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Initiatives urbaines
#08
Françoise Gatel :
« On peut coopérer davantage »
RÉSUMÉ > Le volet intercommunal du projet de loi de réforme des collectivités territoriales prévoit l’achèvement de la carte intercommunale pour le 1ermars 2013. Le périmètre des communautés de communes et d’agglomération pourra être corrigé. Et le texte de loi modifie notamment la répartition des sièges entre communes membres au sein du conseil communautaire, l’assouplissement des conditions de création d’une communauté et de sa fusion avec une autre communauté, la création du schéma départemental de coopération intercommunale, etc.

     Dans chaque département, le préfet, après avoir invité les élus à réfléchir et à décider les évolutions pourra d’abord proposer puis imposer la création de nouvelles communautés, la modification des périmètres, la fusion de communautés. Le dossier paru dans le n° 7 de Place Publique Rennes comprenait une interview de Paul Kerdraon, maire (UMP) de Pacé et une analyse de la réforme territoriale par Roger Morin, ancien directeur général des services de la ville de Brest.

     Nous poursuivons l’étude de ce dossier avec deux interviews, celle de Françoise Gatel, maire de Châteaugiron et présidente de l’Association des maires d’Illeet-Vilaine, et celle de Michel Gautier, maire de Betton et vice-président de Rennes Métropole chargé de la communication et de la démocratie intercommunale. Deux articles complètent ces points de vue : celui de Laurent Givord, directeur de l’Audiar, qui a cartographié les bassins de vie du département, et celui de Jean Luc Richard, maître de conférences à Rennes 1 sur les problèmes de gouvernance des intercommunalités .

PLACE PUBLIQUE > Où en est l’intercommunalité en Ille-et- Vilaine?

FRANÇOISE GATEL >
L’intercommunalité est quasi-achevée en Ille-et-Vilaine: la dernière commune isolée, Dinard, va intégrer le 1er janvier 2012 la communauté de communes du Pays de Saint-Malo. Aujourd’hui les élus d’Illeet- Vilaine, tout en étant des ardents défenseurs des communes (défendre la commune n’est pas forcément rétrograde), savent qu’il est banal de travailler en intercommunalité. La prise de conscience est très ancienne. Contrairement aux territoires découpés par l’État, aux régions, aux départements, aux cantons, l’intercommunalité est un territoire voulu, construit par des élus pour coopérer afin d’être plus efficaces. Une commune ne peut plus y être opposée. Une communauté de commune n’est pas une collectivité locale mais un Etablissement public de coopération intercommunale qui permet à la commune de continuer à exister comme échelon de proximité irremplaçable. Il faut bien sûr garder ce repère qu’est la commune. C’est là que se construit le tissu social mais il ne faut pas qu’elle soit impuissante. Justement, les élus peuvent définir les compétences de l’intercommunalité: certaines sont obligatoires, d’autres facultatives. C’est assez fabuleux de se dire qu’en France peut vivre à côté d’un système extrêmement centralisateur, cet espace de liberté et d’intelligence. L’intercommunalité est un fait acquis, c’est l’avenir.

PLACE PUBLIQUE > Qu’entendez-vous par « efficacité »?

FRANÇOISE GATEL >
C’est un mot qui fait parfois peur aux élus. Mais j’y crois beaucoup. Ils sont les porte-parole de leurs concitoyens qui attendent des réponses à leurs besoins. Où que l’on soit les exigences sont fortes. Et souvent une commune ne peut pas y répondre seule. Prenez la petite enfance. Les femmes travaillent: il faut des dispositifs d’accueil, des crèches notamment. Mais à l’échelle d’une commune, c’est injustifié et beaucoup trop coûteux. À plusieurs, c’est utile, le service est meilleur et la dépense partagée.

PLACE PUBLIQUE > Le paysage actuel de l’intercommunalité en Ille-et-Vilaine doit-il évoluer ?

FRANÇOISE GATEL >
Il doit rester divers pour prendre en compte la diversité des situations. Nous sommes en fait l’un des seuls départements à avoir entamé la réflexion. Le préfet nous a encouragés à le faire. Il rythme nos travaux. Si, au retour des vacances, on paraît oublier le dossier, il se charge de nous le rappeler. Nous avons déjà organisé ou participé à une douzaine de réunions d’élus, à des débats avec des sénateurs, des présidents d’intercommunalités. En tant que présidente de l’Association des maires, j’ai encouragé toutes les intercommunalités à regarder où elles en sont, à faire le bilan de leur action, à se demander quelles sont les attentes et les besoins de leur territoire et à réfléchir à leur capacité à y répondre. Si la réponse est négative, il faut qu’elles revoient leurs ambitions à la baisse ou qu’elles concluent qu’elles ont besoin des autres et qu’elles parlent avec leurs voisins dans une démarche réfléchie. Mais je ne crois pas que parce qu’on est petit on est forcément inutile ou inefficace ou qu’en étant plus grand on serait forcément la voie de l’avenir. C’est un peu plus complexe que cela. Si vous êtes petit et que vous n’avez pas de moyens, oui il y a un problème. Il y a bien des PME et des multinationales. Toutes peuvent être efficaces. Aux élus d’être audacieux, courageux.

PLACE PUBLIQUE > Qu’est-ce qui se prépare?

FRANÇOISE GATEL >
C’est encore trop tôt pour le dire. Les élus réfléchissent, s’interrogent, se parlent. Et nous avons des échéances. La Commission départementale de l’intercommunalité s’est réunie. Des réunions d’information sur la nouvelle loi ont eu lieu. Les présidents d’intercommunalités ont été réunis en juillet et le seront à nouveau en novembre.

PLACE PUBLIQUE > Rien n’est donc établi…

FRANÇOISE GATEL >
Non. Mais certaines intercommunalités ont pris des délibérations.

PLACE PUBLIQUE > Plutôt pour dire qu’elles ne veulent pas bouger ?

FRANÇOISE GATEL >
Il ne faut pas que l’on soit dans des communautés fermées, des petits villages gaulois. Mais si l’on sait expliquer rationnellement les raisons pour lesquelles la situation actuelle est préférable, pourquoi pas?

PLACE PUBLIQUE > Il faudra mettre fin en tout cas aux discontinuités territoriales, aux enclaves…

FRANÇOISE GATEL >
Nous en avons trois :
     - la commune du Verger fait partie de Rennes Métropole depuis dix-huit ans. Mais elle en est séparée par les communes de Talensac et de Bréal-sous-Montfort.
     - Moulins d’un coté, Moussé et Drouges d’un autre sont séparées du noyau du Pays guerchais ;
     - Enfin, la commune de Chancé est détachée de la communauté du Pays de Châteaugiron.

PLACE PUBLIQUE > Ce problème sera-t-il facile à résoudre?

FRANÇOISE GATEL >
Oui, si les élus sont tous d’accord, mais… ça va être beaucoup plus compliqué que cela. En tout cas, ça avance. En fin d’année, nous en saurons plus. Et puis le préfet titille certaines intercommunalités. À un moment, je suppose qu’il y aura des écarts entre sa vision et celle des élus. Le préfet tranchera. Mais le départ d’une commune peut avoir de lourdes conséquences, en particulier financières. Aucune commune ne peut raisonner toute seule dans son coin. Si vous partez, vous devez raisonner en solidarité avec les gens avec lesquels vous avez vécu. Et quand on a vécu longtemps ensemble, c’est plus difficile de se séparer.

PLACE PUBLIQUE > On évoque souvent un problème de gouvernance des intercommunalités.

FRANÇOISE GATEL >
C’est une question de fond qui transcende les partis. Une question politique avec un grand « P ». Dans un conseil de communauté à taille humaine, tous les élus peuvent faire entendre leur voix, qu’ils représentent une commune de 1500 habitants ou de 12000 habitants. Vous jouez sur un pied d’égalité et vous êtes plus proche des citoyens. Quand vous êtes dans un conseil de 120 membres, vous changez de monde et c’est plus difficile pour le 120e. Quant à la proximité… Dans une communauté urbaine où la voirie est une compétence communautaire, vous avez le temps de vous briser la jambe dans le nid de poule avant que le message parvienne au bon service. Je connais une Communauté urbaine où ils ont réinventé une Direction… de la proximité!

PLACE PUBLIQUE > Ça renvoie à un problème de taille des communes, non? Diminuons leur nombre, nous diminuerons le nombre de leurs représentants et les conseils communautaires seront moins nombreux!

FRANÇOISE GATEL >
[Sourire…] C’est un fait : nous avons 36 000 communes. Il faut faire avec. La loi va leur ouvrir la possibilité de fusionner pour former des communes nouvelles. C’est aux élus de décider. Mais le jour où vous rayez des communes de la carte, vous rayez aussi des élus municipaux. Je peux vous dire qu’ils ne sont pas élus pour la gloire, ni pour l’argent. Simplement, ils ont envie de donner un peu de leur temps et de leurs compétences. C’est comme le milieu associatif. Soit vous étatisez tout. Soit vous laissez la liberté aux gens de s’engager dans la société. Tous ces élus sont formidables. Dans des régions de montagne où il ne reste plus que des personnes âgées, s’il n’y a pas un élu pour veiller à ce que le pain et les médicaments arrivent, qu’est-ce qui se passera ? Ayons un regard positif sur ce que ça signifie d’être en réunion tard le soir, ou sur le front des inondations la nuit. Tout cela, ça fait des sociétés meilleures et plus justes.

PLACE PUBLIQUE > Autre problème de gouvernance: certains regrettent que les conseillers communautaires ne soient pas élus par les citoyens, mais par les conseils municipaux. Qu’en pensez-vous ?

FRANÇOISE GATEL >
Ça m’agace. C’est une fausse bonne remarque qui ne sert qu’à tenir des discours simplistes. L’intercommunalité, c’est la prolongation de l’action communale. Il faut sans doute un plus lien plus étroit entre l’intercommunalité et le citoyen. Davantage d’information et une plus grande participation des conseillers municipaux dans des commissions par exemple. La seule obligation de l’intercommunalité, c’est la présentation d’un rapport d’activité annuel devant chaque conseil municipal des communes membres. C’est insuffisant. Je connais des communes où le maire refuse que le président de la communauté de communes se présente devant le conseil municipal. Ce n’est pas la bonne méthode. En 2014, lors des élections municipales, les noms des candidats au conseil communautaire seront soulignés et l’opposition sera représentée. C’est très bien. Deux élections, séparées, sans lien avec les conseils municipaux, ça serait le bazar. Il faut faire très attention.

PLACE PUBLIQUE > Le statut de métropole accessible à partir de 400 000 ou de 500 000 habitants est-il encore à l’ordre du jour ?

FRANÇOISE GATEL >
Ce n’est pas fini. La question doit être posée et les élus doivent s’interroger là-dessus sereinement et calmement. Si la communauté d’agglomération rennaise devenait métropole et si elle obtenait des compétences exercées aujourd’hui par le département, il faudrait en même temps s’intéresser au reste du territoire, qu’il y ait une vraie solidarité entre la métropole et ce qui subsisterait du département.

PLACE PUBLIQUE > Que pensez-vous du travail de l’Audiar, des cartes des bassins de vie en Ille-et-Vilaine. Ne montrent- elles pas que les intercommunalités doivent évoluer ?

FRANÇOISE GATEL >
Je trouve intéressante la partie factuelle. Nous avons d’ailleurs diffusé cette étude à tous les élus de toutes les communes. Mais je ne suis pas d’accord avec les conclusions. Déduire de ce que 50 % des gens d’une commune travaillent à Rennes qu’il faut une organisation administrative calquée là-dessus… Je constaterais plutôt que 50 % de mes concitoyens qui vont travailler à Rennes habitent chez moi et que c’est là leur première proximité. Quand nous avons fait le Scot au niveau du pays de Rennes, on a justement affirmé une conception de la ville archipel: une métropole certes, mais aussi des pôles d’appui qui abritent l’essentiel des services. Si vous avez un problème de santé, vous irez à Rennes ; c’est la fonction métropolitaine. Mais vous achetez votre baguette près de chez vous : c’est la fonction de proximité. Les deux sont nécessaires.

PLACE PUBLIQUE > Vous voulez dire que c’est la conception de l’intercommunalité qui doit évoluer ?

FRANÇOISE GATEL >
Nous avons les communes et les communautés de communes. On peut aller plus loin et parler de coopération entre les intercommunalités comme nous l’avons fait pour bâtir le Scot. Aujourd’hui une intercommunalité ne peut pas rester isolée. Nous avons décidé de réunir les 67 communes du Pays de Rennes pour établir un plan vélo. On n’a pas besoin d’être mariés pour ça. On fait des choses ensemble parce qu’on en a besoin. Le Pays de Rennes est financé par les intercommunalités qui en sont membres, ça ne me gêne pas. Le pays peut se donner la compétence tourisme, ça va optimiser l’offre de la ville. Même chose pour le transport. Un syndicat mixte et ça marche. Ce dont nous avons besoin, c’est de l’intelligence pour agir. Il n’y a pas d’organisation humaine qui puisse faire tout. Regardez la gestion de l’eau. C’est une affaire de bassin versant et pas de frontières communales ou intercommunales. Je pense que la France souffre de la maladie de la centralisation et de l’uniformité, Je comprends que des énarques brillants se disent que des communes de 50 habitants, c’est nul. Mais il faut qu’ils aillent se promener partout. Il n’y a pas une seule réponse. On a le devoir de bouger, mais aussi celui de refuser que tout doive tenir dans une seule carte.

PLACE PUBLIQUE > La réforme des finances locales ?

FRANÇOISE GATEL >
C’est une menace de mort lente pour les communes. Si elles n’ont plus de moyens financiers, elles ne pourront plus exercer leurs compétences. Et puis, on ne peut pas avoir en France des intercommunalités qui auraient beaucoup d’argent et d’autres non. Il faut une justice des moyens. Sinon, les communes rurales crèveront. En Bretagne, on a un réseau de villes moyennes. On a voulu ce modèle de développement. Ça produit une société plus juste plus équilibrée avec moins de violence et d’agressivité. Une organisation territoriale doit correspondre à des valeurs. Elle est faite pour servir les gens. Etre heureux, c’est disposer de services dans un cadre de vie où l’on peut nouer des relations sociales, des liens de solidarité, des engagements de citoyens.