N’importe qui peut se retrouver en France en garde à vue soit parce qu’il a été pris en « flagrant délit » (en cas de conduite en état d’ivresse par exemple), soit parce qu’il est soupçonné d’avoir commis un délit et est convoqué pour s’expliquer (dans ce dernier cas, la convocation n’en précise pas les motifs). Ainsi, plus de 790 000 mesures de gardes à vue ont été décidées en 2009, dont plus de 170 000 pour les seuls délits routiers.
Dans l’un ou l’autre cas, l’intéressé se retrouve dans des locaux la plus part du temps vétustes, et dépouillé de ses effets personnels, en quelque sorte dépersonnalisé.
C’est, dans tous les cas, une personne fragilisée qui se trouve face aux enquêteurs qui pourront la garder jusqu’à 48 heures (24 heures renouvelables une fois), voire jusqu’à 96 heures pour certaines infractions pour pouvoir l’entendre à tout moment. La loi prévoit seulement que des temps de repos doivent être observés, mais sans être quantifiés.
C’est seulement en 1993 qu’une première réforme du code de procédure pénale a prévu l’intervention de l’avocat en garde à vue (en même temps que le droit pour l’intéressé de prévenir sa famille et de voir un médecin). Son rôle y était modeste et il était seulement prévu que l’avocat puisse s’entretenir avec la personne gardée à vue pendant trente minutes, mais sans qu’il ait accès au dossier. L’avocat n’avait donc qu’une vague idée de ce qui était reproché et pouvait seulement informer le gardé à vue des règles de la procédure et signaler, par une note au dossier, les manquements les plus flagrants qu’il aurait pu constater.
Cette procédure était notoirement insuffisante au regard des engagements pris par la France et notamment de la Convention européenne des droits de l’homme.
C’est ainsi que par une décision du 14 octobre 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé les règles devant être respectées et notamment la nécessité d’une présence de l’avocat pendant l’intégralité des auditions de la personne gardée à vue.
Les juges de Strasbourg ont ainsi constaté que le requérant n’avait «pas été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait», et qu’il «n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue». «Il y a eu, en l’espèce, atteinte au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence».
C’était certes la première fois que la France était directement condamnée, mais elle ne pouvait ignorer la non conformité de sa procédure interne dès lors que déjà en 2008, la Turquie avait été condamnée par des arrêts réaffirmant la nécessité de la présence d’un avocat lors de toute privation de liberté.
La France ne s’est pas pour autant précipitée pour changer ses règles et c’est seulement parce que le Conseil constitutionnel a déclaré, le 30 juillet 2010, non conforme à la Constitution le régime de la garde à vue de droit commun, qu’un projet de réforme a été étudié.
Le Conseil constitutionnel avait néanmoins laissé un délai d’un an au gouvernement pour revoir sa copie et le nouveau régime ne devait voir le jour que le 1er juillet 2011.
Les choses se sont précipitées avec l’intervention d’un arrêt de la Cour de cassation le 15 avril 2011, qui a rappelé que les gardes à vue étaient également, d’ores et déjà, irrégulières au regard, non seulement de la Constitution, mais aussi de la convention européenne des droits de l’homme.
C’est donc dans la précipitation que l’ensemble des acteurs du système, policiers, magistrats, avocats ont dû faire une application anticipée et bricolée du nouveau régime de garde à vue dès le 16 avril 2011…
Depuis le 16 avril dernier, la présence des avocats est donc obligatoire – dès lors que le gardé à vue ne renonce pas à ce droit – pendant l’intégralité des auditions, donc pendant toute la durée de la garde à vue. L’objectif est de garantir les droits à un procès équitable et qu’il n’y ait pas d’enquête ou d’interrogatoire sans que la personne concernée ne soit informée de ses droits.
L’avocat va donc pouvoir s’assurer que les déclarations retranscrites par l’enquêteur correspondent à ce qui a été dit par le gardé à vue et le cas échéant, demander des modifications au procès-verbal. Ce point est extrêmement important car il n’était pas rare que le gardé à vue s’abstienne de demander des modifications au texte rédigé par l’enquêteur, ou même qu’il signe le procès-verbal sans vraiment comprendre ce qu’il lisait en raison de l’état de stress dans lequel il se trouvait…
L’avocat pourra aussi poser en fin d’interrogatoire des questions complémentaires et assister les personnes, y compris le plaignant dans les confrontations.
D’autres points restent en discussion notamment sur l’étendue de l’accès au dossier : accès à l’intégralité du dossier ou seulement (comme la loi le prévoit pour l’instant) aux procès verbaux de confrontation et aux précédentes auditions de l’intéressé si l’avocat est demandé alors que la garde à vue a déjà commencé. En l’absence d’une connaissance du dossier, l’aide pouvant être apportée par l’avocat est entravée et il lui est difficile d’orienter ses questions ou d’aborder celles de l’enquêteur dans une direction pouvant être favorable au gardé à vue.
La réforme est néanmoins saluée comme une avancée qui va amener les enquêteurs à travailler d’une manière différente en se préoccupant plus de l’établissement des faits que des déclarations de la personne soupçonnée. Il s’agit de quitter peu à peu la « religion » de l’aveu, chère à notre système mais empreinte de subjectivité et de risques d’erreurs judiciaires.
Cette présence continue de l’avocat va nécessiter une mobilisation particulièrement importante en Ille-et-Vilaine à cause des caractéristiques du département :
– un territoire rural très étendu ;
– le maintien des gendarmeries de proximité avec 39 sites de garde à vue.
Ainsi, au cours d’une même permanence, un avocat peut être appelé à se rendre aussi bien à Louvigné-du-Désert qu’à Redon (l’un ou l’autre à 65 km de Rennes et à 135 km l’un de l’autre), ou dans l’un quelconque des 39 sites de garde à vue.
La demande des avocats de regrouper les lieux de garde à vue a reçu une fin de non-recevoir au motif qu’il fallait sauvegarder le maillage des services publics sur le territoire…
Un nombre important d’avocats doit donc ainsi être de permanence et à Rennes des équipes d’au minimum six avocats et deux avocats supplémentaires en renfort sont prévus par cycles de 24 heures.
Ils peuvent en outre être conduits à poursuivre leur mission au-delà de ces 24 heures renouvelables une fois si la personne gardée à vue est présentée devant un juge d’instruction ou directement devant le tribunal correctionnel.
Ainsi, un avocat récemment de permanence raconte avoir été appelé pour une première garde à vue à Saint- Brice-en-Coglès, au cours de laquelle il a pu s’entretenir avec son client, puis assister aux auditions soit une durée totale d’intervention de trois heures de nuit puis, le lendemain, plus de sept heures d’audition auxquelles se sont donc ajoutés près de 200 km de route en deux jours. Le lendemain, il fallait bien sûr assurer le travail habituel…
Un tel rythme d’intervention ajouté à la modicité des sommes prévues par l’Etat pour indemniser les avocats a déjà découragé de nombreux avocats. Ainsi, sur les 111 avocats volontaires auparavant pour assurer les gardes à vue, plus de 50 ont déjà démissionné.
La profession a ainsi décidé de protester publiquement en rappelant qu’il ne lui appartenait pas de supporter le poids de ce qui devait relever de la solidarité nationale. Elle met en cause le niveau d’indemnisation, qui tout comme les montants accordés, de manière générale, pour l’aide juridictionnelle ne sont pas à la mesure du travail demandé.
Les réformes ne se font que sous la pression de la cour européenne des droits de l’homme et des instances judiciaires elles-mêmes.
Mais l’importance de la défense des libertés publiques n’est manifestement pas une priorité en France.
Il faut ainsi rappeler que la France, a été classée il y a deux ans au 35e rang des pays du Conseil de l’Europe pour le budget public annuel total alloué au système judiciaire (tribunaux, ministère public et aide juridictionnelle) rapporté au Produit intérieur brut par habitant. Elle a encore reculé de deux places et se trouve 37e sur 43 pays, derrière l’Azerbaïdjan et l’Arménie (Rapport comparatif sur les systèmes judiciaires européens publié le 25 octobre 2010 par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice).
Pourtant une société démocratique ne peut exister sans une justice digne de ce nom et le respect d’une défense équitable pour tous.