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Initiatives urbaines
#08
Michel Gautier :
« Si Rennes Métropole s’étoffait un peu,
ce serait bien »
RÉSUMÉ > Deux réformes vont affecter dans le proche avenir la manière dont les communes et les intercommunalités se partagent la conduite de l’action publique territoriale de proximité. L’une, présentée comme suppression de la taxe professionnelle a déjà eu lieu, et les effets prévisibles commencent à en être discernables. L’autre, volet de la réforme territoriale concernant le « bloc communal », peut être tenue pour probable en dé- pit du cheminement plutôt chaotique du projet au Parlement

PLACE PUBLIQUE> Quel regard portez-vous sur l’intercommunalité en Ille-et-Vilaine?

MICHEL GAUTIER > Nous avons une métropole de plus de 400 000 habitants. Si elle pouvait s’étoffer un peu, ça serait bien car il est nécessaire de renforcer les logiques de territoire, l’attractivité économique. En dehors de cet aspect, force est de constater que les autres communautés de commune sont de tailles très… diverses. Certaines sont plus petites que la commune de Betton. Globalement, elles n’ont pas la taille nécessaire pour être efficace. Il faudrait qu’elles se regroupent pour atteindre – ce serait l’idéal – une population de 20 000 à 30 000 habitants au minimum par communauté de communes.  

PLACE PUBLIQUE > Quel rapport faites-vous entre population et efficacité?

MICHEL GAUTIER >
C’est comme dans les villes. Quand vous franchissez un seuil, les choses deviennent plus faciles. Ça permet d’offrir plus de services, des écoles, des cantines, des équipements publics. Il faut une taille minimale pour pouvoir offrir ce que demandent les citoyens eux-mêmes, surtout quand ils arrivent de la ville. L’intercommunalité, c’est à peu près pareil: vous n’aurez pas une collecte de déchets, un service de transport, une politique économique si vous n’avez pas la taille nécessaire pour répondre aux attentes. Espérons que la réforme territoriale puisse le permettre. C’est compliqué… Cette période suscite bien des oppositions…

PLACE PUBLIQUE > C’est la ville qui fait peur ?

MICHEL GAUTIER >
Quand vous êtes issu d’une commune périurbaine, vous avez toujours peur de la grande ville qui va vous manger, qui va vous enlever votre liberté. C’est presque un réflexe normal. Et que des communautés de communes le vivent mal, ça ne m’étonne pas.

PLACE PUBLIQUE > Pourtant, au conseil de Rennes Métropole, la Ville de Rennes a moins de voix que l’ensemble des communes qui lui sont associées.

MICHEL GAUTIER >
Avec cette règle, Edmond Hervé a mis en route un processus qui donnait de bonne chances de succès à l’intercommunalité. Au fil du temps, ça s’est vérifié. On oublie toujours ça : c’est grâce aux voix des conseillers périphériques que la première ligne de métro a été votée. Il y avait davantage de scepticisme du côté rennais ! L’intercommunalité, ce n’est pas blanc contre noir. C’est plus complexe qu’on ne le dit !

PLACE PUBLIQUE > Des communautés de communes des alentours seraient d’accord d’adhérer à Rennes Métropole?

MICHEL GAUTIER >
On voit bien qu’il n’y a pas d’enthousiasme. Certaines communautés sont sans doute plus mûres que d’autres, celle du Pays d’Aubigné par exemple. C’est un Pays où beaucoup reste à faire et dont certaines communes au moins pourraient venir s’appuyer sur nous. Et puis, il y en a d’autres qui développent des stratégies de refus. Est-ce défendre l’intérêt du citoyen? À mon avis, c’est une vision à très court terme. Il faudrait un regard un peu plus politique. La communauté du Val d’Ille vit bien grâce à la zone commerciale Cap Malo et les recettes qu’elle en tire. Pas question pour elle de bouger, mais c’est du court terme. Les salariés rennais qui travaillent à Cap Malo n’ont même pas de bus pour y aller, les consommateurs non plus d’ailleurs. Troisième exemple : quand Noyal-sur-Vilaine, en 2005, a quitté Rennes Métropole pour la communauté de communes de Chateaugiron, ce fut en termes d’aménagement du territoire une aberration. La première motivation des villes doit quand même être de préparer demain.

PLACE PUBLIQUE > Au fond, plusieurs solutions sont possibles: le maintien de la situation actuelle, l’association de communautés de communes entre elles, l’association de communautés avec Rennes Métropole ou la reconfiguration de certaines communautés ?

MICHEL GAUTIER >
Je pense qu’il faut laisser le choix. On ne peut pas y aller à la hussarde. D’abord, la nécessité pour Rennes Métropole d’atteindre 500 000 habitants pour accéder au statut de métropole ne semble plus à l’ordre du jour puisque le projet de loi a été vidé de son contenu4. Que le Pays d’Aubigné s’associe avec le pays de Liffré ou, pour certaines de ses communes, avec le pays d’Antrain, ça serait aussi très bien. On peut également imaginer que les frontières des communautés de communes évoluent. On le saura fin 2011.

PLACE PUBLIQUE > Dans un document de 2006, la Préfecture voyait bien la communauté de communes de Chateaugiron et celle du Pays guerchais rejoindre la communauté du pays de Vitré. Qu’en pensez-vous ?

MICHEL GAUTIER >
Ça, ce sont des assemblages de hauts fonctionnaires! On sent le ministère de l’Intérieur là-dessous ! Il y a quand même d’autres réalités : les déplacements domicile – travail, ceux vers les écoles, l’emploi, la vie des associations, les zones de chalandise, les bassins de vie. Une Communauté de communes ça sert aussi à ça. La réalité, par exemple, c’est que vous n’allez pas vers Saint-Malo si vous habitez au sud de Rennes, vous n’allez pas faire vos courses à Pacé si vous habitez Cesson. La vie quotidienne a une incidence sur l’organisation des territoires. Si Saint-Aubin-du-Cormier veut regarder vers Fougères, pourquoi pas ?

PLACE PUBLIQUE > Que répondez-vous à ceux qui accusent Rennes-Métropole
de vouloir avaler tout et qui disent que, bientôt, c’est toute l’Ille-et-Vilaine qui ferait partie de Rennes Métropole?

MICHEL GAUTIER >
Quand vous êtes maire d’une petite commune et que vous voyez le budget de Rennes Métropole, 425 millions €, vous vous dîtes forcément que l’on fait dans la démesure. Tant que tout cela n’est pas expliqué, ce ressenti peut être légitime. Moi, je dis: « Venez voir! » Rennes Métropole n’a aucune envie de s’agrandir pour s’agrandir. Une ligne de bus qu’il faut prolonger pour desservir de nouveaux habitants, ça a aussi un coût ! Il faut surtout se poser la question de ce que veulent nos concitoyens… Le deuxième problème, c’est la représentativité. Certains se disent : mieux vaut être le patron dans sa petite intercommunalité qu’un simple conseiller perdu dans une assemblée de 111 conseillers communautaires. C’est un reproche déterminant. Enfin, il y a la peur de la « technostructure ». Rennes Métropole, c’est 1 000 fonctionnaires: qui fait quoi, à qui je m’adresse, à qui je parle? Quand vous êtes maire, et que vous venez à l’agglo trois fois par mois, c’est un peu effrayant…. Moimême, il m’a fallu du temps. Au début, j’entendais des discours sur le développement économique, sur les plans ceci, les plans cela. Je me suis dit: « Où suis-je tombé? » Je comprends bien que tous les maires ne sont pas à temps plein. Mais il faut se bagarrer, se former, être présent, très disponible. Alors, c’est passionnant !

PLACE PUBLIQUE > À Rennes Métropole, vous travaillez avec des fonctionnaires qui ont une culture intercommunale très profonde…

MICHEL GAUTIER >
C’est vrai. Ils sont très attentifs aux élus. Mais il faut veiller à ce qu’ils aillent sur le terrain. Ils sont à la disposition des communes et pas l’inverse. Si une commune est en pleine révision de son plan local d’urbanisme et a besoin d’aide, c’est au fonctionnaire de se déplacer, pas aux élus. L’obstacle que nous avons à gérer en ce moment, c’est celui de la mutualisation des services entre l’agglomération et la ville de Rennes. Autant Edmond Hervé avait donné aux fonctionnaires du district d’abord, puis de Rennes Métropole une vraie culture d’agglomération, autant les fonctionnaires de la Ville de Rennes ne sont pas encore dans une culture métropolitaine. Tout est à faire. Ça va prendre un peu de temps. Quand vous êtes à Rennes Métropole depuis un bout de temps, vous avez l’autorité avec vous. Mais si vous êtes nouveau… Or, la primauté du politique veut que n’importe quel maire-adjoint puisse se faire entendre. C’est cela qu’il faut préserver.

PLACE PUBLIQUE >Y a-t-il des compétences qui doivent rester communales ?

MICHEL GAUTIER >
Les élus ne sont pas prêts à abandonner leur responsabilité en ce qui concerne le droit des sols, les plans locaux d’urbanisme. A un moment, on pensait que les intercommunalités auraient la compétence de grands PLU communautaires. Mais si on enlève cette compétence aux maires, il ne leur reste plus rien. L’urbanisme appartient à ceux qui vivent le territoire tous les jours. C’est fondamental.

PLACE PUBLIQUE > Mais, le schéma de cohérence territorial (Scot) voté par l’ensemble du Pays de Rennes ne limitet- il pas les compétences des maires ?

MICHEL GAUTIER >
Non. Le Scot donne une cohérence. Si on veut garder la ville-archipel, un espace de nature entre Rennes et Betton, les respirations du territoire, il nous faut un Scot… Et puis, le Scot, c’est l’oeuvre des élus. Ce ne sont pas des fonctionnaires qui l’ont élaboré. Même chose pour le Programme local de l’habitat (PLH). Il y a 20 ans, Betton était une commune très désavantagée. Si Rennes Métropole n’avait pas été là pour compenser nos déficits, pour nous donner les moyens d’investir, s’il n’y avait pas eu les transports, la taxe professionnelle unique, le PLH, ma commune n’en serait pas là aujourd’hui. Rennes Métropole a apporté de la cohérence et du développement.

PLACE PUBLIQUE > La taxe professionnelle a disparu. Pour certains, elle manifestait l’existence d’un lien étroit entre les entreprises et leurs territoires. Qu’est-ce qui va jouer ce rôle-là maintenant ?

MICHEL GAUTIER >
Il reste le versement transport… Surtout, il n’y a pas d’entreprise performante qui ne soit nourrie par la recherche, par les laboratoires, l’université, l’innovation, la jeunesse, la culture. Dans les trois premiers critères d’implantation d’une entreprise, on trouve les transports, le logement, l’offre culturelle. Avoir une métropole forte, c’est offrir cette panoplie de services. Rennes Métropole est un territoire qui ose. Le métro, quand même, c’était un défi et c’est une réussite ! Pour la deuxième ligne, les prévisions financières sont favorables. Bien sûr, il faudra être prudent sur les autres investissements. Le chantier du métro, de toute façon, nourrira l’économie locale et régionale. Dans toutes les grandes villes, le transport est une donnée essentielle.

PLACE PUBLIQUE > Les citoyens ne participent pas directement à l’élection de leurs conseillers communautaires. Quelle amélioration imaginez-vous pour corriger cela? Faut-il une élection particulière?

MICHEL GAUTIER >
Je crois qu’il en faut une seule, municipale et communautaire. Si vous êtes conseiller communautaire, c’est parce que vous êtes élu municipal. Je suis vice-président de l’agglomération parce que je suis maire. Il faut que l’élu baigne dans le quotidien des gens, sinon on renforce la technocratie. Donc, une seule élection en affichant celui ou ceux qui représenteront la commune au conseil d’agglomération.

PLACE PUBLIQUE > Comment vous situez-vous lorsque vous êtes amené à effectuer des déplacements dans le cadre de vos fonctions ?

MICHEL GAUTIER >
Méfions-nous du poids et des sirènes de l’intercommunalité, de la volonté d’être le plus gros, le plus fort… N’oublions pas de penser aux réseaux qui se tissent entre les villes du grand Ouest, à l’intelligence qu’il faut mettre dans le développement de nos relations avec Nantes, dans les échanges entre les universités. Caen est maintenant à moins de deux heures de Rennes. On a tout intérêt à avoir ce regard-là. Il ne faut pas être frileux. La région, les relations interrégionales. Voilà l’avenir. C’est peut-être ça qui effraie, de sortir de sa coquille.

PLACE PUBLIQUE > Comment lutter contre ces réactions ?

MICHEL GAUTIER >
Chacun vit dans sa réalité, ce n’est pas étonnant comme attitude. Face à cela, il faut être ni dans les certitudes, ni dans l’arrogance. Il faut expliquer, sans forcer la main. Après, il y a des étapes à franchir, des seuils. Il faut aussi que l’on gère différemment, que l’on mutualise nos outils, il faut une démarche d’explication. Un travail a été engagé par le président de Rennes Métropole, Daniel Delaveau, et le vice-président, Bernard Poirier, pour dédramatiser, pour dire les plus et les moins. On suscite, on invite, mais on ne peut pas obliger. Nous essayons de faire oeuvre de pédagogie.