À l’issue des Rencontres, la « querelle métropolitaine » est loin d’être soldée. Du moins, les protagonistes ont-ils pu se parler franchement. Le débat sur l’éventuel « impérialisme » de Rennes ou de Brest est moins simple qu’il n’y paraît. Surtout, pour importante qu’elle soit, la question apparaît davantage comme une préoccupation d’élus et d’experts que comme un souci réel de la population. Un sondage réalisé à cette occasion et commenté par Stéphane Rozès (voir plus loin) semblerait l’attester en montrant que huit Bretons sur dix considèrent que le développement de Rennes est positif pour les autres villes et territoires de la région. Où est donc le problème ?
Bien sûr Jean Ollivro, s’est insurgé contre ce qu’il appelle « un sondage de propagande » dont les réponses ne vont pas vraiment dans son sens. Les résultats en revanche ne peuvent que réjouir Daniel Delaveau, le président de Rennes Métropole, lui qui prône l’apaisement l’expreset la raison comme il l’a fait en ouvrant cette session sur « l’armature urbaine » de la Bretagne. Pour lui, la décentralisation « est arrivée à une étape charnière ». Il faut désormais « aller plus loin dans l’organisation des réseaux et des coopérations ». Et l’on ne peut qu’être optimistes, La Bretagne ayant en la matière « souvent montré la voie ».
Lors de cette réunion c’est l’expert Philippe Estèbe qui a d’emblée apporté un éclairage décisif en montrant à quel point les inquiétudes territoriales d’aujourd’hui sont nées d’une situation historique très récente, disons celle de l’économie mondialisée. Pour comprendre, il convient de remonter encore plus loin dans le passé. Résumons : en France, villes et campagnes se sont toujours fait un « procès réciproque ». Les guerres de Vendée ne sontelles pas nées d’un divorce entre les bourgeois républicains des villes et le peuple des campagnes attaché à son prêtre, à son roi, à sa terre. Ensuite, c’est en quelque sorte pour faire passer la pilule de la République centralisatrice auprès des paysans réticents que la IIIe République « accorde aux ruraux la garantie que l’espace rural ne sera pas placé sous la coupe de la ville ». Pour cela, elle fixe « des frontières communales restées immuables jusqu’à aujourd’hui ».
Configuration mosaïque unique en Europe. Singularité de la France où « les grandes villes ont un poids beaucoup plus faible qu’ailleurs » quand on rapporte leur population à la population totale du pays. Singularité que ces petites villes dynamiques dopées par le maillage étatique des sous-préfectures. Spécificité française enfin que la massive représentation politique donnée aux espaces ruraux forts de nombreux élus, comme si l’on voulait faire bénéficier les campagnes d’une sorte de discrimination positive.
Jusqu’à maintenant le système fonctionnait : relative autonomie des territoires les uns par rapport aux autres, finances locales gérées directement avec l’État, présence de l’État centralisateur organisant la solidarité selon un principe vertical (solidarité « nationale » qui fait que les villages les plus éloignés ont une poste, l’électricité, etc)… Mais depuis 20 ans, on change de monde : désindustrialisation des campagnes, mondialisation. L’espace rural souffre, il perd son autonomie économique et en plus, l’État se retire.
C’est pourquoi les territoires doivent désormais « gérer l’interdépendance », à savoir la solidarité horizontale entre voisins. Même s’ils n’en possèdent pas « la grammaire », c’est pourtant « le chantier qui s’impose aujourd’hui aux acteurs », estime Philippe Estèbe. Construire cette solidarité est nécessaire pour « remplacer les grands appareils d’État en train de disparaître ».
La géographe Nelly Cattan, directrice de recherche au CNRS, lui emboîte le pas : l’interdépendance est bien la clé. Mais, dit-elle, « le territoire rural n’est pas toujours prêt à assumer cette interdépendance concrète. » Quant aux villes, leur taille et leur pouvoir, ce n’est plus un sujet pertinent à l’heure où l’espace est devenu réseau. « Le territoire doit aujourd’hui s’envisager par les relations qui articulent les villes entre elles ».
Après ces propos, Jean Ollivro, pourfendeur des métropoles, est attendu: « Ce qu’il faut pour l’avenir, ce ne sont plus des villes à la campagne mais de nouvelles ruralités », dira-t-il lors de la table-ronde. Il n’en démord pas : « La tertiarisation des villes favorise l’éloignement et l’exclusion des plus pauvres en deuxième couronne. La métropole correspond à une vision ultra-libérale ». Propos qui lui valent quelques démentis. « Il faut se défaire de cette image caricaturale selon laquelle les plus pauvres seraient en lointaine périphérie alors que ce sont les villes qui accueillent les familles les plus modestes et les plus isolées », rétorque Claire Guiheneuf, la directrice de l’agence d’urbanisme du pays de Brest.
« C’est dans certains quartiers urbains que l’exclusion sociale est maximale », rappelle aussi Catherine Guy, la présidente de l’Institut d’architecture et d’urbanisme de Rennes. Une étude de l’Insee montre qu’entre 2008 et 2009, la baisse des revenus des personnes les plus pauvres a dépassé 4% à Rennes et à Lorient, mais aussi à Guingamp, ville de 8 000 habitants.
Après la parole des experts, la Rencontre sur l’avenir des villes en Bretagne a fait une large place à l’expression d’élus de toutes tendances présents dans la salle ou à la tribune. Si généralement, ils admettent ou applaudissent à la notion de solidarité, de coopération entre grosses et petites villes, de réseau entre ville et campagne, en revanche, toutes les interventions laissent sourdre une sorte de méfiance à l’égard de la métropole et de son pouvoir perçu comme intrusif et pas toujours pertinent pour l’avenir de la Bretagne.
C’est par exemple Pierre Méhaignerie qui considère que « la force du grand Grand Ouest réside dans l’équilibre des villes moyennes et leur lien avec le tissu rural. Ne reproduisons pas à notre échelon régional le plan monarchique du Grand Paris ! » C’est l’UDB Christian Guyonvarc’h s’amusant à penser que si, il y a vingt ans, il avait été décidé d’en-haut d’organiser un grand festival de musique en Bretagne « personne n’aurait certainement songé à Carhaix, parce qu’il n’y a pas d’aéroport et que les artistes ne seraient pas venus s’enterrer là. Eh bien, l’histoire en a décidé autrement ! » C’est Bernard Poignant, maire de Quimper, ironisant : « C’est bien que Rennes soit à l’extrémité de la Bretagne car si Rennes avait été à Pontivy on aurait eu ici Toulouse et le désert toulousain. » Ou encore cette mise en garde que l’élu bas-breton adresse à la coopération Rennes-Nantes : « Je dis aux Rennais et aux Nantais, faites vos affaires, très bien ! Mais retournez-vous. Attention à ne pas nous faire dépérir, nous à l’Ouest. Soyez attentifs à votre péninsule ! »
On a vu aussi lors de ces Rencontres des Champs Libres le représentant de la Région, Pierrick Massiot ainsi que Bernard Poignant exprimer des réserves à l’égard du Pôle Métropolitain Loire-Bretagne (rassemblant depuis quelques mois les villes de Rennes, Brest, Nantes, Saint- Nazaire et Angers). Ces critiques se sont aussi exprimées ailleurs. Ainsi le Conseil culturel de Bretagne lors de sa réunion de mars a exprimé sa méfiance à l’égard de ce pôles de villes qui « interviendra en concurrence directe avec les Régions et les Départements » et qui risque d’obliger les petites villes et les zones rurales à « subir les décisions prises par les grandes métropoles ».
Autre symptôme de cette crispation qu’avait déjà illustré à l’automne l’Appel pour l’équilibre urbain de la Bretagne, la lettre ouverte adressée récemment aux maires du pays de Rennes. Elle est signée par dix maires de la communauté de communes du Val d’Ille emmenés par leur président Daniel Cueff. Ils y soupçonnent Daniel Delaveau de vouloir « procéder à l’annexion pure et simple » de leur communauté, de vouloir « annexer les communautés » suivant une réforme territoriale « qui vise à concentrer l’essentiel des moyens, dotations de l’État et recettes fiscales, vers les plus grandes agglomérations ». Ambiance !
Enervement minoritaire ? Objection passagère ? Résurgence d’un sentiment anti-urbain ? Sursaut des petites patries ? Peut-être, mais la caricature sinon le folklore en sont pas loin quand la ville, « mère de tous les vices », est envisagée dans ces discours comme une entité coupée du reste et n’aspirant qu’à gommer ce qui l’entoure. Comme si les interactions, les dépendances réciproques, les coopérations, les liaisons, les échanges, entre ces territoires n’existaient pas de fait et ne participaient pas d’une seule et même écologie humaine.
Le débat du 15 mars aux Champs Libres a le mérite d’éviter la rupture et de penser la concorde. Les interventions feront l’objet d’une publication. Surtout, promesse est faite de renouveler chaque année ce rendezvous sur « l’avenir des villes en Bretagne ». En 2013, les Rencontres quitteront Rennes, pour s’inscrire dans une autre ville bretonne à l’invitation de l’une ou l’autre des agences d’urbanisme de la région.