<
>
Histoire & Patrimoine
#17
Ernest Prévos.
Une touche régionaliste et Art déco
RÉSUMÉ > Ernest Prévos reste un maître d’œuvre méconnu en dépit d’une remarquable production. Dans les années 1930, il a réalisé, pour une clientèle d’industriels et de négociants, de nombreux édifices en Ille-et-Vilaine, notamment à Rennes et à Vitré. Son œuvre témoigne d’une subtile alliance du régionalisme et de l’Art déco, auquel il ajoute une pointe de modernité, livrant ainsi des projets singuliers qui marquent le paysage rennais.

      Ernest Prévos est un self-made-man. Issu d’une famille ouvrière, il naît à Thulin (Belgique) le 7 septembre 1900. En août 1914, poussés par le conflit, ses parents s’installent à Laval où le jeune Ernest œuvre quelque temps dans une entreprise de maçonnerie. Ambitieux, il obtient le concours de piqueur de chemins de fer, puis, tout en travaillant, suit les cours de conducteur des Travaux publics. Par la suite, il travaille quelque temps comme chef d’agence dans le cabinet de l’architecte de la ville de Vitré, Louis Gauvin (1871-1946).
     Homme intelligent et brillant, Prévos s’inscrit plus tard à l’École spéciale des Travaux publics et obtient son diplôme d’ingénieur le 6 septembre 1928. Pour compléter sa formation, il reste quelques mois à Paris où il entre dans le cabinet de Jean-Baptiste Mathon (1893- 1971) (Premier Grand Prix de Rome en 1923). Vers 1930, Ernest Prévos revient travailler à Vitré où il s’associe à Louis Gauvin, dont il épouse la fille.

Premiers chantiers à Vitré et Fougères

     À cette époque, Louis Gauvin est un maître d’oeuvre aguerri. Il a déjà exécuté de nombreuses commandes publiques au début du siècle, notamment des écoles primaires (Balazé, La Chapelle-Erbrée, Étrelles, Princé ou encore Vitré), des mairies (Mondevert, Servon-sur-Vilaine) ou encore des bains-douches (Vitré). En 1927, Louis Gauvin et Ernest. Prévos construisent leur première oeuvre commune qui est aussi une des plus réussies, l’usine de chaussures Morel et Gaté à Fougères. Cet établissement de style Art déco est un très bel exemple de patrimoine industriel par sa monumentalité et sa mosaïque intégrée à l’architecture.
     Par la suite, les deux hommes réalisent leur premier bâtiment à Rennes en 1929, une maison jumelle au 7 et 9 rue Edmond-Rostand pour un épicier vitréen. Cette commande, signée par Louis Gauvin mais que l’on peut facilement attribuer à Ernest Prévos, sera la porte d’entrée de la capitale bretonne pour ce dernier. Trois ans plus tard, les deux hommes décident d’y installer leur cabinet au 15-17 rue Saint-Martin. Cette maison, de facture Art déco avec ses ferronneries et ses jardinières en mosaïques, apparaît comme un passage de témoin entre les deux hommes. Elle est aussi une illustration – peut-être un manifeste – de ce qu’Ernest Prévos réalise dans les années 1930. On retrouve en effet dans le petit immeuble situé au 21 de la même rue, une exécution identique : l’utilisation de l’arc en plein-cintre au premier étage, le bow-window au second et la mosaïque. Son commanditaire, le coiffeur Fresnel, y a installé son salon au rez-de-chaussée.
     Fort d’une solide réputation grâce au chantier Morel et Gaté, Prévos se voit confier au début des années 1930 la commande de deux usines de chaussures à Fougères, celle de Bienfay, Boursier et Martin (usine J-B. Martin) et celle d’Emile Barbier. Dans la première, il répond aux souhaits des commanditaires qui veulent moderniser leurs installations par la construction d’ateliers sur deux étages couverts en sheds. Pour la seconde, l’architecte propose un style Art déco avec des mosaïques d’Odorico placées dans un cadre géométrique dépouillé. En parallèle, en 1936, Ernest Prévos construit l’imprimerie Laillet à Vitré de style plus moderne. Cette réalisation se rapproche de certains de ses travaux rennais réalisés à la même époque.

     Au milieu des années 1930, Ernest Prévos, avec d’autres maîtres d’oeuvre, érige les premiers bâtiments dépassant les sept étages à destination d’une clientèle bourgeoise. En effet, entre 1934 et 1939, il édifie une quinzaine d’immeubles, notamment avec l’entrepreneur et maire de Rennes François Chateau2 (Voir Place Publique n°14). À cette époque, certains conseillers municipaux réagissent à cette hauteur inhabituelle, comme pour l’édifice en brique de six étages construit en 1934 au 23 rue de la Palestine, derrière le Thabor. On y retrouve les motifs favoris de l’architecte comme les bow-windows à redans, sommés de pergolas, disposés sur les travées latérales.
     La même année, la rue du Docteur-Roux vient d’ouvrir. Le promoteur De Beaurepos saisit l’occasion pour construire des immeubles de rapport qu’il confie à Ernest Prévos. Cette association dure puisque le commanditaire lui en octroie trois autres entre 1936 et 1937. Ces bâtisses, de quatre à huit étages, développent un style Art déco épuré.
     Sa réalisation la plus remarquable est certainement le groupe d’immeubles de l’avenue Aristide-Briand (n°1) réalisé entre 1936 et 1938. Pour ces édifices couverts en ardoises, il utilise le béton et le granite en façade. Il y ajoute des balcons et des bow-windows à redans qui rythment les frontispices. Ernest Prévos reprend également le motif des baies en plein-cintre utilisé pour son cabinet de la rue Saint-Martin. Cette construction possède un élégant escalier de service sur cour. La modernité de son dessin tranche avec le style Art déco de la façade antérieure et indique une remarquable maîtrise du béton armé. Ce monument est à rapprocher d’une autre de ses réalisations érigées à la même date, au 2 avenue Louis-Barthou.

     En parallèle, Ernest Prévos use du répertoire régionaliste pour de grandes demeures individuelles destinées à la bourgeoisie rennaise, comme la villa du restaurateur Beaulieu (25 rue de Saint-Laurent). En 1936, il utilise le style néo-basque et ses toitures asymétriques pour la maison Amice, rue Emile-Marie Besnard. Deux ans plus tard, il développe un style anglo-normand au 17, rue Gurvand pour M. Albrespy, un pharmacien vendéen, dont la couverture est marquée par une demi-croupe. Ces deux variantes du régionalisme reprennent le motif du faux pan-de-bois en béton peint en blanc et ocre dans les parties supérieures.
     D’un autre côté, il déploie une esthétique plus moderne pour la maison de Madame Morin à Saint-Servan avec ses balcons filants arrondis aux angles, ses formes géométriques et son toit-terrasse. Les ferronneries, les jardinières et les redans de l’entrée témoignent aussi d’un attachement à l’Art déco.
     Pendant la Seconde Guerre mondiale, Ernest Prévos se retire à Bais (Mayenne). Inscrit à l’Ordre créé en 1940, il reprend son activité d’architecte après la guerre et construit des maisons destinées à la bourgeoisie, comme celle du 25, rue Courteline en 1957 pour M. Albert. Cette dernière présente une façade symétrique alliant béton et schiste rouge. C’est une demeure équilibrée coiffée d’une lucarne rampante et d’un large balcon donnant sur le parc de Maurepas, aménagé de l’autre côté de la rue. En parallèle, il participe notamment à l’édification de l’imposant immeuble de la Sécurité Sociale à Rennes avec l’architecte Paul Pothier.
     Ernest Prévos s’éteint à Rennes le 17 mars 1976. Son fils, Loïc Prévos, installé à Acigné, a également embrassé la carrière d’architecte. Formé chez son père et dans l’agence de Louis Chouinard, il est diplômé en 1969. Loïc Prévos travaille notamment pour une importante clientèle d’entrepreneurs et d’industriels. Il a reçu l’honorariat en 2010.