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Dossier
#17
RÉSUMÉ > Les cités-jardins françaises des années vingt sont une sorte de prélude aux grands ensembles, ces regroupements à caractère social qui dépassent les 500 logements et qui fleurirent après-guerre. Ces grands ensembles doivent aussi beaucoup à l’influence américaine et à celle de Le Corbusier. Question : comment ce creuset supposé d’une société nouvelle et égalitaire en est-il venu à polariser les tensions sociales ?

     Toute recherche sur la naissance des grands ensembles français conduit à s’interroger sur l’origine d’une forme urbaine en rupture avec l’ancienne diversité paysagère de la ville, mais aussi sur la place des utopies dans la pensée urbaine. Elle s’inscrit dans la complexité pour autant que ces ensembles résultent de réflexions croisées, comme celles qui ont conduit à la définition du logement social à partir des cités ouvrières, ou celles qui ont engendré de véritables fondations urbaines en s’appuyant sur une esthétique architecturale adaptée ou non au logement du plus grand nombre. La forme même des « tours » qui ont fleuri avec les barres dans les années 1960 n’est pas étrangère à celle du gratte-ciel américain, mais elle résulte d’un long processus d’adaptation et de recontextualisation.
     Pour mémoire, on rappellera que l’expression « grand ensemble » entre en concurrence dès les années 1930 avec l’appellation plus expressive de « gratte-ciel de banlieue », ou de « gratte-ciel d’habitation » reprise des États-Unis. Elle est parfois confondue après 1945 avec les notions plus globalisantes de « cité nouvelle », de « ville neuve », de « ville-satellite » ou, tout simplement, de « ville nouvelle ». Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, le grand ensemble n’a pas de définition juridique en France : il ne désigne pas un mode d’édification, mais plutôt une forme urbaine caractérisée par un regroupement de barres et de tours sur un espace soumis aux règles du zonage.
     Du point de vue quantitatif, c’est le seuil des 500 logements qui est généralement retenu dans la mesure où il correspond au seuil minimal nécessaire pour la programmation d’une ZUP après 1958. Nous considérerons ici que le grand ensemble se définit à partir de cinq critères : la rupture introduite avec le tissu ancien, la forme (tours et barres), la taille (plus de 500 logements), le mode de financement (aides de l’État) et la globalité de la conception. La localisation périphérique, majoritaire pour la région parisienne, ne saurait constituer un critère général puisque plus de la moitié des grands ensembles de province ont été construits en situation centrale ou péricentrale.
     Dans un premier temps, nous montrerons en quoi les cités-jardins à la française sont emblématiques d’un mouvement qui conduira à un habitat social de masse et à des constructions imposantes. Dans un deuxième temps, nous verrons quelles ont été les influences américaines dans les formes qui ont été développées par les urbanistes et les architectes des grands ensembles, avant de rappeler l’influence décisive, mais non exclusive, de Le Corbusier.

La cité de Drancy (1935) : un dévoiement

     Après les cités ouvrières et les habitations à bon marché, les cités-jardins à la française construites dans les années 1920 comportent non seulement des villas, mais un nombre important de petits immeubles collectifs en écho aux sollicitations du « Mouvement moderne ». À la différence de l’Angleterre, les lignes rectilignes s’imposent face aux courbes et le principe de la relation à la nature comme facteur de développement social n’apparaît pas totalement décisif. La cité-jardin de Suresnes, construite à l’ouest de Paris, comporte par exemple 2 327 logements collectifs et 173 pavillons individuels.
     La cité de La Muette érigée en 1935 à Drancy par Lods et Beaudouin constitue le meilleur exemple du détournement des théories initiales, tout en étant présentée comme l’idéal-type de la « cité-jardin verticale ». Celleci devait se composer d’un premier ensemble de dix barres parallèles en peigne reliées entre elles par cinq tours de cinquante mètres de hauteur, d’un second ensemble en redan, d’un troisième groupe de trois barres en U, et enfin d’un quatrième ensemble permettant de clore le mail. Mais cette opération, présentée comme révolutionnaire, est victime de la crise économique à telle enseigne que le gouvernement affecte en 1938 une partie de l’ensemble aux compagnies de gardes mobiles de Paris. Détournée de ses intentions sociales, la cité de la Muette est ainsi devenue le premier grand ensemble de la région parisienne, ensemble tragiquement célèbre puisqu’il servira de camp de rassemblement des juifs pendant la guerre.

     Les «gratte-ciel» situés au centre de Villeurbanne, à l’est de Lyon, annoncent aussi à leur manière ce que seront les dispositifs qui présideront à la construction des tours après la guerre. Cette oeuvre spectaculaire qui souligne les intentions sociales de la municipalité (« changer la ville pour changer la vie ») comprend trois ensembles : six groupes d’immeubles avec deux gratte-ciel de dix-neuf étages, l’hôtel de ville et le Palais du travail. Sa conception résulte des principes énoncés pour la réalisation des cités-jardins : hygiène, rationalité, esthétique et économie.
     À partir de 1952-1953, de puissants moyens techniques, financiers et législatifs seront mobilisés. La conjonction d’une volonté politique et d’une planification cohérente fera alors du logement « une tâche impérative ». La guerre avait popularisé le modèle américain, mais le rôle que les États-Unis ont joué dans le domaine de l’architecture et de la conception urbaine est bien antérieur en réalité.

À l’origine, une fascination pour l’Amérique

     Dès la fin du 19e siècle, on a pu observer, d’une rive de l’océan atlantique à l’autre, une série de transmissions qui ont légitimé la construction massive d’ensembles de logements, mais aussi l’élaboration de véritables projets de ville. Toute proportion gardée, l’effet monumental qui était réservé à la fin du Moyen Âge au pouvoir religieux avec l’église et son clocher, au pouvoir militaire avec la forteresse et son donjon, ou encore au pouvoir municipal avec le beffroi, se manifeste au 20e siècle avec le gigantisme des gratte-ciel et la puissance des grands ensembles, ceuxci étant devenus en quelque sorte « une affaire d’État ». Qu’on ne s’y trompe pas : les gratte-ciel américains sont au début le produit d’une vision anticonformiste, alors que les grands ensembles, construits «en série» dans les années 1960-70, se révèlent bien vite d’un conformisme radical n’hésitant pas à aligner des dizaines de barres et de tours dans la linéarité du chemin de grue.

     Pour préciser les choses, il est nécessaire de faire retour sur un passé plus éloigné et de se référer aux exemples étrangers. On voit ainsi qu’entre 1890 et 1930, une ambition totalisante anime aussi bien les ingénieurs américains que les architectes germaniques qui semblent les plus novateurs en Europe. Leur objectif final est de créer une ville parfaitement proportionnée. L’immeuble collectif est plébiscité : il apparaît pour eux comme un pion posé sur un damier renouvelé dans ses articulations et ses circulations. Cette ville idéale ira jusqu’à corriger les errances urbanistiques de Manhattan, pourtant symbole de la modernité américaine : « Imaginez que, par un coup de baguette magique, nous puissions recomposer les gratte-ciel de New York en les rendant uniformes tels des piliers magnifiques et parfaitement proportionnés pour les regrouper de façon à réaliser une sorte de temple merveilleux et impressionnant au coeur de la City (…) », s’exclame Richard Paget au congrès de Londres sur la planification urbaine en 1910.
     La majesté de l’ordonnancement est sans doute un défi pour l’homme, mais c’est aussi un défi lancé aux dieux ! Symboliquement, dans sa confrontation avec le ciel, le gigantisme de la tour célèbre le progrès après avoir glorifié les princes. Les normes architecturales classiques sont rejetées au profit de la transparence et de la « multicellularité ». En somme, par une surenchère de techniques toujours plus audacieuses, il s’agit de transgresser l’ordre ancien et de retrouver les voies de la liberté.
     Précisément, si l’on met à part leur caractère luxueux et leur fonction de service (bureaux, hôtel, commerce, administration), les gratte-ciel américains ne sont pas étrangers aux préoccupations des architectes européens, ne serait- ce que par les critiques dont ils font l’objet. La tour de grande hauteur souligne en effet les problèmes posés par la lumière, l’aération et la congestion des agglomérations.

     Après avoir comparé la Tour Eiffel aux gratte-ciel, le grand architecte français Auguste Perret se demande à la même époque s’il est possible « de concevoir toutes les maisons d’une cité moderne semblables à celle-là (la tour Eiffel) et encore plus développées vers le ciel ? ». En 1920, dans L’Intransigeant, il va jusqu’à déclarer : « Voici la cité que je me plais de concevoir. Des avenues de 250 mètres de large et, de part et d’autre, des maisons qui touchent aux nuages, des tours si vous voulez, des blocs espacés communiquant entre eux par des passerelles… ». Perret fait ainsi dessiner un projet de gratte-ciel pour l’axe « Paris-Saint-Germain » à partir des anciennes fortifications : ces gratte-ciel, conçus pour l’habitation et non pour les bureaux, s’étalent en bordure de voies, selon le principe de la séparation des circulations. Mais le dessin des tours est ici de style néo-classique et le plan d’ensemble contient une critique explicite de l’organisation américaine. Perret condamne « l’erreur des gratteciel américains, tout à fait illogiques dans des avenues trop étroites ». Dans la pratique, ses tours auront un plan cruciforme (que l’on retrouvera dans les années 1960-70) afin que la lumière « se répande à flots dans tous les appartements ».
     Aux États-Unis, la conception d’une ville idéale ne vient pas seulement de New York, la ville-phare. L’architecte Louis Henry Sullivan remet en question le plan en damier et fait adopter à Chicago le principe de la construction en hauteur dès la fin du 19e siècle. La guerre de 14-18 renforce le désir des Américains de faire l’expérience d’une vie nouvelle. Il s’agit en somme de sortir de la folie des hommes en exposant ce qu’ils peuvent faire de meilleur. Le saut doit être qualitatif et quantitatif. Il faut viser à l’universalité pour traiter l’habitat des masses humaines. Autrement dit, la nouvelle pensée sur la ville résulte d’une vision de démiurge et d’une idéologie centrée sur la régénérescence sociale par l’habitat. L’ouvrage de Victor Cambon intitulé « Etats-Unis- France, comment un peuple grandit » se fait en quelque sorte l’écho de cette conception nouvelle.

     Il s’agit de trouver une expression monumentale qui soit sans ambiguïté et directement convaincante avec des formes autonomes et claires. Ce faisant, les architectes américains se situent dans la continuité des penseurs germaniques comme Gropius, ou Hilberseimer qui dessine en 1924 une ville verticale « Hochhausstadt » de 120 îlots uniformes pour un million d’habitants. Ces derniers auront leur lieu de travail dans les niveaux inférieurs et leur appartement dans les niveaux supérieurs. La séparation des circulations sera rigoureuse et l’ancien éparpillement des maisons particulières sera remplacé par une masse de chambres entièrement équipées.
     Mais ce message rationaliste s’il est adapté aux gratteciel de bureau s’avère mal adapté à des logements destinés à des catégories modestes. La « nouvelle donne » (New Deal) promise en 1933 par Roosevelt doit passer par une politique fédérale du logement, ce qui semble alors totalement contraire à l’esprit américain. C’est dans ces conditions extrêmes que l’Amérique se tourne vers l’Europe. L’architecte américaine Catherine Bauer tente ainsi de faire comprendre à ses compatriotes la spécificité de l’habitat social européen. Elle leur décrit les expériences de Francfort, les cités Törten (à Dessau) et Siemensstadt (à Berlin) conçues par Walter Gropius. Elle rend compte aussi de la cité de la Muette construite avec des procédés de préfabrication novateurs. Finalement, Catherine Bauer montre aux Américains qu’une nouvelle architecture (Neues Bauen) est en train de naître en Europe en prenant en compte la réponse immédiate aux besoins de logement de la société industrielle.

     Après la Seconde Guerre mondiale, pour répondre à la gigantesque crise du logement du pays, les Français vont relire à leur tour les expériences américaines, en particulier celles qui ont servi pendant la guerre à assurer un logement provisoire aux soldats ou aux populations déplacées. À certains égards, les grands ensembles français apparaissent comme un succédané des constructions industrielles et des habitations de fortune américaines pour temps de guerre. La vue aérienne des écoles d’aviation américaines construites pendant le conflit impressionne l’architecte Marcel Lods : « Les écoles d’aviation sont de pures merveilles et leur aspect, vue d’avion, exprime toujours une clarté de plan magnifique. Les pistes, le logement des élèves, celui du personnel, les hangars aux avions, les terrains de sport, le tout noyé dans la verdure, donne, vue de 2 000 mètres, une splendide impression d’ordre, de clarté d’esprit et d’élégance du problème résolu. »
     Il reste que la machine industrielle qui produira les grands ensembles n’est pas encore mise en place en 1952, même si les effets du Plan Marshall commencent à se faire sentir. Dans le Plan Monnet de 1947, le logement est sacrifié au profit de l’industrie lourde et il faudra attendre le 3ème Plan pour que le logement devienne une priorité nationale. C’est ce retard qui va conduire la France à accélérer sa production et à la concentrer sur un temps très court. La plupart des grands ensembles sont bâtis en effet pendant une période de vingt ans, de 1955 à 1975, et ils reprennent en partie l’équation américaine : pragmatisme, massivité, économie, temps court d’utilisation, simplification des matériaux et préfabrication dans un contexte de rareté de la main d’oeuvre. Après avoir bénéficié des importations américaines, la France crée progressivement ses propres filières productives. On passe alors à une normalisation typiquement française et à un champ technique autonome de l’Amérique où Le Corbusier garde une place qui n’est pas négligeable, mais qui est loin d’être unique.

     Depuis les années 1980, il existe une rhétorique, plus ou moins accusatrice, qui attribue à Le Corbusier la paternité des grands ensembles. La réalité est bien différente. Déjà les positions du grand architecte sont ambiguës vis-à-vis de l’Amérique et des gratte-ciel puisqu’elles procèdent tout à la fois de la fascination et de l’aversion. Certes, la cité de la « Ville contemporaine » dont Le Corbusier développe le projet en 1925 découle d’une analyse soignée des villes américaines : elle comprendrait ainsi un ensemble de gratte-ciel de 200 mètres de haut, mais ces derniers seraient reportés au second plan de la vision en étant situés très en retrait des axes de circulation. L’objectif est d’en finir avec l’étouffement et la noirceur des rues-corridors de New York.
     En fait, pour Le Corbusier, le gratte-ciel est à la fois un modèle et source de difficultés. S’il a l’inconvénient d’assombrir la rue, il permet de libérer un très grand espace au sol. Il n’occupe en effet que 5% de la surface de la parcelle ; le reste est planté et sert de poumon vert à l’ensemble. En même temps, la forte densité du gratteciel (3 000 habitants à l’hectare en moyenne) permet de réduire les distances et d’assurer la rapidité des communications. Ce faisant, Le Corbusier emprunte une partie de ses réflexions à Auguste Perret. Épurant la forme des gratte-ciel, il déclare cependant que Perret pense « en allée » et non en plan… Outre le plan « Voisin » de 1925 conçu pour la capitale parisienne, il propose une construction de gratte-ciel en 1931, à l’occasion du concours d’idées qui a été lancé pour l’aménagement de la « voie triomphale » de l’Étoile à La Défense.
     Même s’il admire le phalanstère de Fourier, Le Corbusier se défend de se placer sur le plan de l’utopie. Pour lui, ce serait aller contre l’histoire que de refuser l’adaptation des modes de vie aux réalités nouvelles en ignorant l’avènement de la société machiniste.

     Paradoxalement encore, alors qu’il se dit résolument moderne, Le Corbusier ne cesse de mettre l’accent sur le rôle des anciennes circulations et sur les relations qui s’établissent à l’intérieur même du territoire urbanisé. Il considère que l’urbaniste n’a pas la liberté de déplacer le centre de gravité des métropoles: ce centre en effet dépend directement du réseau des cheminements et des relations sociales fondées sur la géographie et nourries par l’histoire. Tout déplacement du centre mettrait en cause les anciennes continuités et la vocation maîtresse de la ville. C’est la raison pour laquelle le Plan Voisin, iconoclaste par ailleurs, rejette toute hypothèse qui tendrait à désaxer Paris. Il s’agit d’abord, pour le concepteur des « cités radieuses », de renouveler les espaces de circulation et les volumes bâtis par un agencement subtil de tours et de barres. À la trame unique des rues anciennes, il s’agit de substituer un système classé suivant les « contenus » et formé de plusieurs trames superposées susceptibles de suivre l’évolution des besoins de l’homme.

     Il n’en reste pas moins que les conceptions urbanistiques de Le Corbusier s’appuient sur trois principes préalables qui ont largement orienté la construction des grands ensembles : d’abord la nécessité de passer à « l’ordre de grandeur » répondant à la civilisation du plus grand nombre, ensuite la mise en oeuvre concertée des instruments de la rénovation urbaine et, enfin, le caractère élémentaire des fonctions humaines, au-delà même du strict fonctionnalisme pour lequel la forme doit toujours être l’expression d’une fonction. Ces principes simples, voire même simplificateurs n’ont cessé de poser question à tous ceux qui se sont interrogés sur le devenir des grands ensembles. Si le débat s’est focalisé longtemps sur l’unité d’habitation et sur l’architecture, il porte aujourd’hui davantage sur le blocage des différentes fonctions de la ville en unités spatiales normalisées et isolées.

     Au final, on voit bien que les grands ensembles français, avec les barres et les tours qui les animent, sont le produit non seulement d’une longue mise en place conceptuelle, mais aussi d’une conjoncture particulière qui voit se succéder en quelques années une crise économique d’une ampleur sans précédent, une guerre mondiale et une période d’intense activité conduisant à l’industrialisation et au financement massif de la construction.
     L’idéologie solidariste qui les a inspirés sera progressivement infléchie dans un sens pragmatique, même si les discours contemporains sur la mixité sociale semblent renouer avec un certain passé. Un regard rétrospectif montre que ces grands ensembles sont présentés au milieu des Trente Glorieuses comme la vitrine de la croissance. Ils expriment à leur manière le miracle économique qui s’affirme de 1953 à 1973 aussi bien en termes de programmation, de fabrication que de gestion. Mais la filiation des tours avec la forme du gratte-ciel américain est indirecte, et l’influence des modes de planification urbaine à l’américaine est loin d’être systématique.

     Aujourd’hui, la forme urbaine du grand ensemble - celle-là même qui devait être le creuset d’une société nouvelle plus égalitaire - polarise les tensions sociales. Et le zonage va jusqu’à accréditer la thèse de la fragmentation urbaine en soulignant les territoires de l’exclusion. En somme, les grands ensembles ont été victimes de leur succès dans un premier temps et de l’enrichissement d’une partie de leurs habitants dans une seconde étape, dans la mesure où ces derniers les ont quittés. L’état actuel des quartiers sensibles et la mise en oeuvre de la « rénovation urbaine » qui concerne une partie d’entre eux devraient conduire à des leçons de modestie. Le changement social et l’arrivée de nouvelles générations ne rendent-ils pas caduques les extrapolations abstraites d’une « technostructure » qui s’est crue missionnée pour « le bien du peuple » à une époque donnée ?
     Enfin, en termes esthétiques et urbanistiques, on a pu croire que le 11 septembre 2001 avait sonné le glas des formes urbaines les plus élevées. Il n’en est rien. Les immeubles de grande hauteur fleurissent non seulement dans les grandes métropoles d’Asie et d’Amérique latine, mais aussi dans les émirats arabes, que ce soit à Bahreïn ou à Dubaï. Le débat est relancé depuis quelques années en Europe et tout particulièrement en France. En novembre 2010, le Conseil de Paris a voté une modification du Plan local d’urbanisme permettant de construire des tours de grande hauteur au-delà du plafond des 37 mètres. Les projets sont déjà avancés dans le 13ème arrondissement, à la porte de Versailles et dans le secteur des Batignolles au nord ouest de Paris.

     La tour semble une opportunité nouvelle ; elle tire sa légitimité des multiples rapports sur les bienfaits de la ville dense dans le cadre du développement durable, même si la question de la densification est étroitement associée à celle du coût du foncier dans un contexte de forte tension sur le logement. Mais avant de déplafonner massivement, peut-être conviendrait-il de réfléchir plus avant sur la place des hommes dans l’habitat et dans les choix de localisation. Ne s’agit-il pas d’abord de revivifier ce qu’il y a de plus humain dans l’urbanité ?