à Bois-Orcan
Étienne-Martin ne prétendait être ni sage ni devin ; il ne revendiquait pas non plus les dons de voyance ; il prêta pourtant son attention à tous les modes de pensée existants : religieux, philosophiques ou ésotériques. Quand on le questionnait sur l’intérêt qu’il portait à l’ésotérisme, sa réponse sourcilleuse presque invariable : «Oui, je m’intéresse à tous les ésotérismes.» Il fallait entendre à tous les langages chargés de symboles, magiques ou poétiques. Et lui-même n’a-t-il pas créé, à partir de souvenir de sa maison natale, le parcours d’une initiation totalisante, où s’entrecroisent tant d’épreuves personnelles qui recoupent des interrogations d’ordre universel ?
Il est par conséquent naturel que les titres de certaines de ses sculptures fassent, par exemple, référence à la 21e Lame du Jeu de Tarot ou à l’athanor… L’Athanor est même le nom qu’il a choisi pour désigner à la fois l’oeuvre ici reproduite, créée en 1984, et son musée intérieur/ extérieur, installé au Bois Orcan.
La présente sculpture, qui est à proprement parler, par chacune de ses formes et de ses couleurs, une Demeure, répond très exactement au code défini dans l’alphabet topologique qu’il a établi au fil des ans, afin de revisiter incessamment son propre passé. Pour Étienne- Martin en effet, l’unité du monde, qui nous guide vers l’opaque avenir, ne saurait nous être révélée qu’en concevant d’abord ce qui sera d’après ce qui a été, et c’est en s’élevant au-dessus du présent qu’on s’initie au Grand OEuvre achevé et qu’on entre dans le Cosmos – l’homme devenant alors l’athanor où mûrit le pur or philosophal. Il était en cela pleinement en accord avec cette directive d’Oswald Wirth : «Réalise en toi-même l’idéal de la création, pour confirmer ton Microcosme à l’harmonie du Macrocosme, car tel est le suprême objectif du Sage. «
Sans Prétendre à la sagesse toujours inatteignable, le sculpteur n’en a pas moins donné comme titre à sa sculpture : L’Athanor. Un nom dont il est admis qu’il provient de l’arabe al-tannûr, qui signifie «four», et qui renvoie directement au terme même d’alchimie, puisqu’il désigne le fourneau que, pour élaborer son Grand OEuvre, employait l’alchimiste, qui d’ailleurs y plaçait en son centre un récipient, dit «oeuf», contenant lui-même la matière de la pierre philosophale.
L’Athanor symbolise donc le creuset de toutes les transmutations, qu’elles soient physiques, morales ou mystiques, et tout nous invite à voir dans la forme oblongue de cette oeuvre d’Étienne-Martin une réminiscence directe de celle de ce fourneau évoqué par l’étymologie. Matrice universelle, matrice du tout, allusive à l’oeuf orphique qu’on trouve à l’origine de toutes les initiations… Et de même que l’Esprit divin flotte sur les eaux, peut-on lire dans maints ouvrages, de même c’est dans les eaux de l’athanor que flotte l’esprit du monde, l’esprit de la vie que l’alchimiste se doit d’approcher.
N’omettons pas enfin d’ajouter que cette sculpture L’Athanor est elle-même allusive du Jardin des Hespérides, qu’elle a été créée par le sculpteur au soir de sa vie, et qu’elle incarne à l’évidence, avec discrétion mais de manière avouée, l’achèvement d’une vie tout entière vouée (fût-ce avec des défaillances) à une recherche spirituelle, vers laquelle l’artiste invite l’observateur à s’orienter à son tour.
Dans un texte qu’il a consacré au Tarot, Roger Caillois a écrit : «Seules les totalités sont aptes à contenir l’infini des situations humaines.» Il serait bon de garder cette phrase à l’esprit pour approcher les Demeures d’Étienne- Martin, tout en ne perdant pas de vue qu’une analyse n’éclaire jamais entièrement le processus poétique dont l’oeuvre est issue – et que ce sont ici toutes les choses dites par l’artiste au cours de son existence, qui l’ont conduit à créer cette sculpture, mais aussi l’ensemble de son OEuvre, «en écho» pourrait-on dire, en écho du monde au coeur du monde.
Le domaine du Bois Orcan présente une partie des oeuvres d’Étienne- Martin, figure majeure de l’art du 20e siècle, présent dans les plus grands musées du monde (Stedelijk Museum d’Amsterdam, Musées royaux de Bruxelles, Guggenheim de New-York, le Centre Pompidou, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris…). Au Bois-Orcan on peut découvrir en intérieur la diversité (concepts, matériaux, formes…) de la production de l’artiste. Sur un site de trois hectares, le Parc de l’Athanor offre un parcours dessiné par le sculpteur, qui invite à la compréhension de chacune de ses oeuvres monumentales, en particulier de ses célèbres Demeures.
Contact : Château du Bois-Orcan - musée et parc de sculpture d’Étienne- Martin, 35530 Noyal-sur-Vilaine, 02 99 37 74 74, contact@bois-orcan.com