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Contributions
#16
En manque de terres, l’agriculture du Pays
de Rennes étouffe
RÉSUMÉ > La Bretagne est extrêmement consommatrice d’espaces, effet pervers de son attractivité démographique et économique. Dans le Pays de Rennes, 375 hectares sont « artificialisés » tous les ans. Un constat qui oblige à redéfinir les usages de la terre, quitte à modifier certains modes de vie.

     « Foncier, un bien commun à partager ». Le 13 décembre dernier, l’Écomusée du Pays de Rennes organisait un débat sur le thème du foncier, terme relatif à la terre, à sa propriété, à son exploitation. Le titre choisi résumait parfaitement la difficulté du sujet.
     Ce soir-là, la salle était comble. Quelques représentants d’associations citoyennes et une majorité d’élus et d’exploitants. Pour ces derniers, la terre est un outil de travail, pour d’autres un espace de loisirs ou des paysages à préserver. « La question du foncier, ce n’est pas simplement un enjeu d’économie d’espace, résume Gilles Guillomon, secrétaire général de la chambre d’agriculture. Dans les années 60, au nom du développement, le monde agricole a gagné le droit de gérer la terre. Aujourd’hui c’est cela que l’on nous conteste, c’est beaucoup plus grave ! »

Soutenir l’agriculture nécessite une réflexion globale

     Dans un contexte de mise en valeur de productions raisonnées, extensives, et locales, le débat est inévitable. En témoigne Michel Priour, exploitant à Cesson-Sévigné, touché par le passage de la future ligne à grande vitesse.
     En 1996, il a repris l’exploitation familiale, en production laitière conventionnelle. Depuis il s’est converti au bio, donc en extensif. En 2014, après les échanges parcellaires, il retrouvera ses 26 hectares de terres (lire aussi l’entretien avec Ghislaine Pain). La question est de savoir où : « Ce ne sera pas possible si à chaque fois je dois traverser la ligne avec mes bêtes ! » Michel n’est pas un cas isolé. Soutenir l’agriculture bretonne demande une réflexion globale sur les modes de développement, en termes de transports, de zones économiques, d’habitat et de loisirs.
     Dans le Pays de Rennes, 375 hectares ont disparu chaque année de la surface agricole utile (SAU) entre 2000 et 20092 . Une centaine d’exploitations cessent leur activité tous les ans, pour 35 qui s’installent. La question du foncier n’est pas seule en cause mais elle joue un rôle important.
     Les jeunes se plaignent de ne pouvoir s’installer, faute de terres ou de finances, car la pression foncière joue sur les prix3. Les autres souffrent de voir leurs exploitations démembrées ou menacées de l’être par des projets de grande envergure, comme la LGV, des zones d’activités ou le contournement sud-est. « La terre sur laquelle s’est installé Ikea est une des meilleures, assure Léon Le Marchand, exploitant amputé, à Pacé. Nous ne sommes pas contre le développement économique, mais il faut que les élus prennent en compte la valeur agronomique des terres et évitent le gaspillage ! »

« Si on veut faire chic en réunion, on met le foncier à l’ordre du jour ! »

     La prise de conscience fait son chemin. À l’issue des réunions publiques organisées par la Région dans le cadre de son projet « Nouvelle Alliance pour l’agriculture », la préservation du foncier est devenue priorité numéro 1. Depuis, les colloques sur le sujet se multiplient. Michel Morin, vice-président du conseil régional, l’analyse avec humour : « Si on veut faire chic en réunion, on met le foncier à l’ordre du jour ! » Mais derrière les effets d’annonce, le vice-président assure que l’idée fait son chemin.
     Dans le Pays de Rennes, les choses commencent à bouger, notamment sous l’effet du Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT), signé en 2007 par les cinq communautés de communes (Pays d’Aubigné, Val d’Ille, Pays de Liffré, Pays de Châteaugiron et Rennes Métropole), qui assure « une préservation des espaces dédiés à l’agriculture supérieure à 91 % ». Une action renforcée par le Plan local de l’agriculture, signé par Rennes Métropole en 2008, puis élargi au Pays de Rennes, espace d’échange entre le monde agricole et les collectivités.

Vers la fin de la maison individuelle ?

     Document d’urbanisme visant à mettre en cohérence l’ensemble des politiques sectorielles sur le territoire jusqu’en 2020 (il sera révisé plus tôt), le SCoT englobe 65 communes, s’imposant aux Plans locaux d’urbanisme (PLU) et aux Plans locaux de l’habitat (PLH). Chaque commune dispose d’un droit à consommer, en nombre d’hectares, qu’elle peut, ou non, intégrer dans ses Plans.
     Côté habitat, dans les PLH cela se traduit par une densité plus importante. La chambre d’agriculture constate que la densité moyenne se situe au minimum à 15 habitants/km². À Rennes Métropole, on est plutôt entre 20 et 30 habitants au km².
     Dans ce cadre, l’Établissement public foncier de Bretagne, créé en 2009, a pour vocation d’accompagner les communautés de communes, 80 % de ses projets portant sur l’habitat. Il s’agit notamment de réhabiliter les bourgs en privilégiant le petit collectif. C’est une révolution qui ne dit pas son nom. La maison individuelle, hautement symbolique dans la mentalité française, est remise en cause.

Une équation difficile : faire pression sur le monde économique

     Si les outils et la volonté existent, il reste du chemin à parcourir. Certains projets font grincer des dents, comme les dix hectares de terrassement annoncés à Châteaugiron pour une future zone commerciale. Madame la Maire, Françoise Gatel, se défend de tout gaspillage, assurant que cette partie du territoire avait besoin d’un espace commercial, de façon à limiter les déplacements vers Rennes. D’autres élus estiment, sans nommer Châteaugiron, qu’elle ferait partie de ces communes « non vertueuses », prêtes à dépenser tout leur droit à consommer, là où d’autres économisent pour réajuster le tir lors de la révision du ScoT.
     À Idea 35, agence de développement économique d’Ille-et-Vilaine, Adrien Savary, responsable du pôle territoires, ne mâche pas ses mots : aujourd’hui, on construit les zones d’activités exactement comme avant, sans complexe. Peu de pression politique de ce côté-là, les élus ont trop peur de perdre des perspectives d’emplois sur leur territoire pour s’imposer face aux promoteurs privés. « C’est un faux débat, assure le responsable. Une entreprise évalue sa zone de chalandise, elle ne choisit pas une commune au hasard. Elle n’ira pas voir ailleurs, quelles que soient les contraintes qu’on lui impose. » Selon lui, il manque des schémas de zones qui poseraient les règles en amont. De façon à imaginer des solutions : bâtiments et parkings à étages et espaces verts réduits, par exemple. Le Village de la forme à Betton, avec ses grands espaces verts, laisse un goût amer à la profession agricole.

Sujet sensible, l’agrandissement des exploitations

     La question de l’économie d’espace se pose aussi au sein du monde agricole. Certains jeunes le disent, surtout dans les filières bio et durables, l’agrandissement peut nuire à l’installation. « Cela ne regarde pas la ville ! » Tapant du poing sur la table, Gilles Guillomon s’énerve : « Je ne connais pas d’autre activité qui partage autant son potentiel de production et on vient encore nous donner des leçons ! »
     Sur ce sujet, la Région prend pourtant position et soutient ouvertement l’installation. Dans les discours et dans les programmes. À compter de 2012, elle financera la Safer à hauteur de 400 000 € par an. Celle-ci pourra rester propriétaire d’un terrain pendant deux ans, les frais de gestion étant financés par ce fonds. Cela permettra à un porteur de projet de se positionner sur une terre et d’avoir deux ans pour concrétiser l’installation. Mais en dehors de ce dispositif, à la Safer, il n’est pas question « de privilégier l’installation face à l’agrandissement ». Sujet sensible.
     La nécessité d’économiser de l’espace est donc prise en compte mais il faut encore réfléchir aux moyens. Si l’usage de la terre a vocation à devenir exclusivement productif et environnemental, l’espace personnel de chacun va diminuer. Imposer ce changement est un risque politique considérable. Les élus bretons iront-ils jusqu’au bout ?