« Il y a des programmes qui cherchent leurs lieux et des lieux qui cherchent leurs programmes! L’urbanisme n’est au fond que la rencontre entre un programme et son lieu. »
[François Grether à propos de l’implantation de la Cité judiciaire sur l’Île de Nantes et de la Bibliothèque nationale dans le quartier Paris Rive gauche].
D’abord un air de famille, fort troublant, avec Bruno Cremer, le grand acteur qui nous a quittés cet été. Né en 1941 à Dijon, François Grether incarne une forme de sobriété, distanciée et compétente, simple et claire. Placide et assuré, distancié et expérimenté, calme lorsque les esprits s’échauffent… Et quel meilleur terrain pour s’échauffer qu’une réunion publique autour de la transformation d’un morceau de ville?
Cigarillo au coin des lèvres, il en a vu, des projets urbains ! Il les a accompagnés et mis en musique durant des années à l’Apur, la célèbre Agence d’urbanisme de la mairie de Paris. Depuis 1970, pensez-donc, il aura vécu et accompagné toutes les inflexions (sinon les révolutions) de cet organisme longtemps pionnier et « exemplaire » en matière d’expertise urbaine. Deux vies, c’est presque une figure imposée lorsqu’il s’agit de présenter François Grether – même si la seconde est désormais presque aussi longue que la première. 22 ans à l’Apur (1970-1992) et 18 ensuite à la tête de son propre atelier.
Facilitateur et incitateur, Grether est aussi un pédagogue, auprès des maires, certainement, mais aussi en tant qu’enseignant au fil des années 1980-1990 à l’École supérieure d’architecture, à Sciences Po, à Lausanne, même s’il n’a jamais été un homme de doctrine ou de recettes, partant toujours des sites pour articuler ensuite son discours et ses positions.
L’étude exploratoire qu’il mena avec Dominique Perrault sur l’île de Nantes en 1991-1992 aura été l’un de ses tout premiers chantiers en « libéral » indépendant. Il venait tout juste de mener une première mission de conciliateur – « ça m’arrive souvent, je dois être assez médiateur » – entre Massimiliano Fuksas, à qui l’on venait d’attribuer la réalisation d’un vaste quartier sur les Berges de la Seine à Clichy, la Sem alors dirigée par Jean- Michel Roux et la mairie.
Dans le même temps, il conduisait une étude sur les quais de Seine à Paris, avant Paris-Plage et bien avant que Bertrand Delanoë n’envisage pour 2012 la reconquête de ce ruban de bitume sur la rive gauche. C’est du reste à cette occasion que s’est précisé son intérêt pour les rivages. Fin gastronome, il apprécie l’image du « chaud-froid » pour évoquer les sensations éprouvées au contact des ramifications de l’eau et du végétal dans la ville. Concepteur de parcs articulant des traversées dans une ville dense et composite, il a régulièrement travaillé avec deux paysagistes français majeurs, Michel Desvigne (Île Seguin, Lyon-Confluence…) et Jacqueline Osty (Clichy- Batignolles, Amiens…).
L’un des pivots de la pensée de Grether : on ne fabrique pas la ville comme on projette une architecture. La ville existe par elle-même et se transforme lentement à l’écart de nos impatiences. Il s’est du reste ingénié, même si cela a pu déplaire, à déclarer chaque fois qu’il l’a pu, qu’il avait bien peu de chances de voir le quartier auquel il s’attaquait achever sa transformation. «Dans vingt ans peut-être, cinquante ans plutôt!» Et l’on comprend bien quelles réticences peut éveiller une ville « finie ».
Initier plutôt que terminer : si l’on peut en infléchir le mouvement, la ville rappelle en permanence à la modestie. Et si le « jeu d’acteurs », notion consacrée par les sociologues, a un sens dans l’univers du projet urbain, alors ce militant « municipaliste » l’incarne à l’évidence. Grether contribue mais ne signe pas et il se méfie des projets urbains se présentant comme des « super-architectures ». Même si le choix de l’avenue de France sur l’axe ferroviaire pour Paris-Rive gauche, la façade-enveloppe pour l’Île Seguin, les îlots paysagers des Batignolles, la place nautique de Lyon-Confluence… tous ces paysages urbains lui doivent beaucoup.
PLACE PUBLIQUE > Dans le train… Vers Nantes ?
FRANÇOIS GRETHER > Non, vers La Roche-sur-Yon. Je dois participer demain matin au jury d’un concours pour la transformation de la Place Napoléon.
PLACE PUBLIQUE > Le serpent de mer! Le Forum des Halles de La Roche-sur-Yon, je vois bien…
FRANÇOIS GRETHER > Ce sera plus clair encore demain! Mais je me rends souvent dans le Grand Ouest en ce moment: on m’a confié au printemps dernier une mission sur le littoral charentais après le passage de la tempête Xynthia. Dans le cadre de l’Atelier littoralmis en place par le ministère du Développement durable, nous devons réfléchir au futur de ce territoire exposé aux risques. On n’y fait rien sans voir d’abord les élus. Il faut d’abord tous les écouter, pas tous ensemble, plutôt en petit comité, et parfois à plusieurs reprises. Le préfet a souhaité tous les réunir, mais ils sont tellement remontés contre l’État ! Et il n’est même pas question de bords politiques différents… Je suis libre, de bonne foi et indépendant, je ne joue pas au billard et je dis tout, et à tout le monde. Cette mission m’intéresse beaucoup, surtout lorsque nous sommes entrés dans les cartes. Là, le dialogue s’est vraiment noué, sur le concret et autour de propositions situées. J’y prends goût parce que j’y retrouve toutes les questions des grands territoires, le rapport à l’eau, les équilibres entre les grands systèmes…
PLACE PUBLIQUE > Le rapport à l’eau, un grand territoire et de grands équilibres… Une situation comparable à celle que vous aviez trouvée en 1991 avec Dominique Perrault à Nantes ? Pas de périmètre, plutôt une figure, l’Île…
FRANÇOIS GRETHER > La commande initiale n’était pas celle-ci: il s’agissait de réfléchir au devenir de l’île Sainte- Anne, la pointe aval, et au quartier dit des « deux-ponts ». Point. C’est Jean-Marc Ayrault lui-même qui nous a passé cette commande lors de notre première rencontre. Notre réponse fut qu’il n’y avait plus désormais qu’une seule île, même s’il est vrai qu’il y en eut beaucoup par le passé. Nous en avons fait le tour, en bateau, et nous lui avons proposé de dénommer l’ensemble « île de Nantes ». J’ai d’ailleurs été frappé par cette première rencontre avec Jean-Marc Ayrault, par l’intensité de son écoute surtout. Rare. Le courant est donc très bien passé et il m’a ensuite confié une autre mission sur le devenir des universités nantaises : recueillir un point de vue extérieur, différent en tout cas de celui de ses collègues adjoints, euxmêmes universitaires, sur ces sites et leurs évolutions2.
PLACE PUBLIQUE > Quelles ont été les suites de votre mission sur l’Île?
FRANÇOIS GRETHER > Nous avons proposé l’implantation de la Cité judiciaire sur l’Île pour matérialiser et incarner rapidement la reconquête. Engager, vite, par une prise de territoire. Nous avons choisi le lieu, face au quai de la Fosse et face au centre-ville, que l’on regarde et qui regarde, avec une passerelle pour un accès direct et à proximité du quartier des « deux-ponts ».
PLACE PUBLIQUE > Peut-on tracer un parallèle entre la « prise de site » de la Bibliothèque de France à Paris, implantée par Dominique Perrault dans le 13e arrondissement sur cette Zac de Paris-Rive gauche dont vous avez accompagné les débuts, et la « prise de site » du palais de Justice de Jean Nouvel ?
FRANÇOIS GRETHER > La comparaison est valable, mais l’histoire est différente. La programmation de Paris-Rive gauche était déjà fort avancée. Je venais d’y travailler durant près de cinq ans. Cela dit, il s’agit en effet de deux lieux symboliques qui, chacun à leur échelle, pèsent beaucoup sur une ville, dans la symbolique des lieux, dans leurs relations avec les autres parties de la ville… Ce sont des clés de lecture – même si l’on ne fréquente pas une Cité judiciaire ou une Bibliothèque nationale quotidiennement. Mais à Paris, un programme, la BNF, cherchait son lieu. Il y a des programmes qui cherchent leurs lieux et des lieux qui cherchent leurs programmes! L’urbanisme n’est que la rencontre entre un programme et son lieu.
PLACE PUBLIQUE > Concrétiser ce qui doit advenir ?
FRANÇOIS GRETHER > L’accroche et la rencontre, parfois heureuses, sont toujours intéressantes. Cela me rappelle l’histoire du musée des Confluences à Lyon, à la pointe de la presqu’île entre Rhône et Saône. Élaboré par Michel Côté, le programme de ce musée était passionnant. J’avais par ailleurs déjà pointé ce lieu en expliquant à Raymond Barre toutes ses potentialités. L’architecture a péché, c’est une autre histoire – enfin, je l’ai su dès le jury du concours. Mon travail a consisté à appuyer la rencontre entre deux potentialités, le programme et le lieu. Raymond Barre a été facilement convaincu. Avec Gérard Collomb, il nous a fallu un dîner. Mais l’ancien adjoint à l’urbanisme, Henri Chabert, est toujours resté hostile à cette idée.
PLACE PUBLIQUE > Poursuivons le parallèle: pourquoi ne pas avoir choisi la pointe aval de l’Île de Nantes pour la Cité judiciaire?
FRANÇOIS GRETHER > La Cité judiciaire n’était peut-être pas assez emblématique. Ce n’est pas un équipement social ou culturel habituel. Plutôt un symbole fort de la République qui devait être en relation avec l’existant, dans un contexte urbain et non sur un site excentré. D’où la passerelle: dès le début, les deux allaient de concert dans notre esprit. Mais nous avions pris un risque, parce que notre idée de départ était mauvaise, tactiquement mauvaise, puisque nous avions dit que cette île était très grande. Nous avions regardé attentivement le nombre de mètres carrés construits annuellement à Nantes pour en déduire qu’il faudrait bien cinquante années avant d’urbaniser complètement ce grand territoire. Il s’agissait donc de s’organiser dans le temps, gérer les pleins et les vides, faire parfois même du provisoire…
PLACE PUBLIQUE > Prendre la suite et ne pas fermer le jeu, c’est votre position de principe?
FRANÇOIS GRETHER > Mais le provisoire convient rarement aux élus ! Et puis l’idée qu’il faille peut-être défaire ce que l’on aura fait ne plaît guère. Nous avons un peu divergé avec Dominique [Perrault], que j’apprécie beaucoup par ailleurs. Je ne l’ai pas suivi dans ses initiatives s’inspirant du land art, et notre mission s’est peu ou prou arrêtée sur ces entrefaites.
PLACE PUBLIQUE > Finalement, le plan-guide d’Alexandre Chemetoff était une manière raisonnée de gérer cette temporalité…
FRANÇOIS GRETHER > Certainement, mais lorsque la proposition du plan-guide est arrivée, presque dix ans plus tard, plusieurs études préalables avaient été menées et les jalons étaient clairement posés. Au début des années 1990, notre mission était encore légère et intuitive, et nous n’avions pas la prétention de proposer un projet complet.
PLACE PUBLIQUE > Comment décrire le rapport de Nantes à son fleuve en particulier et à l’eau en général ?
FRANÇOIS GRETHER > Curieusement – mais c’est révélateur – j’ai souvent travaillé sur des rivages. La Loire est fabuleuse, très excitante, et j’aurai travaillé un peu partout le long de son cours, Orléans, Angers, Saumur… Je m’en étonne, ayant l’impression de ne jamais agir volontairement dans ce sens-là. Dans la région, je viens de m’y intéresser encore tout récemment, avec Joan Busquets, pour la consultation sur les berges de la Maine à Angers. Je suis pourtant un terrien, attaché à ma région où je pioche ma vigne. Je suis un homme de la forêt et des montagnes, loin des rivages en tout cas. Mais je pense qu’il s’agit simplement d’une crispation des enjeux de l’époque autour des rivages, lieux fondamentaux de l’implantation des villes, comme chacun sait. Chaque époque de grands projets urbains coïncide avec une interrogation renouvelée sur les rivages. La nôtre est ouverte depuis une quarantaine d’années, depuis les années 1970, les Docklands, Barcelone qui se retourne vers la mer, Lisbonne, Santiago du Chili, Shanghaï… Toutes sont successivement passées par là. Les questions que soulève cet intérêt pour le littoral sont très profondes, l’horizon, la ligne de fuite, le besoin d’un ailleurs, la recherche d’une étendue. Cette quête nous poursuit depuis que les villes se sont affranchies de leurs enceintes médiévales.
PLACE PUBLIQUE > Que signifie cette quête d’horizon?
FRANÇOIS GRETHER > Je me souviens du sociologue américain Richard Sennett disant que les villes avaient perdu leurs délimitations et qu’il ne leur restait plus, de leur origine, que le carrefour. Je pense aussi à l’influence de l’urbaniste catalan Ildefonso Cerdà qui souhaitait urbaniser la campagne et ruraliser les villes: un basculement profond et la naissance d’une inquiétude irrésolue, individuelle et collective. Cette inquiétude anthropologique a dès lors besoin de s’inscrire dans un ailleurs, mais le monde entier est urbanisé. Jusqu’au sommet du mont Blanc, la nature est marquée par l’empreinte humaine. La nature, les saisons – il n’est qu’à voir avec quelle solennité on présente en général le temps qu’il va faire le lendemain – et l’eau: tous ces éléments qui échappent au contrôle complet sont donc aujourd’hui extrêmement valorisés, à Nantes et partout ailleurs dans les villes. C’est la limite qui donne aujourd’hui à réfléchir sur la nature-même du phénomène urbain.
PLACE PUBLIQUE > Et Rennes ?
FRANÇOIS GRETHER > J’y ai travaillé, mais pour des missions modestes. À la Courrouze, avec la MRAI, mais c’était un peu court. Mais je me souviens également d’une mission sur la route de Fougères, en compagnie d’interlocuteurs forts stimulants. Je pense en particulier à Jean- Yves Chapuis, chargé des formes urbaines pour Rennes Métropole, et au directeur des services. Il est d’ailleurs remarquable qu’à Rennes aussi bien qu’à Nantes on retrouve dans ces deux villes l’un des personnels les plus compétents avec lequel il m’ait été donné de travailler. Ils sont techniquement solides, bien gouvernés, et avec peu de guerres intestines. C’est un plaisir, pour un urbaniste extérieur, de travailler dans ces conditions.
PLACE PUBLIQUE > Et les promoteurs, sur ces deux scènes, nantaise et rennaise?
FRANÇOIS GRETHER > Les ressources ne s’y limitent pas aux grands promoteurs nationaux et c’est une clé essentielle si l’on s’intéresse à la qualité architecturale. Ces deux villes construisent beaucoup et entretiennent donc un vivier de promoteurs régionaux, dynamiques et variés, et qui construisent pour pas cher. J’éprouve un intérêt personnel pour la vie urbanistique rennaise, très vertueuse oserais-je, et sur bien des points de vue. Il faudra bien un jour que je cherche à satisfaire une curiosité que ces missions trop fragmentaires auront simplement éveillée!
PLACE PUBLIQUE > Quels sont donc les « territoires de projets » au sein de ces deux régions métropolitaines ?
FRANÇOIS GRETHER > J’aime beaucoup l’aventure de l’Île de Nantes et je reste un fanatique de l’estuaire porté jusqu’ici par une véritable vision, celle de Laurent Théry. Certes, l’on n’y parviendra jamais à une continuité bâtie, mais cette vision métropolitaine a beaucoup de sens, en profondeur et d’un point de vue stratégique. L’estuaire nous projette au-delà de la ville bâtie: comment articuler les grands espaces ouverts et le système des villes ? Il nous faut dé-hiérarchiser notre système urbain. Pour moi, le modèle reste la Suisse pour la possibilité qu’elle offre de vivre le réseau urbain. Pour tresser un parallèle, j’adore la biennale Estuaire. J’aime traverser ces mondes, la centrale de Cordemais, les campagnes, les friches, le canal… Une ville avec de la campagne.
PLACE PUBLIQUE > En effet, Nantes n’est pas au bord de la mer, contrairement à ce que l’on a voulu nous faire croire, et il reste de vastes espaces non urbanisés entre les deux… Au débouché de l’Arno en Toscane, on est à la périphérie immédiate de deux métropoles régionales, Pise et Lucca, avec au fond, Florence, et un peu plus de 400 000 habitants. Comparable à Nantes, tout ça, tout comme la distance jusqu’à la mer: comme si une cité de la taille d’Angers s’insérait à mi-chemin de l’estuaire de la Loire à la place de Savenay!
FRANÇOIS GRETHER > Oui, mais on aurait tort de considérer pour quantité négligeable les espaces naturels. Il faut les porter, les faire apparaître et leur donner de l’intérêt pour qu’ils pèsent en retour dans le système urbain. En ce sens, la référence au « système de parcs » conserve toute sa validité, et le paysage de l’estuaire actualise cette notion, entre espaces ouverts et espaces urbains, un mode d’organisation équilibré. Au fond, il s’agit toujours de la même question: comment faire entrer les espaces naturels dans la danse urbaine? L’estuaire offre une bonne illustration d’un système articulant les pleins et les vides. Il cherche à rompre avec la vision classique de la ville radio-concentrique où la campagne attend l’heure à laquelle elle va être dévorée par la ville, tout en alimentant la spéculation foncière.
PLACE PUBLIQUE > Esquiver le périmètre, c’est un peu ce que vous aviez réussi en identifiant la figure de l’Île de Nantes… Échapper à la Zac! Le plan-guide n’aurait-il été possible et concevable qu’à une seule condition: que cette figure de l’Île ait été isolée au préalable?
FRANÇOIS GRETHER > Votre question renvoie à la nécessité du travail réflexif en amont du projet et il n’y a rien de fortuit à voir aujourd’hui se multiplier les consultations soit sur des territoires plus vastes, soit sur des durées temporelles élargies, 2020, 2030… Le périmètre, nous verrons bien le moment venu, sinon il est inutile de nous consulter ! Le périmètre n’est qu’un outil de travail, un outil foncier. Les consultations intelligentes dissocient généralement périmètre d’étude et périmètre de réflexion – même s’il est toujours un peu paradoxal de « périmétrer » la réflexion!
PLACE PUBLIQUE > Avec le Bas-Chantenay, nous sommes au coeur de cette problématique: une première étude urbaine menée par Pierre Gautier en 2004-2005 sur un vaste secteur le long de la Loire, et puis le lancement en cet hiver 2010 d’une opération sous votre conduite avec le promoteur Brémond sur l’ancien site du fabricant de cartouches d’encre, Armor…
FRANÇOIS GRETHER > Nous avons juste essayé de comprendre un peu au-delà comment s’y nouait le rapport entre le Haut et le Bas-Chantenay, le relief, le devenir des transports sur cette zone… Le promoteur est original, mais le cahier des charges est pragmatique: des bureaux, un nouveau siège social, et des logements dont le chantier démarre alors que le siège attendra encore un peu, le temps que la crise soit derrière nous. Je souhaite ouvrir au sein de cette emprise un nouveau parcours, un chemin délicat, accessible à tous et qui ne desserve pas seulement les nouvelles constructions. Étendre la perméabilité de l’îlot et garder la possibilité d’y accueillir un petit équipement ou des commerces. J’ai aussi souhaité la présence d’un plot un peu fort en bordure de la rue Chevreul, juste à côté du bâtiment existant, repris mais pas excessivement transformé. Un peu plus loin, un bâtiment d’activités très long, une centaine de mètres, facile à partager, et surtout très bas alors que les autres propositions avaient plutôt tendance à créneler cet édifice. Il faut, à mon sens, laisser passer le regard sur l’une des grandes portes ouest de Nantes. J’aurais juste aimé que les deux écritures architecturales choisies pour les logements s’interpénètrent un peu mieux.
PLACE PUBLIQUE > Un mélange?
FRANÇOIS GRETHER > Non, je ne suis pas favorable à l’harmonisation des architectures, mais j’aurais aimé que les architectes se partagent plus aléatoirement qu’ils ne l’ont fait les immeubles sur la totalité de l’emprise. Pour des raisons de commodités, de parking en premier lieu, ils se sont un peu partagé le site en deux. Je préfère pour ma part l’hybride et le composite. Il y a pourtant une forme de jeu très stimulant à privilégier l’aléatoire et le contradictoire.
PLACE PUBLIQUE > Une génération d’architectes déjà aguerris émerge en ce moment à Nantes et Rennes…
RANÇOIS GRETHER > Je pense que les deux écoles d’architecture y sont pour beaucoup. Il y a autour de ces deux scènes beaucoup de professionnels pleins de qualités et de savoir-faire. Je suis frappé, et même admiratif face à leur vitalité. J’irais jusqu’à parler d’une écriture contemporaine, spécifique désormais à cette région. À Nantes, je les vois cependant un peu plus doux, souples, un peu moins rigides qu’à Rennes. Je me trompe peut-être… Il y a en tout cas des parentés entre les deux. À chaque participation à un jury, je découvre de nouvelles équipes pleines de qualités, savoir-faire et pragmatisme. C’est une richesse qui ne se rencontre pas partout. Il leur manque peut-être, à certains, l’occasion d’exprimer toutes leurs qualités à travers des projets plus importants et renfermant une plus forte charge symbolique. Leur offre-t-on ces programmes ? Ou bien lorsqu’ils se dessinent, les réserve- t-on plutôt pour des Parisiens ou des étrangers ?
PLACE PUBLIQUE > Deuxième solution?
FRANÇOIS GRETHER > Mais ça viendra, j’en suis sûr. Et puis il faut que ces équipes talentueuses travaillent plus souvent hors de leur région désormais.