Rennes révise actuellement son Schéma de cohérence territoriale (SCoT), adopté en 2007. En dépit du caractère très administratif de la démarche, l’enjeu est de taille car ce document d’urbanisme définit les objectifs de développement, les grandes orientations stratégiques et donc les zones constructibles pour les quelque 76 communes du territoire du Pays de Rennes soit 485 000 habitants. Après un an et demi de travail, un projet a été adopté en janvier dernier. Aux citoyens à présent de s’exprimer dans le cadre de l’enquête publique qui s’achève le 18 novembre.
Ce projet de SCoT révisé ne remet pas en cause la ceinture verte qui fait l’originalité de Rennes au niveau national. Cette auréole non constructible vaut à Rennes une autre particularité : l’absence de banlieue, c’est-à-dire de commune urbanisée en continuité de la ville-centre (Rennes). Privilège dira-t-on, car « la banlieue » n’a pas bonne presse. L’espace bâti se poursuit toutefois sans interruption vers Chantepie, Saint-Jacques-de-la-Lande, Saint- Grégoire et Cesson-Sévigné qui sont ainsi des communes de banlieue comme le montre la carte de la tache urbaine (voir page 148, en gris, avec Rennes en blanc). En dehors de ces exceptions, le tissu urbain s’arrête aux limites de la commune de Rennes. L’interruption est particulièrement nette au niveau des rocades sud et nord, avec une franche rupture visuelle entre ville et campagne. La ceinture verte fait donc tampon entre Rennes et les communes périurbaines qui, par définition, sont des localités séparées de la ville-centre par une discontinuité physique.
Cette ceinture verte remonte au Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU, ancêtre du SCoT) de 1983 (voir schéma page 147). Il s’agissait alors d’empêcher un étalement en tache d’huile avec formation de banlieue tout en permettant aux communes périphériques de tirer parti du dynamisme du bassin rennais en les érigeant en « villettes » : interdite dans la ceinture verte, l’urbanisation a été favorisée dans les communes périurbaines. Les documents ultérieurs (SDAU de 1994 et SCoT de 2007) ont confirmé cette orientation fondamentale présentée comme un bel exercice d’équilibre : entre villecentre et périurbain d’une part, entre ville et campagne (préservée, tout comme l’agriculture) d’autre part. On a juste cherché depuis à renforcer la centralité de certaines communes périurbaines désignées « pôles d’appui » (pour des équipements). En 2007, le concept de villearchipel a conforté cette organisation (une métropole et des noyaux périphériques) présentée comme exemplaire auprès des milieux de l’urbanisme.
Cette autopromotion d’une originalité supposée est surprenante car la ceinture verte est un concept aussi vieux que l’urbanisme contemporain. La paternité en revient au philanthrope Ebenezer Howard qui construisit au nord de Londres les deux premières cités-jardins : Letchworth (1902) et Welwyn Garden City (1920). Lui-même se serait inspiré de l’architecte James Buckingham qui avait imaginé dès 1849 la ville de Victoria ceinturée de verdure1. Il a pu être influencé par les parcs ceinturant Adelaïde (Australie) dès 18372. Howard ayant pris soin de théoriser ses idées3, le modèle des villes-jardins entourées de ceintures vertes s’est diffusé au Royaume-Uni dès le début du siècle dernier4 jusqu’à l’adoption du Green Belt Act en 1938 qui a permis après-guerre de doter Londres et une vingtaine d’agglomérations britanniques d’une ceinture verte.
Les green belts sont tellement banales (plus d’1,6 million d’hectares en Angleterre) qu’elles sont constitutives du modèle de la ville anglaise5. Le Cadre national de l’aménagement du territoire de 2012 a réaffirmé comme à l’origine leur rôle capital dans la lutte contre l’étalement urbain. Le Ministère rappelle qu’elles empêchent la soudure entre villes voisines, préservent la campagne et le caractère des villes historiques et encouragent le renouvellement urbain6. Ebenezer Howard envisageait ainsi de multiplier les coupures vertes entre les villes.
On peut s’étonner de la mobilisation d’un tel outil à Rennes où le risque de formation d’une seule conurbation avec les villes voisines était négligeable vu le caractère rural du département en comparaison de l’Angleterre (411 habitants au km2 contre 150 en Ille-et-Vilaine en 2012). En outre, la ceinture verte a émergé dans le cadre d’une pensée hygiéniste visant à préserver les populations des miasmes urbains (le fameux smog londonien). Un tel objectif se conçoit dans la Grande-Bretagne victorienne où la croissance urbaine précoce réalisée dans des conditions épouvantables de promiscuité entre usines et habitat justifiait un tel cordon sanitaire. Du reste, d’autres pays industriels comme les États-Unis (dès l’entre-deuxguerres) et l’Allemagne ont suivi le modèle. Mais qu’une ville comme Rennes, dépourvue de toute industrie lourde et de toute pestilence manufacturière, ait cru bon d’adopter le système surprend. Alors vice-président de Rennes Métropole en charge des formes urbaines, Jean-Yves Chapuis a livré une interprétation de cette orientation plutôt inattendue : « entre la ville-centre et les communes, il fallait une coupure, la fameuse ceinture verte » pour empêcher Rennes de déborder sur sa périphérie. Jean- Yves Chapuis ajoute que la ceinture verte est aussi vue par les couches moyennes périurbaines propriétaires d’un pavillon comme un « cordon sanitaire » assurant « une segmentation sociale » face aux logements sociaux cantonnés au territoire de la ville de Rennes7… Autres justifications : l’air de vacances qu’elle donne à Rennes, la protection de l’agriculture périurbaine et le plaisir esthétique d’une échappée sur la campagne.
Mais les temps ont changé avec l’impératif écologique requis depuis les lois du Grenelle de l’environnement. La nécessité de réduire la taille des parcelles constructibles, la pénurie de terrains à bâtir et la hausse consécutive des prix fonciers et immobiliers en même temps que la nécessité de réduire le trafic automobile, tout cela questionne dorénavant la légitimité d’une ceinture verte issue de préoccupations hygiénistes datées et sans fondement à Rennes. De plus, grâce au volontarisme de Rennes Métropole qui soutient la construction d’HLM dans les bourgs périurbains, la séparation entre la ville de Rennes concentrant les logements sociaux et une périphérie de propriétaires pavillonnaires a largement vécu.
Dans ces conditions, faut-il conserver une ceinture verte qui a pour effet de reporter plus loin l’offre foncière et immobilière avec pour conséquence un allongement des déplacements quotidiens et une congestion routière croissante que chacun mesure matin et soir8 ? Il y a une contradiction entre les objectifs affichés par le Projet d’aménagement de développement durable (PADD) – favoriser des mobilités sobres, améliorer la qualité de l’air, lutter contre les nuisances (bruit, particules fines), réduire les émissions de gaz à effet de serre – et le maintien d’une zone non aedificandi près de la rocade qui non seulement repousse l’habitat loin de Rennes mais le disperse de sorte que « la ceinture verte [...] n’est pas optimale pour l’usage des transports en commun9 », comme le montre la part de déplacements effectués en voiture, aussi élevée parmi les périurbains que chez les ruraux (91 %). La ceinture verte a aussi pour effet d’accroître l’urbanisation au-delà du Pays de Rennes où ne s’appliquent pas avec la même vigueur les dispositions volontaristes en faveur de la préservation des espaces agricoles par la limitation des terrains ouverts à l’urbanisation et la réalisation d’opérations immobilières plus denses sur de plus petites parcelles. Cet effet contre-intuitif (inverse à l’intuition des résultats espérés) et contre-productif (contraire aux objectifs poursuivis) est classique : des mesures limitatives trop contraignantes provoquent un déport de l’urbanisation plus loin sous une forme peu durable : grandes parcelles, éparpillement, allongement des migrations domicile-travail, éloignement des services, mitage et dégradation de paysages à plus forte valeur paysagère. Ce processus est d’autant plus vif que la ceinture verte provoque un renchérissement généralisé des valeurs foncières et immobilières doublé d’une culpabilisation des périurbains victimes de « l’éloignement obligé » mais sommés de réduire leurs déplacements motorisés alors même que la dispersion des noyaux freine l’efficacité des transports en commun, comme l’a fort bien démontré le géographe Rémy Allain10.
La pérennité de la ceinture verte de Rennes mérite donc d’être questionnée à l’occasion de l’enquête publique en cours. Le célèbre géographe Paul Cheshire et l’OCDE ont critiqué la rigidité des ceintures vertes britanniques qui provoquent pénurie de terrains constructibles et hausse des prix, appelant de leurs voeux une gestion plus souple. Les essais de relâchement de la contrainte sont d’ailleurs récurrents11 (1964, 1973, 1983). L’opposition des résidents périurbains peut être vive comme le montre cet échange lors de la consultation publique sur la révision du Plan local d’urbanisme (SHLAA) d’Exeter : « Je suis farouchement, implacablement opposé à toute construction dans la ceinture verte quels qu’en soient les avantages supposés. Commençons par revivifier nos villes-centres ». Ce à quoi l’administration répond : « Malheureusement, le renouvellement urbain ne procure pas suffisamment de sols pour répondre aux besoins12 ».
Dans le cas de Rennes, observons que la ceinture verte est déjà largement fictive, entamée par les banlieues déjà citées mais aussi par les zones commerciales et industrielles, les voies ferrées, les pénétrantes routières à double voie inexistantes dans les années 1970, la ligne à grande vitesse en construction, etc. Constatons le manque de disponibilités foncières aux abords immédiats de Rennes. Admettons qu’il serait plus logique d’y promouvoir un habitat compact que dans des communes périphériques dont l’atout est l’espace à défaut de la proximité. Reconnaissons, avec Jean-Yves Chapuis, que « se posera donc la question de la construction autour de la rocade » qui pourrait être transformée en boulevard urbain.
Interrogé sur l’opportunité de maintenir l’intégralité de la ceinture verte rennaise, notre collègue belge Jean- Marie Halleux a eu une réponse de bon sens : préserver des coupures vertes. C’est le choix effectué dans la Ruhr et la Ranstad Holland. Des corridors naturels et écologiques reliant Rennes à sa périphérie champêtre suffiraient à répondre aux besoins de nature grâce à de vrais aménagements ludiques comme dans la plupart des zones périurbaines britanniques ou allemandes, selon une conception moins négative de la ceinture verte (juste empêcher le débordement urbain13 ). Ces coulées vertes empruntées par des pistes cyclables et sentiers tireraient parti de la trame verte (les espaces boisés) et bleue (les vallées et zones humides). Le projet de PADD esquisse un tel schéma en direction de la forêt de Rennes d’un côté et de la Vilaine aval de l’autre, évoquant un « réseau de pôles de loisirs, de milieux naturels et d’espaces agricoles » et un grand parc « nature ». Une rocade de coulées vertes pourrait… ceinturer l’agglomération grâce aux nombreuses vallées du bassin rennais. Entre ces forêts-galeries (comme on dit en milieu tropical) formant respiration, on pourrait rendre constructible la ceinture verte pour réduire les migrations alternantes et la pression foncière tout en favorisant transports collectifs et modes doux. Les habitants profiteraient aussi bien de l’agrément de la nature que de la proximité de la ville. La biodiversité serait préservée. Ce remodelage de la ceinture verte en une chaîne de parcs pourrait prendre plusieurs formes parmi l’éventail disponible. L’image de la ville n’en serait pas pour autant dégradée : aux yeux de tel collègue parisien empruntant la rocade Sud, l’impression de disponibilité foncière donnée par la ceinture verte renvoie l’image d’une ville assoupie, peu dynamique…