptyque de notre absurdité autant que de notre modernité aurait dû et pu se rimer autrement : Val, dévale, remballe ! Non point ! Chaque voyageur entrant en gare de Rennes depuis Brest, sur le remblai d’après le Pont de Nantes, en a donc plein les mirettes quand il regarde plein nord. C’est un pignon qui lui dévoile ce qu’il sait, ce à quoi il s’est résigné, avec quoi il compose. Des inconnus ont escaladé à grand risque cette façade ou écrit à l’envers depuis son acrotère une signalétique à lire depuis le haut des rails ou le bas du boulevard du Colombier : Le « TRAIN TRAIN QUOTIDIEN » dont on ne sait pas s’il nous tient, nous retient, nous contient, nous convient ou nous disconvient. En slogan arraché au ciment, plus sûrement disconvient-il !

     Ce pignon ouvragé, finissant un immeuble en pointe, où est-il enfoui ? Comment le trouver ? Plutôt nord, encore centre, inclus dans un cadastre serré que le Canal Saint-Martin connaît. Ces toits-là, ce campanile, mieux connu, vite reconnu. Sous la colline du Thabor, à son pied ! Et encore plus près, cette villa palatine. On se dirait à Clisson, à la Garenne Lemot où les architectes du cru ont créé de toute pièce un paysage, tordu les pins et refondé à l’image de la ville éternelle un parc où Romulus et Remus auraient pu, entre deux Sèvres, téter la louve ! Revenons sur les rives de la Vilaine, moins torrentueuses que celles du Tibre !

     Un immeuble en cours. Loin d’être livré. En cours de bardage, avec film en plastique traversé de courant d’air, coupé au cutter ou livré aux notes. Leur musique est étrange, sifflant fort quand ça vente. Son aspect est d’ailleurs : ses rideaux translucides créent un moucharabieh. Est-ce une étude in vivo pour architectes souples. Est-ce inspiré des volières ou voué à Hitchcock ? C’est un état du gros oeuvre. La ville va l’englober, le débarrasser de ses emballages. Bientôt, un immeuble standard dans le ni vu ni connu des quartiers en cours de densification !

     Une minuscule maison désormais cernée. La ville se monte du col, s’étage, densifie ses quartiers, crée en façade de rues des rideaux d’immeubles. La petite maison résiste pour combien de temps? Avec son numéro bien écrit pour elle toute seule et son panneau interdisant le stationnement. Son vieux sapin de noël est devenu grand, Pif ou pas ? Faire le tour à présent de sa clôture à l’ombre des séries de 7 ou 8 étages qui l’entourent? Pour combien de temps ? Voyant cette maison et son terrain vague devant, bientôt construit, je pense à Signoret et Gabin…

     Est-ce un rituel festif ? Est-ce un marquage initiatique ? Est-ce un jeu bête ? Est-ce une concurrence déloyale aux hirondelles en mal de fil ? Est-ce une simple petite provoc ludique et fildeférisée ? Est-ce enfin un sacrilège, une chausse trappe extravagante ou une démonstration anti-EDF? J’ai interrogé les spécialistes, les jeunes aussi, cette tribu étrange. J’ai posé la question à quelques sociologues ou autres spécialistes des pompes ou du hors sol : pas de réponse claire.

     Accroché à un fil, modestement. Il fallait y penser. Pas de clou en façade, pas de trou dans le mur et voilà ! Le numéro de l’immeuble tient à un fil, il ne fait pas masse, il fait un relief, une plaque d’émail, un chiffre qui sourit, au facteur, au visiteur, à moi qui passe en dessous !

     Coin de la rue Borderie et place Hoche : le caoutchouc, la galvanisation, les huiles de vidange, la sciure jetée dessus qui sèche. Sur le Mail ou quai Saint-Cast, avenue Aristide-Briand aussi, l’odeur d’essence des stations services. Rue de Dinan : l’encre des linotypes, les ramettes de papier quand elles étaient livrées. Rue de la Monnaie ou rue de Paris, en fond de cour, l’odeur de l’encre. Rue de Dinan, les copeaux, les billes de bois qui sèchent à l’aplomb des remparts. Au bas du lotissement des Mottets, rue Le Braz, une petite épicerie avec ses cageots de fruits posés devant ou rue Danton !

     Rue Maréchal Joffre : les frites. La graisse fondue, rue de Penhouët. Les big et super big sur la Dalle. Au marché de Zagreb, le samedi, la coriandre. Le dimanche soir, carrefour Saint-Hélier ou au cimetière de l’Est, les galettes saucisses ! La ville sentait et sent toujours la pisse sous le Passage du Commerce et aussi sous celui des Carmélites. Aux prairies Saint-Martin, l’été, identique aussi, le soir l’odeur forte des grillades et le matin, celle de la rosée.