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Entretien
#08
Gaby Bonnand,
ouvrier syndicaliste
et intellectuel
RÉSUMÉ > Sitôt son BEP de mécanique en poche, Gaby Bonnand s’est engagé au syndicat CFDT dont il est devenu, ces dernières années, l’un des dirigeants reconnus, spécialiste des lourds dossiers de la protection sociale. Après quarante ans de débats, d’actions et de réflexion sur un « vivre ensemble » fortement en crise, l’ancien responsable de l’Union locale CFDT de Rennes, aujourd’hui président de l’Unedic, jette un regard modeste mais lucide sur la société d’aujourd’hui et le défi social et démocratique à relever.

     Gaby Bonnand naît en 1952, à Saint-Etienne, dans le département de la Loire. Ses parents sont des petits fermiers: ils cultivent une dizaine d’hectares, élèvent cinq vaches, quelques cochons… Catholiques très pratiquants, ils militent à la Jac, la Jeunesse agricole chrétienne, le père est très engagé au syndicat agricole, la FDSEA. Un profil qui rappelle trait pour trait celui du paysan breton… Gaby Bonnand sourit: « Mon père a passé une nuit au commissariat pour avoir badigeonné sur les routes: « Libérez les paysans bretons! » »… Second de quatre enfants, le jeune Gaby, en pension à Saint-Etienne grâce à un oncle curé, n’est pas trop porté sur les études. Une décision cependant choque l’adolescent: « On a dit à mes parents: « Il ne peut pas suivre »… »  

PLACE PUBLIQUE > Un fils de petits paysans humilié, tout commence là?

GABY BONNAND >
Tous les copains étaient comme moi, j’étais un manuel, je lisais peu, je n’ai donc pas été très frustré, mais ça m’a marqué. « Il ne peut pas suivre », vous êtes en échec, donc pour vous c’est le cycle court. C’est ce que j’ai ressenti et j’ai toujours voulu prendre ma revanche. Je rentre donc en BEP mécanique générale: fraiseur, ajusteur, tourneur. Nous sommes en 1968, c’est le début des BEP.

PLACE PUBLIQUE > Et les jeunes de l’époque bougent beaucoup…

GABY BONNAND >
Je rencontre des copains qui sont à la Joc. En 1969, les premiers sortants de BEP racontent que les patrons préfèrent embaucher les CAP. Un mouvement naît à Saint-Etienne. Je suis délégué d’une classe assez en pointe. Une coordination des BEP se crée. Lors d’un meeting à la Bourse du travail, je prends la parole. J’ai 17 ans, c’est la première fois, j’ai un trac énorme! Mais il y a une ambiance super sympa, je me souviens avoir ressenti une reconnaissance que je n’avais pas connue auparavant.

PLACE PUBLIQUE > Vient la première embauche et aussitôt le syndicalisme?

GABY BONNAND >
À ce moment-là, on trouve du boulot tout de suite. J’entre comme ajusteur chez un sous-traitant de Citroën, la Scemm, 700 salariés. Comme syndicats, il y a en premier la CGT puis le syndicat maison, la CFT, et en troisième la CFDT. À la CGT, les gens sont très sympas mais la CGT est encore proche du PC, ce n’est pas ma culture. J’adhère à la CFDT tout de suite, en janvier 71. Un an plus tard, je suis muté sur un boulot très intéressant, traceur, mais je suis seul et le temps pour faire le boulot est très serré. J’ai encore des cahiers ici. Pas possible d’avoir de boni donc de prime. J’en parle à une réunion CGT-CFDT: sitôt après, mon chef d’atelier m’insulte, m’envoie sur un boulot de m…, mais il ne trouve personne et doit me reprendre. Après, c’est le service militaire et au retour, la Manufacture de vilebrequins Mavilor, une grosse boîte de 1400 salariés.

PLACE PUBLIQUE > Quelle est le premier grand conflit ?

GABY BONNAND >
Je reste trois ans, de 1973 à 1976, chez Mavilor. On est plein de jeunes, on va au stade voir le grand Saint-Etienne, Larqué, Rocheteau, Curkovic, et je milite principalement à la Joc. L’usine connaît surtout un conflit sur les salaires en 1975. On occupe, on discute beaucoup, il fait beau, j’ai 23 ans, je vis sur un petit nuage! Mais la grève n’est que majoritaire, pas totale. Des non-grévistes menacent de venir avec leur fusil de chasse. Au bout de dix jours, la grève s’arrête, on n’obtient pas grand-chose et les salariés en sortent divisés. Par la suite, j’ai connu quelques ennuis. J’ai fini par me retrouver « muté disciplinaire » à l’atelier de parachèvement, à meuler les bavures laissées à l’estampage. J’aime négocier, mais pas me faire piétiner. Et puis la Joc m’a sollicité: je suis parti permanent national de 76 à 80.

PLACE PUBLIQUE > En 1980, une autre vie militante commence, Rennes…

GABY BONNAND >
J’arrive à Rennes au printemps 80 grâce à Sylviane, que j’ai connue en 78 à la Joc où elle était responsable pour la Bretagne. Je n’ai pas de boulot. Je cherche à entrer en fac, comme par une envie de revanche. Avant de connaître la Joc, j’avais peut-être lu trois ou quatre bouquins, je préférais aller taper le marteau. À la Joc, je me suis mis à lire beaucoup, je me suis notamment pris de passion pour l’histoire. En même temps, je fais des demandes partout dans les boîtes de la métallurgie, sans succès. Chez Citroën, ils vont même enquêter chez les voisins de mes parents ! Je passe alors le concours de la ville de Rennes, comme gardien de square. En mai 81, je suis affecté au cimetière de l’Est et y travaille six mois. Ensuite, je redeviens fraiseur en entrant à l’ERGM à Bruz. Sur les 400 civils employés, 150 sont à la CFDT. Je suis sollicité pour prendre la tête de la section mais je refuse: j’estime qu’il faut toujours faire d’abord ses preuves professionnellement. En 1984, après deux ans à plein temps à la fraiseuse, je prends à mi-temps la responsabilité de la section. En 1986, je passe totalement au syndicalisme avec la fusion des sections CFDT du Celar, de l’Arsenal et de l’ERGM et en 1988, je deviens permanent de l’Union locale.

PLACE PUBLIQUE > Les syndicats vivent alors une fuite des adhérents ?

GABY BONNAND >
On touche le fond. L’Union locale passe de deux à un permanent. En fait, pour la CFDT, la chute a commencé dix ans plus tôt, vers 1977-1978. Il y a eu un pic passager en 1981 avec la victoire de la gauche. Mais, on le voit bien dans les boîtes, l’état d’esprit des salariés change. Les jeunes adhérents qui se syndiquent n’ont pas de passé militant, à la Joc ou ailleurs. Ils sont pragmatiques, ils veulent de l’efficacité. On a donc réinvesti les questions des conditions de travail, des horaires, des trucs très pratiques, c’est là-dessus qu’on a refait des adhérents.

PLACE PUBLIQUE > Après l’Union départementale puis l’Union régionale, viennent en 2002 les responsabilités nationales : rude défi ?

GABY BONNAND >
Du jour au lendemain, tu es bombardé responsable des questions de protection sociale, de la santé, de la retraite. Tu es censé défendre le positionnement de la CFDT, discuter du plan de financement de la Sécurité sociale avec le ministre ou son directeur de cabinet. Des secrétaires confédéraux te font des notes mais tu te sens parfois comme un magnétophone: tu crains la question qui n’a pas de réponse écrite! Ce n’est pas le fait d’être un métallo – un bac + 5 a autant de problèmes –, mais je doute de moi-même. La phrase du collège – « Il ne peut pas suivre » – m’a marqué plus que je ne pensais. Est-ce que je serai à la hauteur ? Le mandat pour moi, c’est important. Donc je bosse dur, je lis. Ma vie à Paris, dans mon studio de 17 m2, c’est du travail et du sommeil.

PLACE PUBLIQUE > Et vient tout de suite la fameuse réforme des retraites de 2003, où les dirigeants CFDT sont vivement contestés ?

GABY BONNAND >
Nous sommes trois à négocier: Jean-Marie Toulisse, François Chérèque et moi. On prépare le dossier à fond. On est convaincu qu’il faut sauver le système par répartition menacé par l’activisme des députés libéraux, Madelin, Longuet, Thomas, etc. Nous nous appuyons par ailleurs sur le congrès CFDT de Lille de 1998 qui a choisi de privilégier la durée de cotisation plutôt que la notion d’âge qui est inégalitaire, pénalise ceux qui ont commencé à travailler tôt, vivent moins longtemps, ont les métiers pénibles. On se bat donc sur les carrières longues, la pénibilité. Autour du 13 mai, les choses se précipitent. L’intersyndicale est fragile, la CGT nous prend à contrepied, la négociation avec le gouvernement est difficile. On obtient malgré tout des contreparties importantes, en particulier sur les carrières longues. Le Bureau national approuve et puis c’est la tempête. J’ai vécu passionnément mais durement aussi des rencontres mémorables, des soirées agressives. Comment convaincre? Le problème, ce ne sont pas les opposants traditionnels, ce sont les autres. L’équité, la justice, c’est toujours compliqué à intégrer. Les gens réagissent par rapport à leur vécu. Quand tu es cheminot ou fonctionnaire, on t’a répété que tu as un droit et ce droit est menacé. Il y en a d’autres qui sont moins bien lotis, d’accord, mais pourquoi j’en subirais, moi, les conséquences? Certains sont encore mieux lotis que moi.

PLACE PUBLIQUE > N’aurait-il pas fallu davantage expliquer, consulter la base?

GABY BONNAND >
On a beaucoup écrit, fait des va-et-vient pendant la négociation, sans sortir du mandat défini au congrès de 1998. Mais ce mandat substituant la durée de cotisation à la notion d’âge, s’il a été voté majoritairement au congrès, a été très combattu par une minorité. Et c’est toujours pareil : la minorité peut avoir plus de force de conviction et déstabiliser des militants. C’est toute la question de la démocratie: comment la faire vivre? Revenir demander aux gens si l’accord est acceptable ou non n’est pas si simple que ça: tu peux te retrouver avec un « non » qui contredit totalement le mandat que t’a donné le congrès, efface tous les compromis précédents, voire détruit des droits des salariés. La démocratie directe est très ambiguë. Avec les nouvelles règles de la représentativité syndicale, il va falloir que les organisations soient super responsables. Négocier un accord, une convention, exige un gros travail d’explication pour que les salariés soient porteurs du compromis, sinon, aux élections suivantes, les candidats radicaux peuvent lancer : « Ce qu’ils ont signé est scandaleux! »; du coup, on ne peut plus être dans la durée, qui est un élément déterminant pour les droits des salariés.

PLACE PUBLIQUE > L’individualisme n’a-t-il pas pris aussi le pas sur le collectif ?

GABY BONNAND >
Je ne dirais pas ça. D’abord, toute l’histoire du syndicalisme, du mouvement progressiste a été que les gens s’émancipent. Et quand ils maîtrisent davantage leur destin, on vient leur dire « Vous êtes individualistes »! Ensuite, ne nous référons pas trop au collectif des « Trente glorieuses », ces années de développement exceptionnel : ça s’est fait dans un monde très inégalitaire! Sur le dos, en partie, de nations et de peuples, de nos colonies. De plus, le collectif pouvait étouffer l’individu: demander de voter à bulletin secret était suspect. Mais c’est vrai que la solidarité a été réelle, on l’a même institutionnalisée. En fait, aujourd’hui, plutôt que de parler d’affaiblissement du collectif, mieux vaut se dire que le rapport individu-collectif ne peut plus être ce qu’il a été. Avec les différences de situations entre les gens, ce rapport est devenu compliqué. Comment recréer la solidarité, le vivre ensemble, en tenant compte de l’individu?

PLACE PUBLIQUE > Le « care » évoqué par Martine Aubry est une piste?

GABY BONNAND >
Je n’utiliserais pas le mot mais oui, peutêtre. Il faut responsabiliser l’individu sans le laisser dans une jungle. Comme l’explique Robert Castel, la Révolution a fait de la propriété un droit inaliénable parce que c’était alors le seul moyen d’assurer ses arrières. La Révolution industrielle a ensuite fait naître le prolétariat, celui qui n’a rien, empêchant l’individu d’être. Tout l’effort du mouvement social a alors été de créer une propriété collective, la protection sociale, qui permet justement à l’individu d’être. Il ne peut être libre sans les moyens de la liberté: revenu, santé, retraite, éducation… Comment réadapter cette propriété collective, créée à une période donnée, pour qu’elle réponde aux besoins d’aujourd’hui? Nos systèmes de protection ont de grosses failles. Le phénomène le plus dramatique qui va nous tomber dessus, c’est la santé. Toute une partie de la population est déjà touchée faute de mutuelle, parce que la mutuelle a pris de plus en plus de place. L’inégalité d’accès aux soins est aujourd’hui une question ca-pi-ta-le. Or, globalement, chez les politiques, il n’y a pas de réflexion là-dessus. Et l’opinion ne s’en empare pas parce que c’est complexe.

PLACE PUBLIQUE > Pas facile de faire passer ses messages ?

GABY BONNAND >
Dans les médias, il est très rare d’avoir le temps de s’expliquer mais il n’y a pas que cela. Pendant mes huit ans à la Confédération, il y a eu cinq ministres. Ainsi, il y a deux ans, Bachelot et Woerth nous reçoivent pour discuter de la loi de financement de la Sécurité sociale. Ils nous disent: « Il faut trouver 2 milliards. » Nous: « Attendez, des études le montrent, il faut réformer le système, revenir sur le financement à l’acte, mieux organiser la relation entre l’hôpital et la médecine de ville… » Réponse de Bachelot : « Je suis d’accord avec vous mais aujourd’hui je dois boucler mon budget ». Alors je dis : « Mme Bachelot, vous êtes la cinquième ministre que je vois. Tous les ans on me dit : « Je suis d’accord avec vous…» » Bachelot coupe: «M. Bonnand, il faut trouver les deux milliards et après on réfléchit. » Et on ne réfléchit jamais. Tout le monde est dans l’événementiel, le court terme.

PLACE PUBLIQUE > Comment faire partager par tous des sujets complexes ?

GABY BONNAND >
Il faut trouver des moyens pour expliquer la complexité du monde. J’aime bien Edgar Morin quand il dit ça. Les partis politiques ne font pas leur boulot. C’est aussi dans les processus de négociation qu’on peut appréhender le mieux la complexité, et on est plutôt faible là-dessus en France. La négociation permet de faire rentrer en contradiction des intérêts divergents. La démocratie c’est ça. Ce n’est pas supprimer une logique. Quand j’entends des économistes libéraux dire que le syndicalisme est un frein au développement économique, c’est le diktat d’une logique. Moi, je ne nie pas la logique financière, la logique économique, la logique de l’actionnaire mais il n’y a pas que cela qui existe! Une anecdote qui en dit long: je reçois à la CFDT des élèves de 3e année de l’École centrale. Il s’agit d’un module optionnel sur les syndicats: 20 à 25 élèves y participent sur une promotion de 80. Ce sont des têtes bien faites et de futurs chefs d’entreprise: ils sont incultes sur le plan social ! Ils le disent eux-mêmes. Réaction devant l’immeuble de la CFDT: « Ah bon, vous avez un siège? » J’explique comment on a préparé tel accord avec nos spécialistes et sur le terrain: « On croyait que le syndicat, c’était des gens qui se mettaient en grève »…

PLACE PUBLIQUE > Les syndicats, pour leur part, n’ont guère donné l’alerte avant la crise financière de 2008?

GABY BONNAND >
Le syndicalisme européen est souvent intervenu depuis que le capitalisme, dans les années 90, a changé de nature, que l’acteur financier a échappé au contrôle. La CFDT a été assez novatrice. On s’est demandé: « Comment porter la contradiction au sein du capital en utilisant l’épargne appartenant aux salariés, aux citoyens. » On est allé au Québec, où un grand fond syndical intervient dans la stratégie des entreprises. Avec la CGT, la CFTC et la CGC, on a créé le Comité intersyndical de l’épargne salariale qui labellise une gamme de produits, mais on a beaucoup de retard. Au bout de huit ans de fonctionnement, sur 80 milliards d’épargne salariale, on n’en draine que trois. L’épargne salariale est un vrai enjeu pour le syndicalisme international.

PLACE PUBLIQUE > Comment mieux protéger les gens en tenant compte de la mondialisation?

GABY BONNAND >
Si on veut se protéger, il faut élargir la protection des autres. Ce n’est pas en se repliant sur nousmêmes que nous allons nous protéger. On ne pourra pas empêcher les Chinois ou les Indiens de vouloir construire ce qu’ils consomment. Il faut donc lutter pour une gouvernance mondiale mais ça prendra du temps. Il est plus facile de construire une multinationale que la démocratie à l’échelle du monde. Je ne minimise pas le monde apaisé dans lequel, personnellement, j’ai vécu: la question est de savoir comment pérenniser ce monde apaisé sans forcément reconduire les mêmes formes d’organisation.

PLACE PUBLIQUE > L’ancien métallo aime les débats intellectuels du moment…

GABY BONNAND >
Je participe à quelques cercles de réflexion qui se situent dans le mouvement réformiste. Je suis membre de Terra Nova. J’aime bien rencontrer des gens ayant écrit des choses qui me passionnent, échanger avec Bruno Palier, Thomas Piketty, Robert Castel, tous ceux qui me permettent d’éclairer ma pratique. J’ai besoin de ça, ça me nourrit, j’ai besoin de lire. On m’a dit à l’école que je n’étais pas très bon, ça m’a marqué…

PLACE PUBLIQUE > Une façon de relier le peuple à l’élite?

GABY BONNAND >
L’originalité du mouvement syndical en France, c’est que les dirigeants sont issus d’un parcours militant. Ils ne sortent pas des grandes écoles comme on le voit ailleurs, y compris dans de grandes associations. À la commission exécutive de la CFDT, il n’y a pas d’énarque; en se formant tout au long de son parcours, chacun a pu s’approprier les questions de société. En ce sens, le syndicalisme est la forme d’organisation la plus démocratique. Mais lui non plus n’est pas à l’abri d’une coupure avec la vie réelle. J’ai toujours eu besoin, pour me nourrir, de me déplacer, d’aller rencontrer les gens, dans les équipes syndicales mais aussi au-delà du cercle des adhérents.

PLACE PUBLIQUE > Comment le syndicalisme doit-il évoluer ?

GABY BONNAND >
Il ne faut pas rester prisonnier de l’histoire. À une époque, par exemple, où la CGT était verrouillée par le PC et où les socialistes de la SFIO frayaient avec FO, la CFDT a revendiqué l’autonomie: elle a ainsi renoué avec la négociation et retrouvé l’efficacité. Par la suite, la chute du Mur de Berlin a permis à la CGT de couper le cordon ombilical. Avec Bernard Thibault notamment, elle a renouvelé son discours et ses pratiques. L’erreur de la CFDT aurait été de regarder la CGT comme elle était avant. L’accord CFDT-CGT sur la représentativité est capital pour l’avenir. De même qu’on ne peut pas lutter pour que l’individu s’émancipe et lui reprocher après d’être individualiste, de même on ne s’est pas battu pour que le syndicalisme devienne plus indépendant, plus négociateur, et reprocher maintenant à la CGT de venir sur notre terrain. Demain, le syndicalisme sera peut-être différent d’aujourd’hui et, à la limite, peu importe si dans 30 ans il n’y a plus de CFDT ni de CGT. On peut être très corporatiste en disant qu’on est solidaire. Ce qui importe, c’est notre capacité à donner des outils pour notre démocratie. Il ne faut pas être prisonnier des institutions qu’on a créées. C’est vrai pour les partis politiques, vrai pour les syndicats, vrai pour notre protection sociale. Il faut revenir aux valeurs qui ont fondé leur création.