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Dossier
#09
Du laboratoire
à l’entreprise :
de jeunes pousses prometteuses
RÉSUMÉ > Chercher, trouver, entreprendre, créer des emplois… Ce qui était l’exception devient de plus en plus fréquent. Les industriels prennent conscience de l’intérêt qu’ils ont à mieux connaître le travail des laboratoires de recherche. Les scientifiques n’ont plus peur du monde de l’entreprise. Ils parlent brevets, financements, contrats… Les nouvelles technologies, l’électronique et l’informatique, les sciences et techniques de l’information, mais aussi la chimie, les nouveaux matériaux, les biotechnologies ont rapproché deux mondes qui s’ignoraient. Les sociétés d’accélération du transfert de technologies sont l’un des enjeux du grand emprunt. Dans l’Ouest, des pas ont été accomplis grâce à une politique active de création d’incubateurs, de technopôles, de pôles de compétitivité. Collectivités locales et conseils régionaux les financent… et en recueillent les fruits.

     Plus besoin de faire appel à des sociétés spécialisées. On pourra bientôt analyser la qualité de l’air d’un logement, d’une crèche ou d’une école grâce à un simple capteur automatique, utilisable par le commun des mortels. C’est le produit que prépare actuellement Sens Innov, jeune entreprise rennaise, après avoir développé un capteur qui décèle les polluants dans l’eau. La particularité de ces appareils est de travailler sans intervention humaine et de ne pas modifier le milieu dans lequel ils sont plongés.
     Ces appareils sont conçus grâce à l’ingéniosité de deux talents conjugués : un chimiste, Olivier Lavastre, chercheur au CNRS, et un ingénieur en robotique, Stéphane Burban, qui ont fondé en 2008 Sens Innov. « Nous nous sommes donné pour mission d’aider l’homme à comprendre et respecter son environnement » expliquent-ils. C’est la raison pour laquelle ils ont conçu ces capteurs de diagnostic rapide, qui permettent de mesurer très vite la composition chimique d’un milieu.
     Lauréats de plusieurs prix, notamment celui du réseau « Bretagne Entreprendre » en 2008, la jeune entreprise a pu lever des fonds en 2009 pour poursuivre ses travaux de recherche et développement. Son capteur de polluants dans l’eau, qui détecte notamment la présence de métaux lourds en suspension, est désormais commercialisé au niveau national, notamment dans l’industrie alimentaire à la recherche de moyens simples et efficaces pour mettre en lumière la moindre pollution accidentelle.
     Sens Innov compte actuellement quatre collaborateurs et travaille en étroite collaboration avec l’ensemble du tissu académique de Rennes, les écoles d’ingénieurs comme l’Insa (Institut national des sciences appliquées), mais aussi avec l’Esc (Ecole supérieure de commerce) pour ce qui concerne la stratégie marketing. Les composants électroniques des capteurs viennent d’Angers et de la région parisienne mais l’assemblage est réalisé à Rennes.

     Un million d’euros de chiffre d’affaires, une équipe de quinze personnes: Erwan Jacquin ne rêvait sans doute pas d’un succès aussi rapide en créant, en juillet 2007, la société Hydrocéan, avec la complicité du laboratoire de mécanique des fluides et le soutien de l’École Centrale de Nantes. Le résultat est pourtant là: Hydrocéan est devenue, en trois ans, une référence dans l’univers de l’hydrodynamique navale et affiche, comme clients, les plus grands donneurs d’ordre du secteur, qu’il s’agisse des chantiers STX de Saint-Nazaire, de DCNS, de Corsica Ferries ou du groupe Total.
     Il est vrai que cette jeune entreprise « atlanpolitaine » a été choyée pour assurer son démarrage. Implantée dans l’immeuble d’entreprises de Nantes Aménagement à deux pas de l’École Centrale, elle bénéficie d’un environnement scientifique de premier ordre, et d’outils de simulation numérique particulièrement performants développés par les chercheurs du laboratoire de mécanique des fluides (ECN/CNRS). C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’a été fondée l’entreprise : il s’agit d’assurer un transfert de technologies efficace, de rendre accessible à l’industrie les techniques de simulation numérique les plus novatrices en travaillant sur des applications concrètes.
     « Nous nous penchons sur tout ce qui flotte, explique Erwan Jacquin, ingénieur et docteur de l’École Centrale, du voilier de course au porte-avions en passant par les bouées ou les plates-formes ancrées. Et nous utilisons le bassin de carène de l’École pour valider nos résultats. » Hydrocéan a ainsi planché sur les dessins des architectes navals de plusieurs grands voiliers, comme Groupama, le récent vainqueur de la Route du Rhum, ou Banque Populaire. Cette réussite technique s’inscrit dans un contexte porteur en hydrodynamique puisque la jeune société se retrouve seule sur ce marché en France, ses deux principaux concurrents ayant été rachetés par DCNS. Elle est donc, de fait, aujourd’hui la seule société d’ingénierie maritime indépendante du territoire.

     L’invention est géniale et laisse pantois: des substituts osseux synthétiques reconnus par l’organisme qui se fondent peu à peu dans le corps et permettent aux os de se régénérer. Cette découverte, fruit des travaux de deux équipes de recherche, l’une basée à New York, l’autre à Nantes, fait les beaux jours d’une entreprise nantaise, Biomatlante, établie à Vigneux-de Bretagne. Une entreprise aujourd’hui mature, qui compte près de cinquante salariés et exporte ses produits dans le monde entier.
     L’aventure a commencé dans les années 1980 avec la mise au point et le développement par Guy Daculsi, directeur de recherches à l’Inserm, de ce substitut osseux dans son laboratoire nantais. Il s’agit de la synthèse de deux composants naturels de l’os, qui se présente pour le profane sous la forme d’un calcaire poreux. Un genre de craie qui a la propriété d’autoriser la vascularisation des tissus. Épaulée par le CHU, cette aventure s’est poursuivie en 1995 par la création de Biomatlante dont l’épouse du chercheur, Chantal Gobin, a pris les rênes, Guy Daculsi, restant attaché à ses travaux de recherche au sein de l’Inserm de Nantes.
     Le produit s’est peu à peu imposé dans trois domaines: l’orthopédie, la fusion des vertèbres et la chirurgie dentaire, en France et à l’étranger. L’entreprise s’est progressivement développée et a quitté le giron du CHU en 1998 pour s’installer à Vigneux-de-Bretagne, conservant la maîtrise totale du processus de conception et de fabrication de ses produits. En 2005 les locaux sont passés de 200 à 800 m2 pour satisfaire une demande croissante. « Aujourd’hui nous réalisons 80 % de notre chiffre d’affaires à l’international » explique Claire Daculsi, la fille des fondateurs, qui a rejoint récemment l’entreprise, « sachant que l’obtention des agréments est très longue à obtenir ». Un nouveau produit, injectable, est d’ailleurs en cours d’agrément. Parce que l’aventure se poursuit, notamment avec l’Inserm dans le cadre de projets européens. Biomatlante, qui commercialise ses produits avec l’aide de grands distributeurs, consacre chaque année 20 % de son chiffre d’affaires à la recherche et au développement.

     Comment se comporte un voyageur lorsqu’il cherche son chemin sur un quai de gare avant de grimper dans un wagon? C’est l’une des questions sur lesquelles travaillent actuellement les informaticiens de Golaem, une jeune entreprise issue de l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) de Rennes.
     Éditeur de logiciels, Golaem est spécialisé dans la simulation des mouvements de foules et des comportements individuels. Il « peuple » les maquettes numériques afin d’aider les concepteurs d’équipements à optimiser leurs installations. Golaem travaille ainsi pour le transport, l’industrie manufacturière, le cinéma, la télévision et la Défense. « Le logiciel pour la SNCF sert à tester la configuration des voitures et à améliorer les temps de transit des passagers », explique Michael Roullier, ingénieur de développement, l’un des fondateurs de Golaem en janvier 2009. « Nous travaillons sur les flux de voyageurs mais nous modélisons également certains profils singuliers, tels les prédateurs, les énervés ou les passagers ayant un objectif précis. »
     Cette jeune société est dirigée par Stéphane Donokian, directeur de recherches à l’Inria, pour l’heure en disponibilité. Elle est installée dans une pépinière de Rennes Métropole, à quelques centaines de mètres du laboratoire de recherches dont il est issu et avec lequel il continue à mener plusieurs projets collaboratifs. Golaem compte huit salariés, pour la plupart issus de la recherche rennaise, et quatre chercheurs sous contrat de collaboration. L’entreprise, qui a déjà signé plusieurs contrats commerciaux, consacre l’essentiel de son activité (75 %) à la recherche et au développement, grâce au soutien du ministère de la Recherche, qui lui a conféré le statut de « jeune entreprise innovante ». Le succès semble au rendez-vous puisque Golaem a signé à l’automne 2010 un contrat de distribution avec le Japon et s’apprête à faire de même avec un distributeur indien.

DENDROTECH, LA DATATION DU BOIS AU SERVICE DE L’ARCHÉOLOGIE

     L’histoire de Nantes vient de faire une belle avancée grâce à une jeune entreprise rennaise: Dendrotech. L’expertise de la charpente de la Psalette, un bâtiment qui jouxte la cathédrale de Nantes, montre en effet que les historiens se trompaient dans la datation de l’édifice jusqu’alors considéré comme ayant été construit au début du 16e siècle. Mieux, l’étude de Dendrotech, conduite avec un historien de l’art, conclut qu’il s’agissait à l’origine d’un bâtiment civil, le logis du vice-chancelier de Bretagne, Jean de Rouville, élevé entre 1462 et 1465.
     La dendrochronologie permet de dater à la saison près l’âge d’une pièce de bois en mesurant au centième de millimètre les cernes de croissance que produisent les arbres chaque année. « Cet exemple montre l’intérêt du couplage entre la dendrochronologie, une technique importée des États-Unis, et l’archéologie. Il ne suffit pas de dater précisément une pièce de bois pour connaître l’âge d’un bâtiment, il faut aussi comprendre l’évolution de l’ouvrage, les éventuels remaniements dont il a pu faire l’objet, pour pouvoir dater la mise en oeuvre de sa phase primitive », explique Yannick Le Digol, archéologue et dirigeant de Dendrotech, société fondée en 2006 avec le soutien de Bretagne Valorisation. Issue de la recherche rennaise, cette jeune entreprise, incubée par Rennes Atalante, continue à travailler en étroite collaboration avec le CNRS puisqu’elle s’appuie sur le concours scientifique d’un chercheur salarié, Vincent Bernard, le dendrochronologue du laboratoire Archéosciences, grâce à une convention de concours scientifique signée avec le Centre de recherche et l’université de Rennes 1. Un concours précieux puisque, pour dater un bois, il est nécessaire de le comparer à un échantillon connu de la même essence et, si possible, de la même région. En échange, Dendrotech restitue au CNRS les mesures de croissance des bois qu’elle expertise afin de compléter les données du laboratoire.

     Il faut parfois savoir se tromper avant de trouver la bonne voie. C’est ce qui arrive régulièrement aux utilisateurs de « jeux sérieux » créés par Succubus Interactive, une entreprise nantaise de génie informatique. C’est aussi ce qui est arrivé à cette jeune maison, issue du laboratoire d’informatique de l’université de La Rochelle, qui avait cru bon se lancer en 2002 dans le jeu vidéo. « Cela n’a pas fonctionné », confesse Laurent Auneau, le directeur. « Nous nous sommes donc retournés dans un premier temps vers la prestation graphique et le film d’animation ».
     Mais très vite, le démon du jeu a repris les informaticiens de Succubus, « une entreprise fondamentalement technologique », qui sont revenus vers le « jeu sérieux » à l’adresse des entreprises et des institutions. Succubus a ainsi réalisé, en partenariat avec l’agence Double Mixte, le premier « serious game » de la Ville de Nantes : un jeu d’aventure destiné à réduire la pratique de l’hyperalcoolisation chez les jeunes, développé en 3D et présenté sous forme d’énigme policière avec pour décor le « Happy Night Club de Nantes ».
     Depuis Succubus a fait son chemin et multiplié les jeux de formation, d’évaluation ou de sensibilisation, telle « Ma cyber auto-entreprise » réalisé en 2010 pour le ministère de l’Économie. « Succubus interactive noue de nombreux partenariats avec les laboratoires de recherche, notamment avec l’École des Mines et l’École de design », ajoute Laurent Auneau. L’entreprise nantaise compte une dizaine de collaborateurs. Elle s’inscrit actuellement dans un projet européen, un consortium regroupant quatorze entités, dont douze universités, qui travaillent sur un concept d’apprentissage basé sur la technique des « jeux sérieux », qui laisse à l’utilisateur le choix des voies qu’il emprunte pour parvenir à son objectif. L’idée est de standardiser cette nouvelle façon de concevoir les ressources pédagogiques, notamment dans le domaine de la santé. Succubus Interactive affiche aujourd’hui un produit d’exploitation de 450000 € et doit prochainement doubler son siège nantais d’une implantation à Genève.